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Commentaires de livres faits par Alexiia

Extraits de livres par Alexiia

Commentaires de livres appréciés par Alexiia

Extraits de livres appréciés par Alexiia

CHAPITRE 1

Lille, quartier Wazemmes. Cette rue est parfaite pour y découvrir un cadavre. Sombre, dégueulasse. Des relents de pourriture émanent des containers qui n’ont pas été vidés depuis des lustres. Les vitres des bâtiments sont quasiment toutes brisées ; en fait, le lieu ressemble à un vieux décor de cinéma d’où surgirait Freddy Krueger, toutes griffes dehors. En plus il pleut, de cette petite pluie fine du Nord qui transperce les vêtements jusqu’aux os, le tableau idéal pour n’importe quel journaliste à sensation ou un auteur de thrillers. Ou un tueur en série.
Je m’enfonce un peu plus dans la ruelle malodorante et dans le col de ma parka. Je tremble un peu ; pourtant, il ne fait pas si froid.
– Salut gamin.
Regard noir à l’officier. S’il y a bien une chose que je déteste, c’est qu’on m’appelle gamin, mais rien à faire, mon allure d’ado imberbe me suit partout où je vais comme une ombre gluante qui colle aux doigts quand on veut s’en débarrasser. Et depuis que j’ai laissé ma barbe pousser, je crois bien que c’est pire. Il faut dire que si je cultive le look barbe de trois jours ce n’est pas pour rien, c’est qu’au bout de trois mois elle n’a pas poussé plus que si cela faisait trois jours. Je suis lieutenant, merde, pas un gamin qui sort de l’école de police.
Je contourne le dernier container et inspire une grande bouffée d’air. Je me sens comme ces flics, dans les séries américaines, qui arrivent au ralenti sur une scène de crime, manteau au vent, insigne brillant. Ils ont toujours des lunettes de soleil, même en pleine nuit. Peut-être que j’aurais dû en mettre, moi aussi, ça m’aurait évité ce regard exorbité que j’ai probablement en cet instant. Mon pied reste en suspens au-dessus d’une flaque sombre et luisante qui serpente entre les pavés. En suivant les méandres de cette rivière inattendue je finis par tomber – le terme est bien au-dessous de la vérité – sur une forme que j’ai du mal à identifier. À mesure que je m’approche, je sens mon estomac se tordre, comme s’il voulait s’auto-essorer. Je plisse les yeux. Il me faut quelques secondes de plus pour comprendre. En fait, je crois que c’est mon estomac qui comprend le premier, d’ailleurs il expulse violemment l’amertume qui le soulève. Je me relève sous le regard amusé de mes collègues. Enfin, pas tous. Ma collègue Jeanne a l’air plutôt compatissante, mais Martin, mon supérieur, a envie de rire, je le sens. Quant aux officiers qui les entourent, comme celui à l’entrée de la rue, j’imagine qu’ils me prennent juste pour un gamin sans expérience. Ça fait bientôt deux ans que je bosse dans la police et je suis plutôt content de ne pas pouvoir ajouter une ligne à mon CV, dans la rubrique « expérience », pour vanter ma capacité à supporter l’horreur. Je me racle la gorge ; c’est ce que font les acteurs pour retrouver leur constance. C’est vraiment du cinéma, parce que moi, ça ne m’aide pas. Je détaille la forme couchée au sol, sur les pavés rougis d’une flaque de sang poisseux. Mon cœur se tord. De longs cheveux blonds s’étalent autour d’un visage si jeune qu’on croirait une adolescente, si son corps, tout en courbes féminines, n’indiquait pas un âge plus avancé. Une jolie fille, à n’en pas douter. Il y a juste un problème avec son corps, justement, et c’est pour ça que j’ai eu un peu de mal à identifier la forme, avant d’être à moins d’un mètre d’elle. Le genre de détail qui fait qu’on sent que quelque chose cloche, sans pouvoir dire tout de suite ce que c’est parce qu’on n’imagine pas que ça soit possible. Il lui manque les bras.
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date : 15-04-2023
Prologue

— En garde !
Lentement, j’expire puis redresse mon buste, légèrement de profil. Je lève mon bras gauche, alors que le droit se fléchit, soulevant mon fleuret, la pointe haute. À travers mon masque, j’entrevois mon adversaire. Un peu plus grande que moi, d’approximativement une tête.
Ma respiration est calme, mes mains ne tremblent pas. D’ici, personne ne pourrait deviner la confusion qui règne dans mon être. Le public ne peut pas entendre les battements chaotiques de mon cœur. L’arbitre n’a pas accès à mes pensées et André ne peut qu’admirer le tableau des scores.
14-13.
Deux points. Il me manque deux petits points pour gagner ma place. Je la mérite. J’ai tout donné pour cet instant. Ces quelques secondes suspendues qui me semblent durer des heures. Deux points.
— Prêt ?
J’inspire. Jamais le temps ne s'est écoulé aussi lentement. Mes yeux cherchent ceux de Mia Hamilton, mon adversaire, mais son masque m’en empêche. Ce n’est pas grave, j’ai eu le loisir de l’étudier durant le match. Puisqu’elle mène d’un point, elle a pris confiance, il ne lui manque qu’une touche pour me battre et obtenir la place que je convoite. Une seule, contre deux pour moi.
Ce n’est pas perdu, ce n’est jamais perdu tant que le combat n’est pas terminé. C’est toute la beauté de ce moment, de ce sport : rien n’est jamais figé dans le temps, encore moins dans l’espace. Tant que la dernière touche n’est pas déclarée, le score peut changer.
J’ai bien observé Mia et elle est, certes, atrocement douée, mais elle est aussi quelque peu prévisible. Elle abaisse son fleuret avant de tenter une touche, son pied frappe deux fois le sol puis, elle tire. C’est une bonne tireuse, mais André m’a appris à voir au-delà du talent. Les victoires, ça vient, ça part, ce n’est pas fixe. Mais notre technique, elle, reste.
— Aller !
Pied droit en avant, puis le gauche se positionne là où était le premier. Un pas après l’autre. Une inspiration après l’autre. Mia tente une frappe, je la contre et essaie à mon tour, sans cesser d’avancer.
Une nouvelle fois, tout semble se dérouler au ralenti. La pointe de mon fleuret la touche au centre de la ligne du dedans. Je ressens la vibration jusque dans la poignée, celle-ci remonte dans mon bras et termine sa course pile dans mon cœur.
Une lumière verte s’allume au-dessus de mon score tandis que ma touche s’ajoute à ce dernier. Un cri m’échappe lorsque je retourne dans ma zone, un immense sourire étirant mes lèvres. Je retire mon masque quand André me lance ma bouteille d’eau. Une seconde, je me demande quelle image je renvoie aux caméras. Je ressens la sueur sur chaque parcelle de mon visage, à l’instar de la brûlure de mes joues. Je crève littéralement de chaud, mais c’est une chaleur satisfaisante.
14-14
Je rends la bouteille à mon maître d’armes, replace mon masque et me remets en garde lorsque l’arbitre l’ordonne. C’est ma dernière chance. La touche de la victoire. La touche que j’attends depuis que j’ai commencé l’escrime.
C’est ton moment Kiera. C’est maintenant ou jamais.
— Prêt ?
Je ne l’ai jamais autant été.
— Aller !
Le mot résonne dans mon esprit comme une symphonie mille fois entendue. J’avance, tente de frapper, mais Mia contre sans mal. Son fleuret frôle mon épaule, je sens presque les particules dans l’air danser autour de sa touche ratée. Et je le sais, c’est tout de suite que je dois agir. Alors que tout son corps est complètement penché en avant, que ses lignes n’ont plus aucune défense suite à son attaque manquée, je tape son flanc droit, percutant sa ligne dehors.
Lorsque la lumière verte s’allume de mon côté, mes jambes lâchent sous le poids de la pression. Toutes ces années, tous ces sacrifices, tout ce que j’ai loupé pour être ici aujourd’hui… tout prend enfin sens. J’ai réussi. J’ai gagné.
— Victoire de Kiera Mitchell qui intègre ainsi l’équipe nationale ! Je vous l'avais bien dit, cette gamine est…
Je n’entends plus le journaliste sportif. Mes oreilles ne captent même plus les applaudissements du public, les hurlements de joie d’André. Équipe nationale. Équipe nationale.
Tu as vu ça Dante ? J’ai réussi. Comme promis.
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1 - Réveil
 
