Le secret de mon bien-aimé

Il détestait Lucile, et la seule vue de la jeune fille l’irritait. Lucile s’en rendit compte très jeune, mais, avec beaucoup d’humilité, elle se disait que les sentiments de son père à son

égard étaient très compréhensibles. Elle n’avait pas la beauté spectaculaire de Catherine, encore que ce ne fût pas la principale raison de l’aversion de son père. Il avait été

profondément déçu à sa naissance, en apprenant qu’il avait une seconde fille, alors qu’il désirait un fils. La naissance de Lucile avait été beaucoup plus qu'une amère déception pour sir John Cunningham, car sa femme ne pouvait plus avoir d’autre enfant.

Sir John était le dernier descendant d'une famille écossaise de très ancienne noblesse.

Depuis l'époque la plus reculée, des générations et des générations de Cunningham s’étaient succédé dans leur vieux château des Lowlands. Satisfaits de leur sort, ses ancêtres se contentaient de gérer leurs terres et de vivre dans leur domaine sans chercher à parcourir le monde.

Mais le jeune homme s'était révélé différent. Dévoré par l'ambition, assoiffé d'argent et d'honneurs, il avait voulu voyager, s'enrichir et devenir un personnage important. Il réussit à

faire rapidement fortune. Aussi, lorsqu'il hérita du titre de baronnet, à la mort de son père, il ne pensa plus qu'à se faire une place dans la haute société londonienne. Il aurait voulu y jouer un rôle important.

Son ambition était d'appartenir un jour au petit groupe qui gravitait autour du prince régent à

Carlton House. Malheureusement, il n'avait jamais réussi à devenir l'un des favoris du futur roi George IV. Ce prince, surnommé partout le premier gentleman d'Europe, s'était toujours refusé à lui accorder son amitié et sa confiance.

Néanmoins, sa situation mondaine était enviable. Les maîtresses de maison nobles recevaient avec empressement sir John Cunningham parce qu'il était riche. Il était invité à

toutes les grandes réceptions, aux dîners et aux grands bals. Mais il ne se faisait pas d'illusions - et Catherine le savait tout aussi bien que lui - on ne leur permettrait jamais de franchir le dernier cercle : celui des intimes du roi.

Ceux qui se considéraient comme la fine fleur de l'aristocratie anglaise et de la société

londonienne ne les acceptaient pas. Lucile devina que c'était beaucoup plus pour cette raison que par appât du gain que son père avait décidé d'aller planter sa tente sous un autre ciel.

A l'étranger, ses titres de noblesse et sa qualité d'Anglais lui valaient d'être accueilli partout

à bras ouverts et reçu avec toutes sortes d'égards auxquels il estimait avoir droit, mais qu'on lui refusait dans son propre pays. Sir John faisait en conséquence tous les efforts possibles pour satisfaire les Espagnols, en leur fournissant les armes dont ils avaient un urgent besoin pour maintenir leur domination en Amérique du Sud et qu'ils étaient prêts à payer très généreusement.