Commentaires de livres faits par Fabior
Extraits de livres par Fabior
Commentaires de livres appréciés par Fabior
Extraits de livres appréciés par Fabior
Je sais tout de suite qui appelle et pourquoi. Personne, hormis ma mère, ne m'appelle jamais à deux heures du matin ; et c'est toujours pour me dire qu'une fois encore ma soeur est partie.
La famille se réunit peu avant l'aube. Je suis le dernier à arriver car j'habite Chelsea, en plein centre-ville, et l'appartement de ma mère est situé à l'angle de West End et de la 81e. Quand je fais mon entrée, ils sont déjà en pleine discussion. Ma belle-soeur Augusta m'offre une tasse de café puis nous rejoignons les autres dans la salle à manger.
Ma mère a soixante-trois ans mais elle skie toujours, part souvent en voyage et beaucoup de gens la trouvent encore séduisante. Quand je la regarde, je vois une femme maigre au visage dur avec des yeux d'un vert perçant et des cheveux châtains coupés court, aux reflets auburn -elle se les teint. Elle porte un peignoir de soie brochée acheté à Tokyo trois étés plus tôt et des pantoufles de velours rouge à franges dorées de chez Bergdorf. Ma mère est extrêmement fière de ses petits pieds. Elle ne manque jamais de raconter à qui veut l'entendre qu'elle a vraiment de tout petits pieds, s'empressant d'ajouter qu'elle a joué le rôle d'Alice au pays des merveilles avec une troupe de théâtre itinérante, comme si ses pieds lui avaient valu de décrocher le rôle.
Aux yeux d'un éventuel observateur, il devait présenter l'aspect d'un touriste désœuvré, vaguement d'ésorienté, parfaitement inoffensif et seulement soucieux de visiter quelque recoins de la vielle Europe en prenant son temps, en goûtant le pittoresque du lieu et de l'instant et en cherchant partout le côté folklorique des êtres et des choses.
Dès que le Juif vit l'insigne doré et argenté, il tenta de refermer la porte, mais l'agent fédéral fut trop rapide pour lui. Il avait déjà fermement enfoncé un de ses richelieus dans l'embrasure.
«On ne peut pas dire qu'il soit accueillant, se plaignit le visiteur à son collègue.
- On dirait qu'il ne veut pas nous laisser passer», fit le second agent.
Le Juif évalua les deux hommes pendant qu'ils entraient. Ils avaient des lèvres minces, des visages typiques du Midwest, portaient des feutres mous et des pardessus bon marché, à martingale, identiques. L'un d'eux laissa entendre qu'il s'appelait Hoover. L'autre ne se présenta pas. Ils remirent leurs badges dans leurs poches et essuyèrent soigneusement leurs chaussures sur le chiffon qui servait de paillasson pour en enlever les traces imaginaires du Lower East Side. Puis, ils suivirent le Juif au travers du couloir étroit où, le long des murs, des piles de livres montaient à mi-corps, jusqu'à la petite pièce donnant sur la cour. Là, celui qui s'appelait Hoover, un jeune homme qui n'avait pas beaucoup plus de vingt ans, sortit un petit carnet à spirale, se mouilla le pouce et le feuilleta jusqu'à la page qu'il cherchait.
«Son vrai nom est Alexander Til», dit-il au Juif. Sa voix, rauque, fatiguée, semblait venir du fond de sa large poitrine. «C'est un blanc. Naturalisé américain, d'origine juive russe. Un mètre soixante-seize. Maigre. Début de calvitie. Les yeux verts. Le sujet porte des lunettes et a une cicatrice de huit centimètres derrière l'oreille gauche, résultat d'une blessure reçue alors qu'il résistait à une arrestation pour piquet de grève illégal durant la grève des ouvriers de l'habillement en 1912. Le coup à la tête a diminué l'acuité de son oreille gauche. Il a l'habitude de tendre l'oreille droite vers les gens quand il leur parle. Il s'est parfois déguisé en laissant pousser sa barbe et sa moustache.»
Le Juif, qui louait le trois pièces de Hester Street et sous-louait la plus petite, donnant sur la cour, pour joindre les deux bouts, fixa Hoover.
«Le nom de Til jusqu'à présent jamais je n'ai entendu, répondit-il prudemment. Le locataire à qui je loue, il m'a dit qu'il s'appelait Rosenstein.»
L'autre agent se déplaçait dans la pièce, passant distraitement le bout des doigts sur une table, l'appui de la fenêtre et le dos des livres comme une femme qui soupçonne la présence de poussière.
«Est-ce que votre Rosenstein avait une barbe ?» demanda-t-il au Juif sans le regarder.
Celui-ci haussa les épaules.
«Des barbes, beaucoup de gens ici ont.
- Est-ce qu'il était sourd d'une oreille ?