Assis au bord du matelas, Merlin contemplait les traits détendus de Cécile dans le clair-obscur de la chambre, ses pensées rythmées par son souffle régulier. Elle était chez lui depuis deux jours. Un record. Elle dormait en position fœtale, une portion du drap ramenée en boule froissée contre sa poitrine. Quelques mèches châtain clair striaient sa joue, son front. Merlin réprima une bouffée de désir. Ses cheveux défaits, ses jambes nues qui dépassaient de la couette, son odeur, tout cela décuplait ses envies. Des envies qui croissaient au jour le jour, mais restaient frustrées. D’une manière assez étonnante compte tenu des violences physiques et mentales qu’elle avait subies, Cécile était dénuée de pudeur. Elle pouvait se balader en tenue d’Ève sous son nez sans problème, mais se braquer s’il avait le malheur de poser sa main sur sa nuque.
Avec un soupir, il se leva, attrapa des vêtements au hasard dans la penderie et quitta la chambre sur la pointe des pieds. Il s’acquitta des gestes automatiques du matin : mise en route la machine à café, bref passage à la salle de bains. Il passa une main sur sa joue couverte de chaume. Le rasage attendrait, tout comme la douche. Le bruit de l’eau aurait réveillé Cécile, et elle dormait si bien… Il s’habilla en vitesse, attentif à rester silencieux. Sitôt qu’elle serait levée, il irait chercher du pain. Une baguette, ou des croissants, si elle en avait envie.
Ses pensées furent interrompues par un joyeux tintamarre à sa porte. Pas le bourdonnement de l’interphone, mais la sonnerie de la porte d’entrée, qu’on sollicitait à tout va. Dans le vain espoir que Cécile n’ait pas été dérangée dans son sommeil, Merlin se précipita pour ouvrir. Et resta éberlué en découvrant son ex-femme Juliane sur le palier, son fils de treize mois calé sur la hanche, une expression de triomphe ravi sur le visage.
— Coucou ! Regarde, on marche !
Sans lui laisser le temps de réagir, elle déposa le bambin au sol et s’accroupit derrière lui. Le petit hésita une seconde, regarda sa mère qui ’encouragea d’un sourire et d’une légère pression dans le dos. Il se faufila dans l’appartement en quelques pas maladroits, puis s’assit en plein milieu du corridor.
— Il a commencé hier matin, il fallait absolument que je te montre ça !
— Oui, et le plus vite possible, avant qu’il ne boucle son premier Ironman, grommela Merlin, contraint de s’effacer pour la laisser passer. Mais je t’en prie, entre donc, ajouta-t-il encore d’un ton acerbe.
Le problème, c’est qu’il était difficile de résister à la bouille adorable de Mathéo et à ses gazouillis enthousiastes. Merlin se sentit sourire malgré lui.
— J’étais sûre que ça te ferait plaisir, statua Juliane. Par contre, on dirait que tu viens de tomber du lit. Pas encore rasé à huit heures du matin, ça ne te ressemble…
Elle s’interrompit en pleine phrase, la bouche grande ouverte et le regard tourné vers la chambre à coucher. Cécile se tenait dans l’encadrement de la porte, en tee-shirt trop large et caleçon – un de ses caleçons, pour être plus précis. Elle s’était figée, comme incertaine de la marche à suivre, ou plutôt de l’endroit où fuir.
— Juliane, je te présente Cécile, fit Merlin dès qu’il fut en mesure d’articuler un mot. Cécile, voilà Juliane et Mathéo.
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Le filet de sang qui longe la plinthe a formé des lignes parallèles dans les rainures du parquet. La fresque aurait pu être jolie si l'artiste avait eu le bon gout d'employer autre chose que des globules rouges. La tête du mignonnet est explosée au gros calibre. Je hais les armes. Et encore plus les enculés qui s'en servent. Le temps que j'essaie de comprendre ce qui a pu se passer, le commissaire Bivore et ses sbires entrent dans l'appartement. Ben oui, c'est le jeu. Si j'avais eu la présence d'esprit de me barrer avant qu'ils arrivent, ça aurait été beaucoup moins drôle. Je monterais bien déloger les résistants du premier étage, mais une des roquettes a atomisé l'escalier. Je les invite donc à descendre à l'aide d'une tournée de grenades. Et ça marche ! Oh, je dis pas qu'il en reste pas un ou deux cachés quelque part, mais dans l'ensemble, la convocation est bien accueillie. On accourt. Y'en a même un qui n'a pas pu venir, mais qui nous a envoyé son bras en signe de bonne volonté. Comme quoi, l'enculé peut avoir bon fond. Des fois.
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date : 29-05-2022
CHAPITRE 1

Le premier coup l’avait à peine effleuré. Juste une sensation de brûlure. La veste avait amorti le choc et freiné la lame. Il se mit à courir sans se retourner. Inutile de crier ou d’appeler à l’aide. Coincée entre le bois de Boulogne et le boulevard Suchet, la rue peu fréquentée dans la journée ressemblait à une impasse sans âme dès la nuit tombée. L’agresseur connaissait ses habitudes. Les soirs de fête ou de dîner entre copains, il libérait son chauffeur et rentrait seul au volant de sa Mini noire. Rarement après minuit. Ce jour-là n’avait pas fait exception. Il s’était seulement agacé de ne pas trouver de place au pied de son immeuble et avait dû faire plusieurs fois le tour des blocs bâtis dans les années 1930, avant de se garer dans l’avenue voisine. Encore quelques mètres et il serait protégé par la lourde porte cochère ouvrant sur l’immense hall de son hôtel particulier. Il voulut accélérer mais n’y arriva pas. Son côté droit le faisait souffrir. Il pensait courir mais ne faisait que se traîner. À quelques pas de chez lui, il dut mettre un genou à terre. La blessure l’empêchait d’avancer. Il y porta la main et sentit le liquide chaud et visqueux lui couler entre les doigts. D’abord un mince filet provoqué par la pointe du poignard, puis une béance par laquelle inexorablement sa vie s’échappait, charriée dans un flot de sang. Son agresseur l’avait rattrapé et lui faisait face désormais. À visage découvert. Sans importance puisqu’il allait le tuer. L’homme eut juste le temps de se dire qu’il ne connaissait pas ce visage avant d’être achevé. Trois coups dans la poitrine, plantés avec la précision d’un chirurgien, à l’endroit exact où le cœur se love contre le poumon. Un seul aurait suffi mais le meurtrier avait agi comme s’il n’était plus lui-même. Voilà plusieurs mois qu’il suivait sa victime, vérifiant qu’à l’exception de rares voitures qui passaient indifférentes, pour rallier à la hâte le bois de Boulogne, l’avenue bordée de bâtisses luxueuses était, dès la nuit tombée, noyée dans le silence d’un quartier sans vie. Quelques promeneurs égarés au crépuscule, puis plus rien, sinon l’ennui qui ruisselait hors les murs de ces immeubles aux pierres épaisses, prisons dorées pour bourgeois plus soucieux de l’adresse que du décor. L’homme à terre, né de l’autre côté du périphérique, n’était pas de ces gens-là mais l’ambition l’avait fait émigrer dans cet Ouest parisien qui, à défaut d’honorabilité, abrite les bonnes manières et l’argent qui en font office. D’autant plus à l’aise avec eux qu’il ne se sentait pas obligé de respecter leurs codes.
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Assise sur le lit, la couette remontée contre le torse et maintenue par mes genoux relevés, je regardai la neige tomber. Je m’étais juste extirpée rapidement de la chaude douceur de ma couche pour ouvrir les volets roulants et écarter les rideaux avant de retourner m’y blottir, comme un petit animal réintègre son terrier. À nouveau lovée dans mon cocon, je me laissais aller à la contemplation du spectacle hivernal de dame Nature et torturais inconsciemment les cicatrices de mes poignets à coups d’ongles rongés. Des flocons imprudents se collaient à la vitre pour mieux se liquéfier à son contact et se muer en larmes dégoulinantes. Je me sentais comme eux : éphémère, fragile. En sursis.

Je restai figée, le regard perdu vers le monde extérieur. Hors de mon champ visuel, une voiture démarra en pétarade sur le parking, péniblement. Elle toussa, cracha, cala, avant de ronronner de nouveau. La voix d’un homme qui en interpellait un autre résonna. Dehors, la vie continuait. Ici, tout était sens dessus dessous. À tel point que je n’avais pas envie de me lever. À vrai dire, je n’en avais plus envie depuis des mois. Je vivais chaque nouveau jour comme une épreuve.

