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La grande Marie ou la fille du sonneur



Description ajoutée par tekyla 2021-11-20T16:03:05+01:00

Résumé

La grande Marie a tout juste 20 ans aujourd’hui. Elle a le sang chaud, les formes pleines ; les gars de par ici la trouvent "bien en main". Nous aussi. La Varende, à sa naissance affirmait : "La Fille du Sonneur est un excellent livre, écrit tout d’un trait par un homme doué. Monsieur Mahé va devenir, certainement, un de nos conteurs les plus lus. Il vous emmène avec une gaîté ouverte et franche qui est de classe. Un livre plein de santé et dédaigneux de tout ce qui n’est pas la vie grouillante. Monsieur Mahé jubile d’un bout à l’autre de son bouquin et nous aussi. De nos jours, ce n’est pas si fréquent. On lui en garde de la reconnaissance." Maintenant elle est à vous, La Fille du Sonneur. Allez-y à pleines dents, croyez-moi, elle aime ça. Le sonneur, c’est un vrai descendant de Rabelais. La Marie, c’est la digne fille de ses ancêtres.

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Classement en biblio

extrait

L’angélus avait déjà égrené, au clocher de Châteauneuf-sur-l’Acheneau, sa maigre sonnerie. Les poules caquetaient dans la cour du Loup-Pendu, se disputaient des trésors invisibles et rares, sans se soucier du coq qui, la crête congestionnée et le verbe haut, distribuait à droite et à gauche, aux unes et aux autres, ce que les bonnes langues appellent les « suprêmes hommages » et que les mauvaises nomment les « derniers outrages ». Le dindon faisait à ses dindes un doigt de cour discret. Les lapins, éternels prisonniers, derrière leur grillage, frappaient de la patte ou broutaient sagement leurs trognons de choux. Les vaches, pensives, méditaient devant l’abreuvoir, où les lentilles d’eau mettaient leurs taches vertes. Petit-Jean, le fils du fermier, un gamin de douze ans, les surveillait bonassement. Il était, pour l’instant, en contemplation devant la Rougette qui, d’une langue habile, nettoyait ses naseaux baveux.

Petit-Jean admirait en connaisseur cette gymnastique linguale. Face au mufle humide, il s’assit sur la pierre et tenta d’imiter la bête. Il tira une langue pointue et rouge, sortit à demi les yeux des orbites, se congestionna la face, faisant cent et mille efforts. Tout au plus réussit-il à atteindre un sillon de morve qui, issu depuis quelques minutes de ses narines, faisait lentement son chemin.

Encouragé par ce premier succès, il vérifia, en se mirant dans l’eau sale de l’abreuvoir, la distance qui séparait encore son nez du bout de sa langue. Il ne s’en fallait guère que de trois petits centimètres. A première vue, il lui sembla que le but était tout proche. Toujours penché sur le miroir d’eau, il fit de nouveaux efforts, de rose devint rouge, puis violacé. Son nez restait distant et voulait ignorer cette chose baveuse qui tentait de se hausser jusqu’à lui.

Il songea à ses camarades de l’école et à leur étonnement s’il pouvait leur montrer semblable tour de force. Ce serait bien mieux que de remuer les oreilles pendant la classe de calcul, ou de faire l’arbre fourchu dans la cour. M. Caillon avait maintes fois répété à ses élèves que la persévérance était la qualité maîtresse, et qu’elle permet d’atteindre les buts les plus lointains. Ainsi, la bonne parole du maître et le désir d’étonner les copains s’unissaient-ils dans l’esprit de Petit-Jean pour l’aider dans ses efforts.

Les nouvelles tentatives ne donnèrent pas de résultat. La langue, décidément, était trop courte ou le nez trop éloigné. Impossible d’en atteindre le bout, ce qui, déjà, aurait été un joli succès.

Mélancolique, l’enfant songe que l’homme n’est pas le roi de la création. Impossible de se passer la langue dans les trous de nez comme la Rougette ; impossible également de se lécher le derrière, ou, tout au moins, de l’examiner commodément ce en quoi Toto, le chien de touche, est bien plus fort que son maître. Evidemment, on peut toujours, dans un buisson, contempler le trou de balle du voisin et le lui décrire, puis demander au petit copain le même service. Certes, il existe la photographie, en noir et en couleurs, le cinéma et d’autres procédés de contrôle, mais, à douze ans, on n’a pour toute fortune que quelques menues pièces chapardées à ses risques et périls dans le porte-monnaie maternel ! ! ! Dans la chambre qu’il partage avec ses parents et sa sœur, la Grande-Marie, il existe, suspendue au-dessus de la cheminée, une glace qui permet au père d’accrocher, le dimanche, sa cravate à système ; mais ce miroir était bien trop haut. Petit-Jean, une fois, était grimpé sur la table dans l’espoir d’examiner son autre face. Hélas ! la mère était arrivée mal à propos et, malgré une explication assez confuse de chaussettes égarées, avait envoyé au curieux deux gifles magistrales.

