Nietzsche, La détresse du présent

Dès lors, Nietzsche, dans sa recherche de la dimension anhistorique de la culture, se trouve déjà devant un double risque : celui que l’idéalisme mystérique ne détourne du monde au point de susciter un insurmontable dégoût de la vie ; et celui que l’abstraction du monde réel et le goût de l’illusion artistique n’abolissent l’exigence de vérité, la véracité qui est au fondement de l’initié devenu voyant. Ce que Nietzsche nommera plus tard le nihilisme, d’une part, et l’absence de probité, d’autre part, se trouvent ici déjà pressentis. Pour l’heure, il trouve des réponses différenciées, et d’inégale portée, à ces deux questions menaçantes. Contre le dégoût de la vie, contre la sagesse de Silène, La Naissance de la tragédie n’indique à ce point que deux remèdes esthétiques : le sublime, qui est une maîtrise artistique de l’effroi du monde, et le comique, qui est une décharge quasi physiologique du dégoût de l’existence. En revanche, contre le manque de probité et de véracité, Nietzsche propose, dans la suite de l’ouvrage, mais aussi dans d’autres textes à peu près contemporains, des réponses plus développées.