Je laissai mes pensées sombres vagabonder à leur guise. De toute façon, je n’avais plus la moindre emprise sur elles. Je n’étais plus qu’une marionnette au bout de leurs fils. Elles m’entraînèrent ainsi vers le placard dans lequel reposaient encore quelques affaires de mon compagnon. Au début, j’avais eu envie de tout balancer, de tout empiler dans un sac-poubelle et y mettre le feu. Ce qui, à ce moment-là, m’avait entraînée vers d’autres souvenirs, lorsque, enfant, j’aidais mon père au jardin. Il entassait avec son râteau les feuilles et l’herbe fraîchement coupée que je m’empressais de fourrer dans un grand sac en repoussant ce foufou de Skooter, toujours prêt à jouer, pour ensuite l’accompagner à la déchetterie. Je me rappelais encore de l’odeur des végétaux, des doigts salis, du vent frais sur mon visage. Mes souvenirs s’empilaient comme des poupées russes macabres. Lui aussi m’avait quittée. Pourquoi tous ceux qui m’étaient chers succombaient-ils à un destin tragique ?
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date : 14-05-2015
Trieste, 12 septembre 1977

Elisa de Kopfersberg n’avait pas voulu sortir avec son mari ce jour-là. L’idée de passer ne serait-ce qu’une minute avec lui sur le bateau lui répugnait. Elle s’assiérait à l’ombre avec son livre, elle essaierait de se concentrer, et lui, les lèvres pincées et le regard fixe, irait mouiller un peu plus loin, au pied de la falaise. À un moment ou à un autre, elle en était sûre, il se mettrait à parler, tout doucement d’abord, puis de plus en plus fort, pour lui faire des reproches.
Le dimanche, Elisa préférait retrouver ses amies à la Lanterna, la plus ancienne baignade de Trieste, sur l’Adriatique. Elle avait été construite sous Marie-Thérèse et conservait la séparation traditionnelle entre hommes et femmes. Elisa pouvait encore emmener son jeune fils dans le secteur des femmes, il n’avait pas six ans. À la Lanterna, elle se sentait chez elle et ses amies la comprenaient. Bien sûr, elle soupçonnait son mari d’avoir une liaison, même s’il faisait tout pour la garder secrète. Il avait de grosses difficultés financières et il espérait qu’une fois encore elle paierait ses dettes. Mais elle restait inflexible. Elle ne voyait plus aucune raison de l’aider. Lorsqu’elle lui avait lancé son infidélité à la figure, il avait tout nié en bloc. « Et puis même si c’était vrai, avait-il crié, ça ne devrait pas t’étonner. Tu n’as jamais voulu m’aider et tu te fiches de mes problèmes. » Un jour, il l’avait frappée ; une autre fois, il était arrivé avec des fleurs, un brillant et des cajoleries qui la dégoûtaient, sur quoi elle s’était enfermée dans sa chambre avec l’enfant qui pleurait.
Elle s’était tout de même laissé fléchir, une fois de plus. Elle avait envoyé Spartaco, son fils, avec ses amies à la Lanterna, comme le voulait son mari. Il avait exigé qu’ils soient seuls, pour enfin s’expliquer.
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date : 31-10-2014
Paris, 3 septembre 1986

Un pas, le sol qui se dérobe, comme de plus en plus souvent. Le sol n’était évidemment pas en cause. Seulement le genou. L’articulation défaillante. La fatigue. Quelques mètres plus loin, je m’attardai devant la vitrine du marchand de cannes et d’« objets de curiosité », Abel. Pas trop longtemps. Le passage Jouffroy était quasi désert. Je continuai vers la sortie, le boulevard Montmartre. Au kiosque, j’achetai Libé, Le Soir. Comme tous les autres journaux, ils titraient sur les otages français, au Liban. Revenant sur mes pas, je fis quelques photos, l’appareil sur le ventre, visant au jugé des passants anonymes. Une manie annexe.
Serge m’ouvrit la porte du musée. Il était précisément neuf heures. Je tenais à me présenter chaque matin comme l’on pointe, sans autre nécessité que mon plan de travail personnel et ses préalables. Les préalables sont décisifs. De la mise en condition et un peu au-delà. Serge installa quelques pochettes de cartes postales sur le guichet près de la sortie, divers souvenirs. Rien de nouveau. Depuis plus de trente ans, je collectionnais tout ce que le musée Grévin avait pu produire comme gadgets pour touristes.
Grande silhouette élégante, Régis Gabriel-Thomas nous salua. Le conservateur du musée grimpa d’un pas vif l’escalier dérobé menant à son bureau.
La première étape était la Grotte des Singes, avec ses miroirs déformants. Serge m’y rejoignit, considéra son reflet, le mien. Nous étions grotesques, aplatis, ramassés en grosses boules. Ou démesurément filiformes dans le reflet d’à côté. Depuis sa création, le succès de cette attraction ne s’est jamais démenti.
— Tu as mauvaise mine.
— Toi aussi, c’est même de pire en pire. Cigarette ?
La sympathie passait par là, ces petites phrases qu’on se récitait chaque matin depuis trois mois. Nous nous connaissions à peine. Nous nous aimions bien parce que nous avions la même passion pour les figures de cire.
Des photographes, Serge en avait vu défiler des quantités. Des pros, des amateurs. Les pros ne l’impressionnaient pas. Des voyeurs parmi d’autres. Serge, petit, très rond, moustache fine et costume bleu marine élimé, adorait classer les habitués du musée. Ceux qui n’étaient intéressés que par un seul tableau. Radeau de la méduse ou Assassinat de Marat. Ludmilla Tchérina assoupie (un ingénieux mécanisme restituant le souffle) avait eu ses adeptes fanatiques. Anna Fried aussi, en son temps. D’autres étaient attirés par la récente mise en place d’une célébrité de l’actualité. Ou par une personnalité historique. Serge se flattait, dès l’entrée, de déceler ceux qui auraient envie de toucher un vêtement, une main, un sein. Ceux qui venaient passer une heure ou deux. Les fidèles du Cabinet fantastique ou du Palais des Mirages. Ça l’amusait.
Il me classait dans la catégorie des amoureux. Ça l’agaçait, un peu. Une sorte de jalousie. Le matin, nous avions coutume de griller une ou deux gauloises, ensemble. Nous parlions peu. Les menus événements de la maison, la préparation de la nouvelle exposition, « L’aventure au cinéma ». Régulièrement, avec une désinvolture tout à fait feinte, Serge me posait une question, une colle.
— Le petit monsieur à chapeau rond, qui somnole sur son banc, qu’est-ce qu’il tient dans ses mains ?
— Le Journal officiel.
— Pourquoi ?
À l’origine, on lui avait donné Le Gaulois. Arthur Meyer, directeur de ce journal et fondateur du musée, n’a pas du tout apprécié : s’endormir sur son journal ! On avait essayé d’autres titres, suscitant à chaque fois des protestations indignées. Au final, les vertus soporifiques du JO avaient fait l’unanimité.
— Pas mal. Mais c’était une question facile.
Serge savait faire plus compliqué. Tout en époussetant son homologue en cire (le vieux gardien) ou en faisant une grimace devant le miroir, il me demandait en quelle année Méliès avait présenté son premier spectacle de magie au Cabinet fantastique (1886 et, à l’époque le Cabinet s’appelait le Théâtre-Joli). Quelle personnalité vivante a été le plus longtemps représentée au musée ? Il en tenait pour Cécile Sorel, moi pour De Gaulle. Nous en disputions. La plupart du temps, pas toujours, je m’en tirais à mon avantage. Il m’arrivait aussi de tester Serge sur des bricoles. De quand datait le très beau plan de Paris tapissant la chambre de Marat (1791) ? Quelle date d’inauguration pour les salles de la Révolution française (1885, trois ans après l’ouverture du musée) ? Quand la lumière électrique a-t-elle remplacé l’éclairage au gaz dans le musée (1885, encore) ? Des choses comme ça.
— Tu viens ici depuis quand ?
— Toujours, je crois bien.
Puis, nous allions chacun à nos travaux.
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date : 31-10-2014
C’est provoquant. Rien que pour le plaisir. Djemila glisse dans la poche de son blouson ceci : un compact-disc de « Europe » (pour elle), The Final Count-down, et la Cinquième de Mahler (pour Sinclair). Le blouson aussi a été fauché. Mais il y a longtemps, ailleurs. Pas dans un supermarché minable. Maintenant, après toutes ces bagarres, cette patine qui a raclé le cuir, il est à elle, définitivement.
Sinclair aime la musique interminable de Mahler. Il aime Djemila, avec ce blouson de zonarde. Un type tordu.
Sinclair, ce n’est pas son nom. Seulement un pseudonyme, hérité de la Résistance, conservé comme un fétiche. Plus personne ne songe à l’appeler autrement. François Sinclair. Monsieur le Professeur.
La main du type. Du vigile. Sur son bras. Elle est prise.
— Mademoiselle… !
Elle l’a repéré depuis le début. Blouson de toile, jeans-baskets. Un fureteur salarié. Un vigile avec l’insigne de l’agence Protector. C’est le jeu, elle l’a défié. Personne ne peut l’empêcher de faire ce qu’elle a envie de faire. De se servir à l’envi dans un « Géant » de merde, si elle veut. Le type doit être un peu plus jeune qu’elle. Pas bien grand. Moustache blonde d’adolescent, clairsemée, nuque rasée. Djemila pense qu’il est assez costaud. Elle aime autant.
— Suivez-moi, s’il vous plaît.
Il n’est pas si sûr de lui. Autour, on a bien vu la scène. Sans vraiment s’arrêter, s’attrouper. La fauche à l’étalage, c’est du banal, tout le monde en tâte. Une basanée prise sur le fait : la routine. Djemila note quelques pronostics égrillards dans les regards de certains pousseurs de Caddies. Arabe mais baisable.
— Par là.
La main, très ferme, sur l’épaule maintenant, agrippée au cuir. Ce type est presque trop conforme. Il l’entraîne vers une porte à doubles battants. Au passage, Djemila remarque que les jeux sur ordinateurs sont en promotion.
— Allons, dit-il.
Ce con. Exit le rayon jouets, les fioritures. Un palier. Un escalier de béton nu. Une pancarte manuscrite, scotchée, indique que la direction, c’est en haut. La direction ?
— Voyons.
Il la plaque contre le mur, lui fouille les poches, très pro, et ce faisant lui frôle la poitrine, trouve les compacts, le flacon de parfum, le stylo, le portefeuille. Un porte-cartes plutôt. Un cadeau de Sinclair, en vrai beau cuir. Il jette un coup d’œil sur les papiers d’identité, pas très attentif. Ce sont ses seins qui intéressent le vigile. Il pose dessus ses paumes, évalue leur volume, les écrase. Djemila regarde ces mains. Doigts courts, ongles carrés, un peu négligés forcément. D’une manière générale, ses seins intéressent les hommes, elle sait. Elle ne porte pas de soutien-gorge.
Il l’observe, ce n’est plus exactement une beurette. Pas du tout comme les clientes habituelles. La trentaine peut-être. Bien belle, presque impressionnante. Pour une bougnoule.
— Personnellement, je n’ai rien contre toi, dit le vigile.
— Moi non plus, dit Djemila.
— On peut toujours s’arranger.
— Non. On ne peut pas.
Après, il ne comprend plus très bien, hurle. Regarde, incrédule, la lame de couteau qu’elle a sortie d’il ne sait où, plantée dans le dos de sa main. Profond. Djemila force encore, c’est très dur, clouant cette main écartelée de mec contre sa poitrine à elle. Le sang a tout de suite giclé, net et épais. Il salit le tee-shirt, macule le vieux cuir. La pointe travaille la plaie, insiste. Djemila note que c’est un plaisir. Comme elle en est écœurée, elle balance au vigile un coup de genou dans les couilles, parce qu’elle en a assez de ses cris. Pour le faire taire. La main mutilée s’agite. Nouvelle giclure rouge qui éclabousse le béton gris. Coups de pied précis. Djemila frappe méthodiquement cette carcasse de petit homme surprise par la douleur, qui se roule sur le sol. Pas plus que le vigile elle n’a très bien compris l’enchaînement des choses. Elle sait seulement qu’elle a raison. Raison de piétiner cette main qui a osé la peloter. Elle ramasse son portefeuille. S’esquiver après cet incident ne pose aucun problème.
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Prologue

