Une nuit au Colorado / Bouleversant aveu

Shane conduisit Jillian jusqu’aux urgences du centre médical.

— Comment te sens-tu ? demanda-t-il en venant lui ouvrir sa portière.

— Beaucoup mieux. Ce n’était sans doute rien.

— Peut-être, mais cela ne fera de mal à personne qu’un médecin te le confirme.

A l’intérieur, Jillian fut prise en charge par une infirmière qui établissait l’ordre de passage des patients. Et, tandis qu’elle lui expliquait ses symptômes, Shane jeta un coup d’œil à la salle d’attente. Dieu merci, celle-ci semblait exceptionnellement peu bondée.

Il n’aurait pas su dire combien de fois il avait dû patienter des heures avec un prévenu, aux urgences de Houston.

Il se dit néanmoins que cela valait toute de même la peine de mettre en avant l’état de Jillian, auprès de l’infirmière.

— Etant donné qu’elle est enceinte et que le travail a peut-être commencé, j’imagine qu’elle va pouvoir voir un médecin en priorité ?

— Non, répliqua l’infirmière. Nous allons la faire monter au service d’obstétrique. Ils sont bien mieux équipés que nous, pour s’occuper d’elle. Donnez-moi un instant, et je vais vous trouver quelqu’un pour la transporter en fauteuil.

Et, même si cela lui sembla durer des heures, quelques minutes plus tard, un brancardier vint les chercher et leur fit traverser un dédale de couloirs jusqu’au service d’obstétrique. Une jeune interne prit aussitôt la tension de Jillian et pratiqua les examens de base.

Se disant qu’elle préférait peut-être être seule, Shane sortit en lui disant qu’il attendrait juste derrière la porte. Il espéra qu’elle l’arrêterait, cela voudrait dire qu’ils étaient de plus en plus proches, mais elle ne dit rien. Et, de toute manière, l’interne l’invita très vite à revenir.

— Tu te sens toujours mieux ? lui demanda-t-il.

— Oui, vraiment. Je suis désolée, je crois que je me suis fait du souci pour rien.

— Ne t’en fais pas, il vaut mieux être prudent.

Puis, le Dr Selena Ramirez, la responsable du service, une femme séduisante, d’une quarantaine d’années, avec des yeux verts pétillants et bienveillants, fit son apparition.

Elle tâta longuement son ventre pour estimer l’état de son utérus, avant de lui dire qu’elle allait devoir pratiquer une auscultation interne. Et Shane se sentit de nouveau obligé de s’éclipser. Mais, quand il se retrouva seul dans la salle d’attente, les cris des nouveau-nés et le visage radieux des femmes enceintes firent resurgir les souvenirs de la grossesse de Marcia.

A l’époque, il avait été tellement heureux d’apprendre qu’il allait être père ! Son enfant viendrait bientôt agrandir le clan Hollister.

Il avait aussi cru et espéré que cet événement ramènerait le bonheur disparu de son couple et que Marcia comprendrait enfin la vraie signification du mariage.

Mais Joey commençait à peine à se tenir debout, quand elle lui avait annoncé son intention de divorcer. Et, même si lui aussi n’en pouvait plus de leurs querelles incessantes, il avait été bouleversé à l’idée de ne plus voir son fils tous les jours.

Et, comme si tout cela n’avait pas été suffisant, elle lui avait aussi avoué qu’elle avait rencontré un autre homme et qu’elle allait déménager dans l’Arizona, en emmenant Joey avec elle.

Bien sûr, il avait protesté, mais Marcia était restée inflexible et lui avait répondu qu’un bébé ne pouvait pas se passer de sa mère, qu’il n’avait pas le droit de l’empêcher d’être heureuse.

Alors il les avait laissés partir et s’était noyé dans le travail, en essayant d’aller voir son fils aussi souvent que possible.

— Code bleu au service néonatal ! dit une voix stridente dans le haut-parleur.

Une urgence vitale demandait du renfort ! Il se mit à paniquer, et son chagrin et sa culpabilité refirent immédiatement surface.

Après la mort de Joey, chaque jour avait semblé durer une année, et seul son travail lui avait permis de tenir le coup. Jusqu’au jour où sa colère et son chagrin l’avaient submergé, lui faisant perdre tout contrôle sur lui-même.

