Furia Corsica, Tome 1

L’intérieur de la bergerie était d’un confort très relatif. J’aurais été étonné d’apprendre qu’une femme vivait là. Ce n’était pas sale, non, mais il n’y avait aucun de ces détails qui rendent un lieu plus agréable à habiter. De plus, il y faisait une pénombre oppressante ; on aurait pu croire que la nuit était en train de tomber.

– Dès que la pluie cessera, je repartirai pour Manganu, ai-je dit, afin que le type ne s’inquiète pas de me voir m’attarder dans son antre.

– Elle ne cessera pas, a-t-il dit.

Il avait une voix basse, mais plutôt agréable à écouter. Ni grossière, ni rogue. Une voix d’homme qui ne se soucie pas de faire de longues phrases. Il a repris son travail. Il devait être en train de faire ses comptes quand j’étais arrivé, car il y avait un grand cahier ouvert sur la table. À moins qu’il ne fût en train d’écrire un roman…

Comme il ne m’avait offert ni à boire, ni à manger, j’ai pris ce qu’il fallait dans mon sac pour me restaurer un peu afin de me réchauffer. Je me suis également changé. Quand j’ai ôté mon K-Way et mon tee-shirt, l’homme a relevé les yeux et m’a regardé sans embarras. Je lui ai souri, mais il est demeuré impassible. Puis il a repris ses comptes.

Je l’ai observé à mon tour. Il semblait solidement charpenté. Je ne suis pas fanatique des hommes de plus de quarante-cinq ans, mais je me suis fait la réflexion que je me serais laissé faire si, fatigué de tringler ses brebis, celui-ci m’avait demandé de prendre un instant leur place. Un bon coït rural et agreste n’était pas pour me déplaire. Mais apparemment, le type s’intéressait davantage à ses colonnes de chiffres qu’à mes pectoraux.

Il avait raison au moins sur un point : la pluie n’a pas cessé. La lumière a commencé à décliner sans qu’une accalmie me permette d’envisager de gagner Manganu à pied sec.

– Il y a encore loin d’ici le refuge ? ai-je demandé pour déclencher une proposition.

– Avec votre sac… Si vous marchez vite, quarante minutes. Plutôt une heure, je dirais.

– Alors j’ai peut-être intérêt à y aller tout de suite…

J’avais mis un bémol affligé dans ma voix. L’homme n’a pas réagi. J’ai commencé à ranger mes affaires dans mon sac.

– Restez, a dit l’homme au moment où j’allais prendre mon sac sur le dos. Vous dormirez dans la grange. Il y a des souris, mais pas de rats. Bien sûr, il y a aussi l’odeur.

J’étais tellement soulagé que j’ai failli lui répliquer : « Tant pis, les chèvres s’y habitueront ! », comme dans la blague de la vieille et de son bouc. Mais je n’ai pas eu l’impression que l’humour était le bienvenu sous ce toit. Il n’y avait même pas la télé, et donc pas Lagaf.