Ce jour-là, Dakota est heureuse, heureuse comme ces femmes qui se disent que ça pourrait être pire. Elle pousse la portière de cuir qui ferme l’atelier de Macaire.
Personne ne viendrait voler quoi que ce soit à Vinci Macaire, pas même les petits revendeurs de crack de la 15e rue. Il lui a suffi de casser toutes les côtes du premier qui s’y est risqué, de les briser une à une avec ses énormes poings – il a pourtant des mains capables de peindre des choses aussi minutieuses qu’un enfer de Jérôme Bosch ou qu’une scène de luge sur un étang glacé, signée Bruegel.
« Vinci ?
— Je suis là. »
Son amant est penché sur un petit type aux tempes déplumées et aux globes oculaires retournés à l’envers. Un blanc, d’une cinquantaine d’années. La natte filasse de Macaire touche le visage de l’homme, et l’abat-jour suspendu au-dessus d’eux nimbe son front immense d’une lumière crue.
Dakota sent tout son sang la quitter.
« Qu’est-ce qu’il y a ? Qui est-ce ? Que lui est-il arrivé ? »
Vinci l’attire à lui, la force à s’accroupir. Et elle sait que sa vie vient de basculer.
« Tu te souviens de Ruppert Mordechaï ?
— Le critique d’art du Washington Post ? » Sa voix blanche sort d’elle comme une fumée.
« C’est ça. Vinci Macaire est à la création picturale ce qu’est la photocopieuse à Michel-Ange… Mars 1995. Et voilà. Il a payé.
— Payé quoi ? Mais tu es dingue ! » Elle balbutie, le cœur au bord des lèvres. « C’était il y a quatre ans !
— Il aura eu quelques années de bon. »
Elle se regarde dans la glace. Dakota Ostebourhg, quarante ans. Belle. Maîtresse d’un assassin. Ne fais pas l’étonnée. Ça devait arriver. Tu aurais dû partir avant. Avant les backrooms pour pédés cuir où elle était la seule femme. Avant les soirées ecstasy où il la traînait chargée de poudre comme un canon. Partir avant les partouzes chic de la 42e rue et les rencontres sordides dans les chiottes de cinémas pornos.
Mais elle ne l’a pas fait, et maintenant il est trop tard.
« Tu ne pouvais pas lui laisser une chance ? » demande-t-elle d’une voix tremblante.
Il hausse les épaules.
« Est-ce qu’il m’en a laissé une, lui ? »
Elle touche le corps, recule avec dégoût. Il a la consistance d’un bifteck haché.
« Je l’ai réduit en bouillie », ricane Macaire.
De ses mains si délicates, si patientes, capables de la faire crier vingt minutes de rang.
« La peinture que j’ai vue dans ton bouquin, hier, tu sais, le type qui gueule, les mains comme ça – il pose ses mains de part et d’autre de son énorme tête – c’était quoi ? Ça s’appelle comment ? »
Elle répond, machinalement :
« Le Cri, d’Edvard Munch. »
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date : 29-09-2014
Dans la voiture, elle ressent encore la chaleur estivale de cette fin d'après-midi, et l'odeur du cuir neuf qui émanait de l'habitacle. Sur cette route sinueuse, assise à l'arrière, elle observe à travers le pare-brise, le bitume, les rochers, le ciel bleu et le paysage qui défile. Le véhicule progresse tranquillement sur la moyenne corniche. Elle se balade sur les hauteurs de Nice. Les vitres sont ouvertes, on entend le moteur. Du rock "garage" tape fort dans le 4x4 flambant neuf de son frère Éric. Il tient absolument à fêter ça avec Julien, son pote de toujours. Il avait travaillé dur pour s'offrir ce superbe cross-over. Sur la banquette arrière, elle se revoit fumer et admirer la vue. Et par-dessus tout, profiter de l'instant dans l’impressionnant joujou qu’Éric venait de s'offrir. Au volant, Julien à l'air de prendre son pied. La caisse est nerveuse, superbe, incroyablement confortable. Des options dignes des berlines de luxe, du cuir couleur crème et de l'électronique partout. En l'observant conduire et discuter avec son frère, elle passe en revue le jean's de Julien faussement délavé qui lui va si bien. Elle s'arrête sur son petit t-shirt blanc à travers lequel elle devine ce corps musclé qu'elle connaît sur le bout des doigts. Elle se dit que son homme est plus sexy que jamais au volant de la voiture de son frère. Le v8 ronronne sans forcer et le mastodonte noir rutilant avale les virages au milieu des rires et des blagues salaces. Ils sont beaux, jeunes, dans une superbe voiture, la vue est imprenable, le temps incroyable. En terminant sa bière, Éric montre sur la droite un magnifique yacht qui cingle au large. Tout le monde admire le bateau de luxe, s'imaginant la vie de rêve à son bord. Julien hurle
— Putain !
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date : 15-08-2014
Depuis que les flics sont passés aux trente-cinq heures, leurs performances ne se sont guère améliorées. Louise avait disparu depuis près d’un an et je n’avais toujours pas vu le museau fouineur d’une de ces pauvres bêtes policières se pointer pour me renifler les arrière-pensées. Le parquet de Bayonne avait ouvert une information judiciaire pour enlèvement et séquestration et je ne comptais même pas parmi la dizaine de témoins interrogés. Seul mon ami Jean-Luc Taureau avait dû répondre aux investigations d’un inspecteur de la sûreté départementale. Ça s’était passé sur la terrasse de son bar, un blockhaus percé de baies vitrées permettant de profiter de la vue sur l’océan en sirotant sa bière. L’entretien avait duré une demi-heure, sans compter les interruptions pour aller servir les clients et encaisser les consommations.– Et alors ?– Rien, Jon. J’ai expliqué que la disparue était une cliente occasionnelle. Qu’elle revenait toujours avec la même copine. J’ai dit qu’elles avaient essayé de me convaincre de mettre des tranches de citron dans le Perrier, mais que moi je les réserve pour le Martini.
– Sans blague, tu lui as raconté ça ?
– J’avais besoin de lui dire la vérité.
– C’est tout ?
– Il m’a lâché les basques quand je lui ai expliqué que le Cap’tain Bar est une zone de « requalification émancipée du pouvoir terrestre » : « Sans doute, monsieur le commissaire, à cause que le bâtiment a été au départ édifié par les nazis et qu’on y vient maintenant en short et en polo rose s’acheter des glaces avec les enfants. »
– Bien joué.
– Et j’ai ajouté : « Espace de cohabitation non temporelle, monsieur le commissaire. Le territoire des Landes est un sablier renversé sur les bords du monde : le temps est bloqué là depuis des millions d’années ; je veux dire, le temps réel, pas celui qu’on mesure avec nos montres. »
– Et ça l’a pas fait marrer ?
– Tu parles… J’ai ajouté que d’année en année j’avais vu se rétrécir l’âme de mes clients : « Et ça, monsieur le commissaire, je dois vous dire que c’est irréversible, et pas seulement à cause de toutes ces ondes qui circulent dans l’air, mais aussi, et surtout, parce que nous n’avons pas su nous adapter à l’immobilité du temps. »Je riais comme un bossu – je sais, j’ai des expressions bizarres, je suis né en 1942.
– On n’est pas près de le revoir traîner par ici.Rien ne fatigue mieux le raisonnement d’un flic que les errements d’un esprit fumeux.Et, de fait, au bout de trois semaines l’information judiciaire était refermée par le parquet, faute d’éléments suffisants. L’Office central pour la répression des violences aux personnes, spécialisé dans les disparitions inquiétantes, n’avait été saisi à aucun moment. L’antenne du SRPJ de Bordeaux à Bayonne non plus. La disparition de Louise ne devait pas être considérée comme « inquiétante ».Une femme qui se volatilise, sans doute mue par un caprice soudain, c’est comme un moineau qui s’envole d’une branche.
Pas de quoi en faire un roman.
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date : 15-08-2014
Les tueurs sont rarement des gens prévoyants. C’est un métier où l’on ne cotise pas pour la retraite. J’en connais peu qui mettent de l’argent sur un livret à la Caisse d’épargne en prévision de leurs vieux jours. J’imagine que notre espérance de vie moyenne ne doit pas aller chercher bien loin, mais on manque de statistiques à ce sujet.
En ce qui me concerne, j’ai pu faire valoir mes droits à la retraite auprès de mon employeur le jour où je suis entré dans son bureau en disant :
– Marconi, je sais vos accointances avec le député Mendilahatxu. Je connais la moitié des commanditaires des crimes dont vous m’avez confié l’exécution.
Il était flanqué d’Antoine, son inusable homme de main, grand, maigre, gris. Taillé dans un bloc de marbre funéraire. Effrayant.
– Jon Ayaramandi, tu sais que j’ai plus de vingt tueurs à mes ordres pour te faire taire à jamais ?
Antoine avait la main posée sur le cœur. Pas loin du flingue. J’ai répondu :
– J’y ai pensé patron. Mais écoutez ce que j’ai à vous dire : j’ai commis trente-deux crimes, dont trente et un pour vous, trente et un crimes parfaits. J’en ai écrit la chronique. J’ai trouvé un éditeur qui a accepté d’attendre ma mort pour la publier, ça s’appellera J’étais l’un des tueurs de Marconi. Il a ça sur un disque dur, aussi inaltérable qu’un cœur de radium.
Marconi m’a adressé un sourire attendri.
– Tu t’es pas foulé pour le titre.
Il m’a semblé qu’Antoine se détendait – autant que faire se peut quand on est taillé dans le marbre. Et même, j’ai cru percevoir un soupir de soulagement. Je suis peut-être candide, mais je me plais à croire que ça lui aurait fait de la peine d’avoir à me transformer en mort. Je leur ai serré la main et j’ai dit :
– Y a plus qu’à prier pour ma longévité.
Depuis, Marconi me tanne pour que je lui envoie un exemplaire du manuscrit.
– Que je sache au moins pour quoi je paye.
 