Pour le moment, il ne songeait qu’à obtenir le contact entre son nez et sa langue. Désespérant d’y arriver, il se décida à employer les grands moyens. Il saisit dans sa main droite son nez et en sa gauche sa langue et, tirant sur l’un et l’autre, tenta un suprême effort. Il gagna ainsi un bon centimètre et reprit courage. Il s’accorda cinq secondes de repos et recommença. Toutefois, il chercha dans ses poches un mouchoir qui devait y traîner depuis le début de l’année scolaire et, dans cette morvette un peu douteuse, s’enveloppa la langue. La prise était meilleure et la langue aurait peut-être atteint le nez si une gifle envoyée à la volée n’avait interrompu l’expérience.

— Sacré fi d’garce, cria à ses oreilles une voix trop connue, si c’est d’même qu’tu gardes mes vaches...

D’instinct, Petit-Jean avait fermé les yeux et caché sa figure derrière ses bras, ce qui lui évita de recevoir un deuxième coup au but.

— Si, j’les garde...

— Taise-té don, c’est point l’heure de dire des menteries. Argarde don oùsqu’elles sont rendues... Hein ? Dans la pièce de choux verts...

Petit-Jean, toujours protégé derrière ses bras, entr’ouvrit un œil prudent, et constata que les cinq bêtes étaient en effet dans le carré de choux, où elles s’en donnaient à cœur-joie.

— Merde, j’ai point d’veine, mais ces saprés carnes, all’ vont me l’payer...

— Qu’et’ qu’tu dis, enfant d’bougre ?

— J’y dis ren.

— Bon, alors laisse les vaches. J’vas m’en occuper, pisque t’es point capable de l’faire... File chez l’docteur Cholet, tu z’y diras de v’nir tôt d’suite. Y a la Grande-Marie qu’est point ben, et tâche de point musarder en route, hein ?

— Quoi qu’elle a, la Grande-Marie ?

— Ça, j’en sais de ren, mais tu z’y diras qu’elle a mal dans la bouzine et qu’é’ passe son temps à gâter de l’ieau. Depuis à matin, elle en a fait un plein sieau, ça peut point durer d’même.

— Et s’i’ veut pas v’nir tôt d’suite ?

— Ben, dis-y... dis-y qu’on ira en quérir un autre.

La ferme du Loup-Pendu se trouvait juste à la sortie de Châteauneuf. Pour gagner la place, où se dressait, devant l’église, la maison du docteur Cholet, il fallut à Petit-Jean une ou deux minutes. Il rencontra en route quelques gamins qui l’appelèrent pour jouer, mais, conscient de l’importance de son rôle, il ne dévia pas de sa route et se contenta de leur crier :

— J’vas quérir l’docteur. Y a la Grande-Marie qu’est mal.

Il arriva rapidement à la maison du médecin et carillonna de son mieux.

— J’viens, c’est rapport à la Grande-Marie d’chez nous qu’est très mal. La mère m’a dit d’vous dire qui fallait v’nir tôt d’suite. Sans ça, elle va tomber toute en eau. Et pis, paraît qu’elle a l’dévoiement qu’ça fait dangère...

— Bon, on ira ce matin. Dis donc., petit, comment qu’elle s’appelle la Marie en question ?

— Ben, la Grande-Marie, quoi. La fille du sonneur...

— Ah ! j’y suis. Au Loup-Pendu, chez Merlet ?

— C’est ben ça, m’sieur. Mais, faut v’nir tôt d’suite.

— Bah ! commmencer ma tournée par ce côté-là ou par l’autre, ça n’a pas grosse importance. Je te suis, petit.

Le docteur Cholet se rendit presque aussitôt au Loup-Pendu, où il trouva la Grande-Marie qui, cachée sous les couvertures, appelait à son aide tous les Saints du paradis. Il faut croire que ces lieux de délices sont bien éloignés de notre planète car, malgré les implorations et les cris déchirants de la fille, nul bienheureux ne vint à son secours.

La mère s’était retirée dans la salle commune et occupait ces instants de loisir à feuilleter le « Médecin des pauvres ».

— « Colique, lisait-elle, spasme douloureux »... C’est bien compliqué tout ça. « Prenez toutes les heures un paquet de bismuth que vous délivrera le pharmacien... On peut aussi utiliser les vertus thérapeutiques... » Sacré d’sacré... Quéque c’est que c’te charabia !

La menthe poivrée, que la voisine avait ordonnée en tisane, s’était révélée inefficace. Les coliques ne diminuaient pas d’intensité. La formule magique, bredouillée par la Lucas, avec accompagnement de signes de croix et d’arrosage d’eau bénite sur le ventre de la fille, n’avait donné aucun résultat, et la mère soupçonnait quelque diablerie bien au-dessus des possibilités d’un simple médecin.