Avec Sylvia Domingez, sa coéquipière, ils avaient passé plusieurs jours à traquer Lyle Bayler. L’homme était suspecté d’avoir enlevé plusieurs enfants et tué le dernier. Les détails de ses crimes étaient si insupportables qu’il ne pensait plus qu’à une chose, empêcher ce monstre de faire du mal à un autre enfant et de briser une nouvelle famille.

Après avoir suivi une piste improbable, ils l’avaient retrouvé, qui se cachait dans un abri de jardin. L’homme ayant tenté de leur échapper, Shane l’avait rattrapé et fait tomber à terre avant de lui sauter dessus.

Il aurait dû se contenter de le menotter, mais, sans même comprendre pourquoi, il l’avait violemment frappé à plusieurs reprises, ce qu’il n’avait jamais fait auparavant. C’était la première et dernière fois de sa vie où ses nerfs l’avaient abandonné.

Et, si sa coéquipière ne s’était pas interposée, il ignorait vraiment ce qui aurait pu se passer.

Evidemment, l’avocat de Bayler avait porté plainte pour violences policières, et il avait été aussitôt suspendu.

Et, même si les enquêteurs de l’inspection interne avaient décidé de le réintégrer sans le moindre blâme, il avait compris que son travail ne pourrait plus le protéger de ses démons et de sa douleur.

— Code bleu annulé, rugit le haut-parleur.

Dieu merci ! Il ne supportait pas l’idée que d’autres puissent souffrir comme il avait souffert.

Mais il se tenait de nouveau dans un couloir d’hôpital, à attendre un nouvel enfant. Pourtant, il n’était toujours pas près d’obtenir la famille dont il rêvait.

— Vous pouvez venir, lui dit l’interne en entrebâillant la porte.

Dès qu’il fut entré, le Dr Ramirez le rassura en lui disant que le travail n’avait pas commencé.

— Parfois les ligaments qui soutiennent l’utérus mettent du temps à s’assouplir. C’est très certainement ce que vous avez ressenti aujourd’hui, expliqua-t-elle à Jillian. Vous allez pouvoir rentrer chez vous, mais ne faites aucun effort pendant un ou deux jours. Et appelez-moi immédiatement, si la douleur revient.

Comme Jillian semblait être complètement rassurée par le diagnostic, il se détendit à son tour.

— Mais je voudrais encore vérifier quelque chose, ajouta le médecin avec un sourire. Allongez-vous sur la table que je réalise une échographie, afin d’être absolument certaine que tout se passe bien, là-dedans

Il faillit s’éclipser de nouveau, mais il mourait d’envie de voir le bébé, son bébé. Et, si sa présence avait posé un problème à Jillian ou au médecin, elles le lui auraient signifié.

Pendant que l’interne préparait la machine, le Dr Ramirez enduisit le ventre de Jillian d’un gel transparent. Puis elle commença l’examen.

— Le bébé semble se porter comme un charme, dit-elle, les yeux rivés sur l’écran. Son cœur est fort et le cordon ombilical parfaitement sain.

— Pouvez-vous voir si c’est une fille ou un garçon ? lui demanda Jillian.

— C’est…, commença-t-elle en plissant les yeux. C’est une fille !

Même si Joey lui manquait plus que tout et qu’il s’était déjà projeté en entraîneur d’une équipe de base-ball junior, l’idée qu’il allait avoir une fille lui fit monter les larmes aux yeux.

De toute façon, il ne tenait pas à remplacer Joey.

Il espérait juste être capable de retrouver son instinct paternel. Mais, en entendant le Dr Ramirez déclarer que sa fille était forte et parfaite, tous les sentiments enfouis sous sa douleur avaient resurgi et l’avaient submergé de fierté. Alors, sans réfléchir, il s’était penché à l’oreille de Jillian.

— Tu es heureuse que nous ayons une fille ? murmura-t-il.

Elle leva les yeux vers lui et sourit.

Et, tandis qu’il se noyait dans son regard, il vit la joie l’envahir et une larme couler sur sa joue. Jillian était visiblement comblée.

— Et toi ? demanda-t-elle. Tu es partant pour être le père d’une petite fille ?