Avoir su m’arrêter de travailler est la seule chose intelligente que j’ai faite dans ma vie. Et sans doute aussi la plus originale : c’est ce qui me distingue, non pas du commun des mortels, mais de celui des tueurs.
Depuis, je me suis « installé » à Largos, du côté de la voie ferrée, dans un ancien quartier ouvrier devenu « résidentiel ».
Voici ce qu’on peut dire de mon « pavillon » : discret, un certain charme, de l’ancien – notez que ces trois qualificatifs peuvent aussi bien s’appliquer à ma modeste personne. À quoi j’ajouterais : sobre, confortable et fonctionnel – là s’arrête la comparaison.
Je paye à peine huit cents euros de loyer. À mon âge il était trop tard pour une première accession à la propriété.
J’ai l’Adour et la zone industrielle au bout de ma rue.
La plage et la forêt sont à vingt minutes à pied. La mer fait un tel boucan quand il y a du vent d’ouest qu’on ne s’entend plus ruminer ses mauvaises pensées.
L’air iodé est chargé de relents d’hydrocarbures et de métaux lourds, mêlés aux effluves de pin et de bruyère en provenance de la forêt landaise.
Mon quartier possède son propre centre : la place des Martyrs de la Résistance – un Abribus, une pizzeria, un commerce et un PMU. Tous les quartiers de Largos sont faits sur le même moule : ça ressemble à des « bourgs » (un concept qui évoque tout de suite la grande classe, non ?) et d’ailleurs c’en est un. Les anciens bourgs ont fini par fusionner à force de s’étendre, pour finalement former Largos : dix-sept mille habitants, un seul axe routier et tout un merdier de quartiers, lotissements, forêts, dunes, étangs, supermarchés, magasins de meubles, bars à bières et restaurants chinois. Le tout fondu avec toutes les autres communes alentour.
Bref, du mégalo-rurbain à perte de vue, avec juste une longue plage sur le côté et une vaste étendue d’eau salée, secouée par les vagues. Notre Los Angeles rural à nous.
 
