S41- Saint-Louis gang

Ces haricots macérant dans une sauce fadasse arrachaient au jeune Harry des grimaces de dégoût, bien qu’avec le temps il eût appris à se satisfaire du minimum. Finie l’époque, déjà lointaine, des hamburgers géants, des cheeseburgers, des dindes aux marrons, du poulet cuisiné à la façon cajun, des hot-dogs relevés dans leur purée d’oignons et de piments.

Harry regardait les fayots dans son assiette, rêvant d’une énorme glace à la vanille et à la pistache.

— Allez, mange, petit.

Rourke comprenait aisément que ce régime, imposé par cette ère de pénurie et de rationnement que le pays traversait, soulevait le cœur des gens, mais à quoi bon ressasser l’ancien temps puisqu’il avait filé, qu’on ne le verrait pas renaître de sitôt… Et encore à condition que la nature puisse se relever, elle aussi, de cette prodigieuse tempête nucléaire qui avait tout ravagé et mis le monde cul par-dessus tête.

Harry lança une cuillère dégoûtée dans les haricots et, résigné, la porta à sa bouche.

Devant leur table, alors que les agents de sécurité évitaient de trop boire dans la journée et ne s’en montraient que plus calmes, deux femmes lorgnaient Rourke. L’une était plutôt bien faite, grande fille brune tirant sur le roux ; les cheveux crêpelés, elle avait d’immenses yeux noirs et curieux, un corps magnifiquement élancé, perché sur des jambes qui paraissaient, bien que la fille fût habillée d’un pantalon et assise, aussi fermes que fuselées.