Dans le moment, elle s’occupait de son mieux à ranimer à grand coup de soufflet un feu mourant. Elle installait, en un échafaudage savant, des braises et des brindilles entremêlées de bruyère et d’ajonc. Une belle flamme, claire et lumineuse, s’empara de tout l’édifice, le lécha et, finalement, le dévora. Le feu éclairait le visage de la mère Merlet, et détaillait avec cynisme les lèvres minces, le nez pointu, et les rides qui sillonnaient toute la face. Chez beaucoup de femmes âgées, on trouve un trait heureux, rappelant ce qu’un visage fripé avait été trente ou quarante ans plus tôt. Mais la mère Merlet ne possédait ni la lèvre agréable, ni le nez coquin, ni la joue savoureuse. C’était uniformément sec, ridé et jaune.

Toute cette figure suait la méfiance, l’amour du gain, et le feu semblait prendre un plaisir malin à mettre en relief ces traits durs et hostiles. Le front était découvert ; les cheveux, très plats, étaient maintenus sous la résille par un ruban de velours noir qui tranchait sur la grisaille. A la contempler, on se demandait ce qu’elle avait pu avoir d’agréable autrefois, et ce qui avait incité le pauvre Merlet à se lier pour la vie à une semblable commère. On parle souvent des charmes cachés... Sans doute était-ce le cas...

Malgré tout, elle avait réussi à faire une fille qui, sans être une beauté, n’était pas désagréable à regarder. La Grande-Marie, comme on l’appelait dans le pays, venait d’entrer dans sa dix-huitième année, et il faut reconnaître qu’à dix-huit ans, rares sont les filles qui ne sont pas plaisantes. Ses lèvres charnues, ses grosses joues rouges, ses yeux malicieux et bien d’autres trésors faisaient la joie des garçons de Châteauneuf. Ce qui ne l’empêchait pas de suivre, avec la congrégation des Enfants de Marie, dont elle faisait partie, les cérémonies et les processions de la Fête-Dieu et des Rogations. Elle dépassait d’une bonne tête les autres jeunes filles, et portait gravement, le ruban bleu, insigne de pureté, qui soulignait sa bonne figure réjouie et son teint éclatant.

Les petits camarades ne se gênaient pas pour l’appeler à mi-voix : « Hé, Marie, Marie. » Elle baissait pudiquement les yeux et continuait à suivre la procession. Parfois, ces appels la troublaient au point de lui faire oublier une strophe dans le cantique. Cela passait inaperçu dans le chœur virginal et aigrelet, et elle rattrapait de son mieux l’erreur involontaire. La demoiselle d’école qui battait la mesure en marchant à reculons, n’avait même pas à intervenir. La cérémonie se déroulait dans le calme et la dignité qui convient à semblable manifestation.

— Oh ! c’est une belle feuille, disaient les commères en récitant le chapelet sur le passage du cortège.

— Priez pour nous, pauvres pêcheurs... Pour sûr, c’est une belle feuille, et ben plantée ; j’sais point comment la Merlet a fait son compte pour faire ça, d’autant plus que son homme, ça on peut l’dire, n’a point grand chose pour lui...

— Mais » ma bonne, y a les voisins. J’me suis laissé dire... « Amen. » J’me suis laissé dire qu’autrefois elle lui en a fait porter... Les hommes sont si tellement naïfs... « Ora pro nobis »...

Ainsi la procession, dans un parfum d’encens et de vertu, déroulait ses lents anneaux par les rues du bourg, toutes décorées d’oriflammes rouges et blanches, bleues et blanches, jaunes et blanches que remplaçaient bien souvent de simples draps de lits ornés de guirlandes de fleurs et de verdures.

La mère Merlet avait déjà mis en garde son enfant contre les garçons qui, disait-elle, ne cherchent qu’à faire des sottises, sans se soucier des conséquences qu’elles peuvent avoir pour l’honneur d’une famille. Marie, dans ces cas-là, baissait pudiquement les yeux et prenait l’air innocent de la fille qui, ignorante de ces délicats problèmes, croit encore que les enfants naissent dans les choux ou sur la mousse des bois. La mère riait sous cape d’avoir une fille si innocente, et ne pensait pas à s’en étonner.

Elle savait pourtant bien que les mystères de la vie n’existent pas dans une ferme, où la saillie d’une vache par le taureau Jaunet constitue, malgré sa rapidité, un spectacle de choix, contemplé par tous les yeux et commenté le soir à la veillée, en se chauffant les pieds devant les braises qui meurent. Elle aurait dû se souvenir aussi qu’à dix-sept ou dix-huit ans elle n’ignorait plus rien de ces troublantes questions. Elle avait si souvent répété à sa fille que, de son temps, on ne faisait pas ceci, qu’on ne faisait pas cela, que l’on se tenait bien, que les garçons n’embrassaient pas les filles derrière les haies ou dans le clocher de l’église, que la pudeur était si courante que l’on n’y pensait plus... Elle avait si souvent raconté ces balivernes qu’elle avait fini par y croire.

Elle avait oublié que sa mère lui avait bien des fois fait la morale et qu’elle aussi, dans ces cas-là, baissait pudiquement les yeux et penchait la tête en avant, dans le seul but de masquer l’énorme envie de rigoler qui lui montait au gosier, et qui risquait de lui faire avaler de travers la tartine de pain du goûter.

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