La moyenne d’âge de la population est la plus élevée du département (des ouvriers à la retraite pour la plupart et une poignée de chômeurs longue durée). L’ensemble manque merveilleusement d’ambition.
Comme on disait autrefois :
 
Que demande le peuple ?
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Elle s’appelait Amelia Earhart. Un hommage de ses parents à l’aviatrice américaine qui avait traversé l’océan Atlantique à la fi n des années vingt. La ressemblance s’arrêtait là. Amelia, jusqu’à ses vingt-sept ans, avait grandi aux portes de Paris. Une maison banale en briques rouge sombre où tout semblait avoir été moulé dans un même bloc, des escaliers du perron à la cheminée. Si son patronyme avait cette consonance américaine et son prénom perdu son accent, c’était en souvenir de son grand-père canadien. À peine âgé
de vingt ans, Andrew Earhart, jeune officier parachuté sur les plages de Normandie « pour sauver la France », s’était uni à la fi n de la guerre avec la grand-mère d’Amelia. Il n’était plus jamais retourné dans son pays. Elizabeth Earhart était née de cette union franco-canadienne et avait donné naissance vingt-cinq ans plus tard à une petite Amelia.
Amelia Earhart n’avait jamais connu son grand-père. Il était mort jeune, à l’âge de quarante ans. Elle connaissait cependant dans les moindres détails les circonstances de ce coup de foudre entre ses grands-parents. Un événement qui était à ses yeux ce qu’il s’était passé de plus intéressant dans sa famille : Amelia reprochait à ses parents d’être aussi quelconques que leur maison.
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– Ça va aller ? demanda le médecin.
Viviane reprit sa respiration.
–  Non ! Je voudrais savoir quoi dire à mes filles ! La grande a six ans, la dernière, à peine deux mois… Il y a un endroit pour hurler ici ?
– Soyez forte madame, rajouta le docteur.
Sur l’échelle des mots prétendus lénifiants mais fermes, la formule du médecin avait au moins le mérite de coller mieux que les autres à la réalité. Il fallait qu’elle tienne en équilibre, qu’elle soit forte, physiquement et moralement. À tous les réveils, à partir de demain, quand elle passerait de l’inconscient au conscient, quand le simple fait de se rappeler, après la tranquillité de la nuit, qu’il était vraiment mort serait une gifle, il faudrait qu’elle soit forte. Car il était mort pour de vrai et il ne reviendrait pas.
– Je peux rester encore avec lui, je veux dire dormir avec lui ? J’ai l’habitude des morts, vous savez !
Viviane appréhendait la mort d’une manière très intime.
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Prologue

Valhalla avait toujours été enveloppé de mystère. Les dirigeants de ce gigantesque complexe qui portait le nom du séjour des dieux Scandinaves affirmaient qu’il s’agissait d’un lieu d’asile pour ces êtres trop uniques pour vivre au sein de la société normale.

Bien sûr, personne n’ignorait que c’était juste une façon polie de dire que c’était le foyer des phénomènes de foire.

Sorcières, médiums, nécromanciens, Sentinelles et Dieu seul savait quoi d’autre rôdaient dans le domaine protégé par une couche de puissants sortilèges.

Au cours du siècle dernier, Valhalla avait effrayé et fasciné le monde entier, mais plus particulièrement les habitants d’une petite ville du Midwest, qui voyaient le bleu chatoyant du ciel réfléchi par le dôme protecteur dissimulant les bâtiments aux regards.

Sans surprise, certains réclamaient la destruction totale de cet endroit. Les bizarroïdes étaient dangereux, insistaient-ils, dotés de pouvoirs qu’aucun d’eux ne comprenait vraiment. Qui savait ce que ces monstres feraient si on les mettait en rogne ?

Tandis que d’autres soutenaient qu’on devrait les enfermer pour les étudier comme des rats de laboratoire. Leurs mutations pourraient peut-être servir pour aider les gens normaux.

La plupart, cependant, choisissaient de feindre d’ignorer l’existence de Valhalla et des évolués - comme ces derniers préféraient qu’on les appelle - qui vivaient derrière le dôme.

Jusqu’à ce qu’ils aient besoin d’eux, bien sûr.
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… Pourquoi m’as-tu abandonné ?
Leo Alvarez n’était pas croyant. Autant qu’il s’en souvenait, il ne l’avait jamais été. De l’eau était passée sous les ponts depuis que sa mère l’avait obligé à se rendre à la messe dominicale et à suivre des cours de catéchisme.
Beaucoup d’eau.
Ce n’était pas vraiment « quelqu’un de bien ». Ce n’était pas un mauvais bougre pour autant, loin de là, même si c’était plutôt étonnant compte tenu de la dure réalité de son existence. Mais ce n’était certainement pas un ange. Il n’était pas irréprochable et avait commis de nombreux péchés, dont certains difficilement pardonnables. Mais si l’on devait le juger un jour, Leo ne s’excuserait pas pour ses actes. Il avait un code, qu’il suivait de manière efficace, et avait le sentiment que cela suffirait à le dédouaner.
Mais, quelle que soit la gravité de ses péchés, il ne méritait pas le châtiment qu’on était en train de lui infliger. Personne ne méritait un traitement si atroce et cruel.
Leo alternait les périodes de conscience et d’inconscience, mais il savait qu’il reprendrait violemment connaissance lorsqu’on enfoncerait de nouveau la lame dans ses chairs et qu’on la ferait entrer en contact avec ses récepteurs nerveux devenus bien trop sensibles. Cela déclencherait en lui une explosion de douleur l’obligeant à contracter les mâchoires et à grincer des dents.
Mais il ne crierait plus. Il avait presque perdu la voix à cause de tout ce qu’on lui avait fait subir avant ce nouvel assaut. Il se moquait de savoir si cela le faisait paraître faible ou non. Non. Rien de tout cela n’avait la moindre importance, pour le moment. Plus rien n’avait d’importance à ses yeux à l’exception d’un seul mot. D’un seul objectif.
« Vivre ».
Vis, Alvarez, s’intima-t-il pour la millième fois. Même s’il lui semblait désormais évident que le démon qui orchestrait sa souffrance n’avait pas l’intention de le tuer.
Non.
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Prologue
 
 
 
 
Russie, environs de Mourmansk
Mois d'août, un an plus tôt
 
La voiture des Gorsky était à peine assez grande pour accueillir deux adultes et un enfant. Elle était si rouillée par endroits qu'il était difficile d'en discerner la couleur initiale, et si rafistolée qu'il ne devait plus rester beaucoup de pièces d'origine.
Le moteur était capricieux. On ne pouvait jamais être sûr qu'il allait consentir à démarrer ni qu'il parviendrait à tenir le coup jusqu'à destination. Aux yeux de Stefan, cela faisait de chaque trajet une véritable aventure.
En général, ils ne l'utilisaient que lorsque son père rentrait de mer et que la pêche avait été bonne. Pendant les jours qui suivaient, sa mère chantait beaucoup et ses parents faisaient souvent la sieste ensemble. Puis, tôt ou tard, l'un d'entre eux suggérait d'aller faire un tour en voiture.
Bien sûr, ils n'allaient jamais bien loin. Lorsqu'il faisait beau, la mère de Stefan préparait un pique-nique qu'ils allaient manger au bord de la mer. Parfois, ils se rendaient au port d'où le petit garçon, juché sur les épaules de son père, pouvait observer les bateaux qui se trouvaient à quai.
Mais ce que Stefan préférait, c'était lorsqu'ils rentraient à la maison. Ses parents discutaient à mi-voix tandis que lui-même se nichait sur la banquette arrière, se laissant bercer par le ronronnement du moteur et le bruit rassurant de leurs voix.
Pourtant, ce voyage-ci n'était pas comme les autres. Cette fois, ils avaient emporté plusieurs valises au lieu du traditionnel pique-nique. Et ils n'avaient cessé de rouler depuis plusieurs heures. A présent, la nuit commençait à tomber et ses parents ne semblaient pas vouloir faire demi-tour.
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1.

Le masque de Mardi gras était constitué d’un habile assemblage de plumes blanches et de petits sequins. Il était à peine plus long que la main de Charlotte et ne pesait quasiment rien. Il était si fragile qu’il évoquait plus un bibelot précieux qu’un déguisement de carnaval. En fait, songea-t-elle, il paraissait tout droit sorti d’un conte de fées.
Mais il y avait longtemps qu’elle ne croyait plus aux contes ou aux fins heureuses. La vie lui avait enseigné que les bonnes marraines n’existaient pas et que l’on ne pouvait compter que sur soi-même pour forger son destin. Le monde réel ne pardonnait ni la faiblesse ni la naïveté et, pour réaliser ses rêves, il fallait faire preuve de force et d’audace.
Pourtant, ce jour-là, Charlotte aurait désespérément voulu croire à la magie. Elle essuya une larme qui coulait le long de sa joue et prit une profonde inspiration, s’efforçant de recouvrer un semblant de contrôle. Elle ne pouvait se permettre de céder à la pression, même ici, dans l’enceinte de son propre bureau.
Résolument, elle replaça le masque sur sa table de travail et se concentra sur le dossier qui se trouvait devant elle. Il était tard et elle était arrivée à l’hôtel à l’aube mais il lui restait encore beaucoup de travail avant de pouvoir rentrer chez elle. Quelque part parmi ces tableaux de chiffres se trouvait la solution à ses problèmes et elle devait absolument tout mettre en œuvre pour la découvrir.
La semaine qui précédait le Mardi gras était le moment le plus déterminant de la saison touristique. C’était d’elle que dépendait en grande partie l’avenir de l’établissement et de ses employés. Malheureusement, cette année-là, le nombre de réservations avait connu une chute vertigineuse. Les nombreux problèmes auxquels l’hôtel avait dû faire face au cours des derniers mois avaient entraîné une vague d’annulations et rogné de façon sensible les profits dégagés.
Jusqu’alors, les Marchand étaient parvenus à compenser ces pertes en injectant des capitaux personnels. Mais il n’était plus possible de recourir à une telle solution. La situation financière de la famille commençait à son tour à devenir préoccupante.
En fait, si Charlotte ne parvenait pas à redresser la barre au cours de la semaine suivante, elle devrait probablement se résoudre à déposer le bilan. Et cette idée lui était intolérable. Cet hôtel avait été fondé par ses parents et ils avaient consacré toute leur vie à en faire un établissement reconnu et apprécié.
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1.

