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Dans notre isolement de glace, nous avions oublié les haines misérables et stupides du monde. Elles s'étaient encore enflées et raidies pendant ces trois années. Leur monstrueuse imbecillité évoquait pour moi des chiens énormes enchaînés les uns en face des autres, chacun tirant sur sa chaîne en râlant de fureur et ne pensant qu'à la rompre pour aller égorger le chien d'en face. Sans raison. Simplement parce-que c'est un autre chien. Ou, peut être, parce qu'il en a peur...
Afficher en entierSur la Seine, un remorqueur pousse son cri de monstre triste. Je frissone. Jamais, jamais plus je n'aurais chaud dans mon sang et dans ma chair...
Afficher en entierSous cette brume empoisonnée par leurs fatigues d'hier, des millions d'hommes s'éveillent, déjà exténués d'aujourd'hui.
Afficher en entierJ’ai essayé de t’appeler dans notre monde. Bien que tu aies accepté de collaborer avec nous, et peut-être même à cause de cela, je te voyais un peu plus chaque jour reculer vers le passé, vers un abîme. Il n’y avait pas de passerelle pour franchir le gouffre. Il n’y avait plus rien derrière toi, que la mort.
J’ai fait venir du Cap, pour toi, des cerises et des pêches.
J’ai fait venir un agneau dont notre chef a tiré pour toi des côtelettes accompagnées de quelques feuilles de romaine tendres comme une source. Tu as regardé les côtelettes avec horreur. Tu as dit :
— C’est un morceau coupé dans une bête ?
Je n’avais pas pensé à ça. Jusqu’à ce jour, pour moi, une côtelette n’était qu’une côtelette. J’ai répondu avec un peu de gêne :
— Oui.
Tu as regardé la viande, la salade, les fruits. Tu m’as dit :
— Vous mangez de la bête !... Vous mangez de l’herbe !... Vous mangez de l’arbre !...
J’ai essayé de sourire. J’ai répondu :
— Nous sommes des barbares...
J’ai fait venir des roses.
Tu as cru que cela aussi nous le mangions...
Afficher en entierTu aurais pu ne pas tuer cet homme. Il t'avait dit qu'il te conduirait dehors. Peut-être mentait-il, mais ce n'est pas pour assurer ta fuite que tu l'as tué, c'est parce qu'il était dans ton ventre et que tu ne pouvais pas le supporter. Tu l'as tué par amour pour Païkan. Amour. Ce mot, que la Traductrice utilise parce qu'elle ne trouve pas l'équivalent du vôtre, n'existe pas dans votre langue. Depuis que je t'ai vue vivre auprès de Païkan, j'ai compris que c'était un mot insuffisant. Nous disons "je l'aime", nous le disons de la femme, mais aussi du fruit que nous mangeons, de la cravate que nous avons choisie, et la femme le dit de son rouge à lèvres. Elle dit de son amant: "Il est à moi". Tu dis le contraire: "Je suis à Païkan", et Païkan dit: "Je suis à Eléa." Tu es à lui, tu es une partie de lui-même. Parviendrai-je à t'en détacher ? J'essaie de t'intéresser à notre monde, je t'ai fait entendre du Mozart et du Bach, je t'ai montré des photos de Paris, de New York, de Brasilia, je t'ai parlé de l'histoire des hommes, de celle du moins que nous connaissons et qui est notre passé, si bref à côté de la durée immense de ton sommeil. En vain. Tu écoutes, tu regardes, mais rien ne t'intéresse. Tu es derrière un mur. Tu ne touches pas notre temps. Ton passé t'a suivie dans le conscient et le subconscient de ta mémoire. Tu ne penses qu'à t'y replonger, à le retrouver, à le revivre. Le passé, pour toi, c'est lui.
Afficher en entierElle évoquait les moments les plus importants de son existence, les plus heureux, les plus dramatiques, pour les revivre une seconde fois. Elle se livrait interminablement à sa mémoire, comme à une drogue de résurrection, et seules parfois les ondes écarlates de l'émotion parvenaient à l'y arracher.
Afficher en entierLa pitié peut être indifférente ou même accompagner la haine. La compassion réclame une sorte d'amour.
Afficher en entierMais peut-être est-ce un mensonge que je mâche et remâche, dont j'essaie de me nourrir pour tenter de vivre.
Afficher en entierLe vent arrachait la surface de le Mer et la jetait, toute blanche, vers le bleu du ciel.
Afficher en entierLe seul qui acceptât l'événement avec placidité, c'était évidemment Brivaux. Le seul qui fût né et eût été élevé à la campagne. Les autres, dans les villes, avaient grandi au milieu du provisoire, de l'éphémère, de ce qui se construit, brûle, s'écroule, change, se détruit. Lui, au voisinage des roches alpines, avait appris à compter grand et à envisager la durée.
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