Commissaire Sébastien Mille, Tome 3 : L'Absence selon Camille

Il y a quelques semaines, Léonard n’arrivait pas à dormir.

Les yeux fermés, il tentait de saisir ce moment où l’on passe d’un état à un autre, curieux des mécanismes du sommeil, mais dévoré par une peur légitime et irrationnelle, celle de ne plus savoir comment s’endormir. Tandis qu’il se concen- trait sur le bruit de sa respiration, ses oreilles se sont mises en alerte, prêtes à capter le spectre sonore dans ses moindres détails. Au-dessus du ronronnement des machines qui régu- laient leur domicile, et des notes de piano égrenées par les enceintes du salon, surnageait la voix de sa mère. Léonard essayait de deviner avec qui elle parlait au téléphone. Il n’en- tendait d’abord que des formules partielles, mais son ouïe s’est affinée, et bientôt les phrases ont jailli distinctement, jusqu’à cette déclaration : « Je n’ai pas de nouvelles de Russel

Jim. Il n’en donne pas non plus à son fils. Après l’attentat du

11 février, j’ai failli appeler la police. Je suis sûre qu’il est derrière tout ça. » À ce moment-là, Léonard aurait dû bondir du lit, exiger de sa mère des explications. Mais il était comme paralysé, à la lisière de la vie éveillée et de l’éclipse, épuisé

par sa propre acuité auditive.

Si la vérité était sacrée en ligne, Léonard la savait fluctuante dans le monde réel.