Anne Marchand s’arrêta au bord de la piscine et resta un moment les yeux levés vers le ciel.
La lueur rosée de l’aurore commençait de succéder au gris de l’aube, mais les lampes disposées autour du bassin étaient encore allumées. Agités par un vent léger, les palmiers plantés dans de grandes jardinières de bronze projetaient des ombres dansantes alentour, et des feuilles de bananier s’élevait un doux murmure, semblable au chuchotement de fantômes que l’arrivée du jour s’apprêtait à chasser.
Frissonnante, Anne resserra sur son cou les revers du peignoir de cachemire rouge que ses filles lui avaient offert à Noël. Les mois de février étaient doux à La Nouvelle-Orléans, comparés aux températures que connaissaient beaucoup d’autres régions des Etats-Unis à la même époque, mais cinq degrés étaient l’équivalent d’un froid polaire pour une Louisianaise de souche comme elle.
Elle pensa avec nostalgie à son lit confortable, au drap de soie qui, sous la couette, avait sans doute gardé la chaleur de son corps. Elle était contente de s’être réinstallée dans son appartement de l’hôtel Marchand. Ses quatre filles auraient voulu la voir rester plus longtemps chez sa mère, mais c’était avec soulagement qu’elle avait quitté l’atmosphère étouffante de la grande demeure du Garden District.
« En t’obligeant à faire de l’exercice, tu leur montreras que tu n’es plus une invalide, songea-t-elle, alors enlève ce peignoir et entre dans l’eau ! Si tu ne leur prouves pas tous les jours que tu te portes bien, elles ne cesseront jamais de s’inquiéter pour toi. »
Anne aimait beaucoup nager, et elle était décidée à se maintenir en aussi bonne forme que pouvait l’être une femme de soixante-deux ans. Après le décès accidentel de Rémy, son époux bien-aimé, elle avait cru impossible de continuer à vivre, et une partie d’elle-même avait souhaité le suivre dans la mort, mais comment aurait-elle pu abandonner ses filles, déjà anéanties par la disparition de leur père ?
Et elle devait aussi à la mémoire de son mari de poursuivre l’œuvre dont la réalisation leur avait coûté tant d’efforts à tous les deux, d’assurer l’avenir d’un hôtel qui était en quelque sorte leur cinquième enfant.
L’établissement avait besoin d’elle, et aujourd’hui plus que jamais, car le sort semblait s’acharner contre lui, depuis quelque temps. Anne était résolue à se battre pour éviter qu’il ne tombe entre les mains d’étrangers, mais il lui fallait pour cela être en pleine possession de ses capacités physiques et intellectuelles.
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1.

Il faisait chaud dans la cuisine du restaurant, mais c’est de colère que bouillait la sous-chef, Mélanie Marchand.
Un gumbo aux fruits de mer mijotait à l’arrière de la cuisinière, parfumant l’air de sa bonne odeur de paprika, de poivre de Cayenne, d’ail et d’oignon. Dans le four, une armada de pommes de terre rôtissait, tandis que de larges tranches de pain français doraient dans le toasteur. Chez Rémy, on ne chaumait pas aux premiers beaux jours de Mardi gras.
Sous le ventilateur défectueux qui tournait laborieusement au plafond, les frisettes noires de la queue-de-cheval de Mélanie s’aggloméraient sur sa nuque en sueur. Elle essuya son front moite d’un revers de main agacé.
Elle venait juste de constater que le plat innovateur qu’elle avait griffonné la veille au soir sur l’ardoise magique, où le menu du jour était affiché par le chef cuisinier Robert LeSœur, avait été ostensiblement barré au marqueur rouge.
Grrr.
Elle grinça des dents.
Sans la moindre explication, Robert avait purement et simplement rayé sa nouvelle spécialité. Elle se sentit comme une laissée-pour-compte. Un sentiment qu’elle avait trop souvent connu pour être la benjamine des quatre filles de la maison. Si Charlotte était la coquette, Renée, la charmante, et Sylvie, la blagueuse, Mélanie, elle, était la petite dernière.
Seuls ses talents culinaires avaient réussi à la distinguer. Carrant les épaules d’un air décidé, Mélanie se dirigea à grands pas vers le réfrigérateur et en sortit non sans peine une dinde d’une taille impressionnante.
Que cela plaise ou non à Robert, elle ferait son plat. Il ne pouvait pas la renvoyer de toute façon. Chez Rémy, le restaurant chic de l’Hôtel Marchand, établissement quatre étoiles, comptant parmi les plus anciens îlots du Quartier français de La Nouvelle-Orléans, appartenait à sa famille.
Ignorant le regard médusé des autres cuisiniers, elle hissa la lourde dinde sur le plan de travail, la vida et la badigeonna d’huile d’olive. Tous les regards allèrent de l’ardoise à la jeune femme. Cela avait tout l’air d’une mutinerie, mais personne ne s’avisa de faire la moindre remarque. Seul Jean-Paul Beaudreau, qui travaillait pour la famille de Mélanie depuis qu’elle était petite, arbora un grand sourire en murmurant dans son dialecte cajun quelque chose à propos du sex-appeal des femmes impétueuses.
Pfff…
Impétueuse, elle ? Elle voulait simplement qu’on l’écoute. De deux choses l’une : soit LeSœur s’amusait à la provoquer, soit il avait besoin d’un appareil auditif. Elle saisit l’imposante volaille et l’emporta vers la rôtissoire.
— Elle est trop grosse.
La voix de Robert lui fit l’effet d’une brise rafraîchissante sur ses oreilles en feu. Elle tressaillit, oubliant un instant son esprit de vengeance. Mais, luttant contre l’exaspérante et trop évidente attirance sexuelle que lui inspirait cet homme, elle se reprit vite et continua à essayer de faire entrer la dinde dans le four comme si de rien n’était.
— Vous m’entendez ?
Une goutte de sueur roula entre ses seins. Elle n’allait pas capituler. Elle s’acharna sur sa volaille comme la demi-sœur de Cendrillon s’efforçant de faire entrer son grand pied dans le petit soulier de verre.
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1.