— Absolument ! Tant qu’elle est au moins à moitié aussi belle que sa mère, répondit-il en posant un baiser sur son front.

Alors, pendant un instant, tout sembla parfait et il ne put s’empêcher d’espérer que, cette fois-ci, la vie allait enfin lui sourire. Et ce serait le cas si Jillian était d’accord pour qu’il soit présent aux côtés de leur enfant.

Dès qu’ils furent de retour à l’appartement et Jillian confortablement installée, il descendit chez Carolyn commander un dîner pour deux — un rôti de porc et une tarte aux pommes, le fameux choix du shérif…

Il avait pourtant de quoi préparer un banquet dans son frigo, mais il ne voulait pas que Jillian fasse le moindre effort sous prétexte de l’aider.

Il avait été tellement soulagé quand le médecin lui avait dit que le travail n’avait pas commencé. Leur bébé était en pleine santé, il fallait que ça continue.

Sur le chemin du retour, Jillian lui avait confié qu’elle avait énormément apprécié le Dr Ramirez. Celle-ci lui avait accordé bien plus de temps et d’attention que son médecin de Houston. Envisagerait-elle de changer de médecin et de rester à Brighton Valley jusqu’à son accouchement ? En tout cas, rien ne lui interdisait de l’espérer.

Le shérif Jennings franchit alors la porte du restaurant, et son regard s’illumina quand il reconnut Shane. Il s’approcha aussitôt de lui.

— Comment vas-tu ? lui demanda Shane.

— Pas mal, répondit Sam en croisant les bras sur son ventre proéminent. C’est justement toi que je cherchais.

— Vraiment ? Que se passe-t-il.

— Je t’ai déjà parlé de mon ami, Charles Boswell, le chef des pompiers. Tu te souviens, celui qui a pris sa retraite ?

— Oui, tu m’avais dit qu’il voulait emmener sa femme en vacances quelque part, je crois.

— Il passe aussi pas mal de temps à pêcher, ce que je n’ai pas pu faire depuis l’été dernier.

— Cela ressemble à la vraie vie ! s’exclama Shane.

— Tu peux le dire ! En fait, nous avons longuement discuté, hier soir, avec Carolyn, et elle m’a suggéré de prendre ma retraite. J’avais toujours pensé qu’il faudrait m’arracher mon insigne de force, mais j’ai réfléchi toute la nuit, et j’ai songé à toutes les choses que je n’avais jamais pu faire, faute de temps.

— Et pourquoi voulais-tu me voir ?

— Je ne dis pas que j’ai déjà pris ma décision, mais, si je quittais mon poste, qu’est-ce que tu dirais de me remplacer ?

— Le temps qu’ils trouvent un shérif permanent ?

Sam acquiesça.

— Je dois d’abord en parler à la commission du comté. Mais, comme tu les avais vraiment impressionnés, quand tu m’avais épaulé sur cette affaire de cambriolage, je suis certain qu’ils accepteront.

— Honnêtement, je n’en sais rien, répondit Shane. Le problème, c’est que si j’acceptais, même juste pour quelques semaines, cela signifierait que je laisse tomber Dan. Il se retrouverait vraiment dans une situation délicate, et puis j’aime beaucoup mon travail au ranch.

Une partie de lui, pourtant, regrettait toujours son ancien métier, et il ne voulut pas décliner l’offre du shérif trop vite.

— Je vais y réfléchir, reprit-il.

— Je ne t’en demande pas plus, répondit Sam, avant de le quitter pour rejoindre un groupe d’amis, au fond de la salle.

Shane ne savait que penser.

S’il voulait que Jillian envisage un jour de venir s’installer ici, s’il souhaitait vraiment qu’ils aient une chance de construire un avenir ensemble, il devrait trouver un emploi qui rapporte plus d’argent.

Car, si elle décidait de rester à Houston, il devrait affronter un terrible dilemme.

Chaque jour qu’il passait ici lui faisait comprendre qu’il ne voudrait plus jamais vivre dans une grande ville. Il risquait de se retrouver dans la même situation sans issue qu’avec Marcia, et il n’avait aucune idée des extrémités auxquelles cela pourrait le conduire.