Joseph Combes, Tome 12 : Le piège se referme

A l'intérieur de ce café-bar du centre-ville, au bord du Celé, il n'y avait que trois clients. A en juger par la température caniculaire que le soleil faisait régner sur les ruelles et les boulevards de Figeac, en ce milieu de mois de juillet, ce qui les avait attirés à l'abri était sans doute le ronronnement soutenu d'un gigantesque ventilateur de plafond, qui brassait l'air moite jusqu'au moindre recoin de la salle.

Les trois hommes s'étaient installés juste sous l'oeil du cyclone entretenu par ce rotor d'hélicoptère et semblaient goûter le vent qui séchait les traces de sueur de leurs chemises fripées.

- Il y a quelqu'un, dans ce bastringue ? gueula à la cantonade le plus âgé du groupe, en épongeant ses bajoues d'un mouchoir à carreaux bon à tordre.

Il insista, en forçant le ton :

- Alors, monsieur Liu-Yen ?

Monsieur Liu-Yen, tenancier du café-bar Aux Tropiques, se matérialisa comme un dragon derrière son comptoir, réveillé en sursaut de sa sieste, que justifiaient la canicule, le vide momentané de son établissement et la chanson lancinante de son ventilateur. Dieu ou Bouddha seuls savaient quelles aventures avaient conduit cet Asiatique à l'allure de pirate trafiquant d'opium jusqu'à cette petite ville du Lot. Il était petit et sec comme un sarment, de teint plus gris que jaune, et arborait en permanence un sourire noirci au bétel qui expliquait, pour une grande part, le manque d'attachement de la clientèle féminine des Tropiques. Seules les inconditionnelles des films de Sessue Hayakawa, au demeurant peu nombreuses à Figeac, venaient parfois se rafraîchir et frissonner sous le ventilateur de cet inquiétant sauvage.

Trottinant sur ses pieds nus, noyé dans un gilet noir de garçon, trop grand de quelques tailles, qui prenait des airs de veste trois quarts sans manches, il se plia en deux derrière la chaise du client qui l'avait appelé, joignit les poings sur son épigastre et zézaya la salutation choisie qu'il réservait à ses habitués.

- Je suis heureux de voir que monsieur Maraycourt va bien. Que désirez-vous boire, par cette chaleur ?

Monsieur Maraycourt, contrairement à ses deux compagnons, ne parut pas étonné par la maîtrise du français que manifestait Liu-Yen. Ce gargotier n'était pour lui qu'un indicateur discret qu'il utilisait assez souvent pour ses enquêtes journalistiques. Le chef de l'agence du quotidien Ouest-Midi n'allait pas rivaliser de politesse avec un sous-fifre. Il commanda, sèchement :

- Trois pastis, dans des grands verres, et une carafe d'eau bien glacée. Au trot... Après quoi tu retourneras à ta sieste sans écouter notre conversation. Vu ?