- Je lui ai jamais assez parlé pour remarquer.» L'agent se tourna pour fixer le Juif.
«Depuis combien de temps est-il parti ?»
- Quatre, peut-être cinq jours.
- Pourquoi est-il parti ?
- Il est parti, c'est tout ce que je sais.
- Il n'a pas dit où il allait ?
- Non.
- Et, naturellement, vous ne savez pas où nous pourrions le trouver ?
- C'est correct. Je ne sais pas.
- Vous êtes étranger aussi, n'est-ce pas ? Mentir à des agents du FBI en mission pourrait vous coûter cher.
- Je ne sais pas où il est», insista le Juif, têtu.
Son fils de douze ans entra dans la pièce. Le garçon, comme la plupart des enfants des quartiers ouvriers, puait le kérosène ; on lui en mettait tous les jours sur le cou, les poignets et les chevilles pour éviter les poux. Il se plaça timidement derrière les jambes de son père, accrocha les mains à ses bretelles et fixa les intrus avec d'immenses yeux noirs.
Au bout d’un moment, ce genre de situations a vraiment fini par m’énerver, me mettre en rage, sans raison précise, jusqu’à ce que quelque chose se casse, et que je me mette à regarder autour de moi comme dans le vide, effaré, en me disant, qu’est-ce que j’en ai à foutre, après tout ? En quoi ça devrait me concerner ? Quelle importance ?
Il est difficile d’expliquer cette transition à quelqu’un qui n’a pas vécu ça, mais lorsque vous n’arrivez plus à dormir, lorsque votre vie vous semble complètement vide, que vous croisez la mort tellement de fois qu’elle en devient banale, que vous êtes dévoré par la culpabilité d’être vivant parmi les morts, alors vous finissez par devenir parfaitement insensible, immunisé contre les sentiments qu’éprouvent habituellement les gens, le genre de personne qui peut trébucher sur le corps mutilé d’un ado ou le cadavre pourrissant d’une vieille dame, son jupon blanc grouillant de vers, et contempler tout cela placidement, sans rien voir d’autre qu’un tas de chair, sans rien ressentir d’autre que de l’exaspération, parce que c’est à vous de vous en occuper. En étant indifférent on se protège, mais ça vous expose à un risque bien particulier du métier. Lorsque plus rien n’a de sens, y compris la vie ou la mort d’autrui, vous n’êtes plus qu’à un pas du mal. Et ce putain de pas est terriblement facile à franchir.
La machine s'arrêta et le juge fit un signe de tête au greffier. Celui-ci s'avança vers le jury. dégagea la feuille de papier partant la sentence. la prit à deux mains et se tourna vers le magistrat :
- Accusé, levez-vous, dit celui-ci.
Il regarda la campagne envahie de broussailles où la route s’enfonçait en décrivant de temps à autre des virages qu’aucun obstacle ne justifiait. Le ciel à perte de vue était d’un gris monotone, sans éclaircies, semblable à celui des jours précédents.
Un homme apparut dans la cour.
Leonardo l’observa pendant qu’il se dirigeait à pas lents vers les voitures, tournait autour en lorgnant par les vitres. Il portait un blouson de cuir et un pantalon à grandes poches sur le côté. La trentaine, un corps massif de rugbyman.
« Et pourquoi pas cette nuit ? » pensa Leonardo quand il le vit s’arrêter derrière sa Polar break.
L’individu sortit de sa poche un tournevis ou un couteau et, d’un simple geste, ouvrit le coffre.
Il observa un instant les jerrycans, essayant sans doute de deviner leur contenu, puis il dévissa un bouchon et le flaira. S’étant assuré de la marchandise, il le replaça, empoigna un des quatre récipients et, après avoir refermé le coffre, repartit aussi lentement qu’il était arrivé.
Leonardo laissa retomber le rideau et s’approcha de la table de nuit où il avait posé une bouteille d’eau. Il en but une gorgée, puis s’assit sur le lit. Il entendit des pas dans le couloir, ainsi que le bruit d’un objet roulant qu’on poussait vers l’escalier.
Il avait longuement hésité la veille au soir, au moment de décider s’il valait mieux laisser les jerrycans dans la voiture ou les monter dans sa chambre, mais, en y repensant, il conclut qu’il avait opté pour la bonne solution, ou la moins mauvaise, et que les choses auraient été pires si les jerrycans s’étaient trouvés dans la chambre. Il alla dans la salle de bains, prit sa trousse de toilette sur l’étagère pour la ranger dans le sac de voyage préparé sur le lit. Il glissa dans une poche latérale le tee-shirt et le slip dont il avait changé après sa douche, puis il enfila sa veste et quitta la chambre en laissant la clé sur la porte, ainsi qu’on le lui avait demandé
... Se préparer à sauter!...