Holly Carlyle adressa à son pianiste un sourire satisfait et accompagna du bout de ses ongles parfaitement vernis les dernières notes de la chanson qu’elle venait de chanter.
— Tommy, c’était fabuleux ! s’exclama-t-elle avec enthousiasme.
D’un mouvement gracieux de la tête, elle rejeta en arrière sa magnifique chevelure auburn.
— Si nous jouons de cette façon ce soir, ajouta-t-elle, je te garantis que nous allons mettre le feu à la salle !
Tommy Hayes regarda ses longs doigts glisser sur le clavier.
— Je te rappelle que c’est du jazz, Holly, pas du rock. Du jazz !
La jeune femme éclata de rire avant de rassembler en une pile parfaite les feuilles de ses partitions.
— Peut-être, mais quelquefois, les deux genres se rejoignent.
Tommy laissa échapper un soupir faussement agacé et continua à effleurer les touches de son instrument de musique comme il l’aurait fait du corps d’une femme. La lampe suspendue juste au-dessus de sa tête éclairait ses cheveux d’un noir de jais, striés de quelques fils d’argent. Il portait un costume sombre qui accentuait sa silhouette longiligne et une bague brillait à chacune de ses mains.
Tommy jurait à qui voulait l’entendre qu’il était pianiste de jazz à La Nouvelle-Orléans depuis la nuit des temps. Et personne ne pouvait nier le fait qu’il était un excellent musicien. Holly travaillait avec lui depuis maintenant quatorze ans et elle n’avait jamais eu à le regretter. Le vieil homme était devenu au fil du temps une sorte de père spirituel pour elle, et elle lui en était d’autant plus reconnaissante qu’elle avait été abandonnée à la naissance.
Tommy, Shana, son épouse, et leurs enfants étaient la seule famille que Holly ait jamais connue.
— On dirait que tu as un admirateur, annonça Tommy de sa belle voix grave qu’atténuaient les derniers accords qu’il venait de plaquer sur son clavier.
— Qu’est-ce que tu dis ?
Tommy fit un signe de tête en direction du bar.
Un homme seul, assis au comptoir, buvait une bière en regardant Holly fixement. Malgré la pénombre, elle parvint à discerner une ombre de contrariété sur ses traits soucieux.
— Qui est-ce ?
— Je ne vois pas d’ici, avoua humblement Tommy. Shana a raison : j’ai besoin de lunettes.
Holly haussa les épaules, renonçant à deviner l’identité de ce mystérieux visiteur.
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Juste au moment où Renée Marchand pensait en avoir définitivement terminé avec Hollywood, voilà que Hollywood la rattrapait : sorti de sa vie depuis trois ans, Pete Traynor se tenait maintenant devant la fenêtre de son bureau, le regard tourné vers la cour, pendant que sa sœur Charlotte lui chantait les louanges de l’hôtel Marchand.
Renée s’arrêta sur le seuil et attendit une pause dans la conversation pour entrer, contrôlant son envie de se ruer dans la pièce et d’exiger de Pete une réponse à plusieurs questions. Parmi tous les hôtels quatre étoiles de La Nouvelle-Orléans, pourquoi avait-il choisi celui des Marchand ? Pourquoi, après avoir accepté avec enthousiasme de réaliser le film qu’elle devait produire, s’était-il dédit ? Et pourquoi n’avait-il eu la décence de prendre contact avec elle ni avant ni après son brusque départ ?
Espérant que tout ce qui l’attirait autrefois en lui avait disparu avec le temps, la jeune femme l’observa attentivement.
Elle avait d’abord été fascinée par un savoir-faire et un talent qui permettaient à Pete de créer un enchantement visuel à partir d’un simple script. Et ces qualités hors du commun s’accompagnaient d’une beauté à laquelle il était difficile de rester longtemps insensible…
Une beauté que les trois années écoulées n’avaient malheureusement en rien altérée : bien que parsemés de quelques fils argentés, ses cheveux étaient toujours aussi épais et brillants ; ils étaient un peu longs et indisciplinés, mais cela ne faisait qu’ajouter à son charme. Sa tenue, composée d’un pantalon de toile beige et d’un polo blanc, mettait en valeur un corps athlétique — preuve de l’attention qu’il portait à sa condition physique —, et le soleil californien avait donné à sa peau une belle teinte dorée.
A quarante-deux ans, il avait donc conservé toute sa séduction, et le magnétisme qui se dégageait de lui n’avait rien perdu de sa force, Renée en était sûre.
Trois ans plus tôt, cette conjonction redoutable l’avait menée à sa perte, sur le plan à la fois personnel et professionnel. Plus jamais elle ne se laisserait subjuguer par Pete — ni par aucun autre homme, d’ailleurs et, pour s’en empêcher si nécessaire, il lui suffirait de se rappeler que celui-ci avait brisé sa carrière.
Renée lissa son tailleur de lin marron d’une main un peu tremblante, inspira à fond et s’exhorta à ne voir en Pete qu’un client comme un autre.
Son éducation lui avait heureusement appris à rester digne en toutes circonstances, et son expérience de femme d’affaires, à maîtriser ses émotions : même en proie à la pire détresse, elle était capable de sourire et de se montrer enjouée, et elle ne voulait surtout pas révéler à Pete, non seulement qu’il l’avait profondément blessée en la quittant sans un mot d’explication, autrefois, mais aussi qu’il avait encore le pouvoir de la troubler.
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1.

Kerry Johnston étudiait attentivement les brochures qu’elle avait collectées à l’office du tourisme de La Nouvelle-Orléans. Elle aurait dû se sentir exaltée à l’idée de découvrir enfin cette ville qu’elle avait toujours rêvé de visiter. Malheureusement, le fait de se retrouver dans un lieu nouveau et inconnu ne faisait que renforcer cette impression de solitude qui lui était si familière.
Elle avait pourtant choisi un endroit charmant pour y séjourner. L’hôtel Marchand alliait l’élégance légèrement surannée d’un bâtiment historique et le confort d’un établissement moderne.
Tout comme le restaurant qu’elle avait choisi pour y déjeuner, l’hôtel se trouvait dans un secteur légèrement surélevé par rapport à la rivière. Contrairement aux quartiers situés à l’ouest de la ville, ils n’avaient que peu souffert du cyclone Katrina.
Kerry laissa son regard dériver sur les bâtiments qui entouraient la placette sur laquelle elle était attablée. Leur aspect vénérable et propret lui fit pense à ces dames âgées aux robes empesées qu’elle avait croisées dans le Quartier Français.
Peut-être finirait-elle comme elles, vieille et seule, courant les thés dansants dans l’espoir de s’y faire inviter, le temps d’une valse. Kerry ne put s’empêcher de sourire. Elle était encore loin d’être vieille. Tout ce qu’il lui fallait, c’était s’arracher à cette déprime qui la rongeait intérieurement.
Après tout, elle n’était pas la première femme à voir son fiancé la quitter pour une autre. Et, au moins, Ben ne l’avait pas quittée pour la première jeunette venue. Maria était une amie de lycée qu’il avait retrouvée au cours d’une réunion d’anciens élèves.
Tous deux étaient sortis ensemble durant leur dernière année et s’étaient perdus de vue en entrant à l’université. Mais il avait suffi qu’ils posent les yeux l’un sur l’autre pour que se ravive la flamme d’autrefois. Kerry s’était efforcée de réagir avec dignité. Elle lui avait dit qu’elle comprenait, lui avait rendu sa bague et lui avait souhaité d’être heureux avec Maria.
Depuis, elle s’était souvent demandé si elle n’aurait pas pu prévoir ce genre de chose. Ben et elle étaient restés fiancés durant quatre ans sans paraître très pressés de se marier.
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1.

Emily Lambert s’attarda quelques instants sur le palier du bureau. Dehors, le vent aigre de janvier fouettait les fenêtres de la maison de style Tudor, qui s’élevait sur deux étages. Cette année, le temps était particulièrement rude, même pour Boston.
Absorbé par son travail, Jefferson Lambert semblait indifférent aux manifestations extérieures, et visiblement, il n’avait pas pris conscience de la présence de sa fille. Elle aurait pu passer une heure devant sa porte sans qu’il s’en rende compte.
D’ordinaire, Emily se serait éclipsée et aurait attendu un moment plus opportun. Cependant, il ne lui restait plus beaucoup de temps et elle commençait à se sentir nerveuse. Son père était adorable, il avait un cœur d’or, mais parfois, il pouvait se montrer incroyablement entêté. Ce serait certainement le cas aujourd’hui.
Rejetant ses longs cheveux noirs par-dessus son épaule, elle frappa à la porte et entra dans la pièce d’un pas léger. A seize ans, elle en paraissait vingt, et elle avait souvent l’impression de materner son père. Leur complicité était sans faille, surtout depuis le décès de la mère d’Emily dans un accident de voiture, huit ans plus tôt. C’est à ce moment-là que Jefferson Lambert, l’avocat d’affaires le plus brillant qui soit, du moins était-ce l’opinion qu’Emily avait de lui, avait pris la responsabilité de lui servir autant de mère que de père, tout en continuant à travailler à plein temps chez Pierce, Donovan & Klein.
Toujours très occupé, Jefferson trouvait cependant le temps de se consacrer à elle chaque fois qu’elle avait besoin de lui, qu’il s’agisse d’assister à une représentation théâtrale de l’école, de l’aider à faire ses devoirs d’algèbre ou de lui expliquer les subtilités du tennis. Chaque minute de sa journée était programmée, ce qui ne lui laissait pas beaucoup de loisirs pour une vie sociale. Quand Emily était petite, elle trouvait absolument parfait d’avoir son père pour elle toute seule. Mais maintenant qu’elle s’intéressait aux garçons, elle avait vraiment besoin que l’attention de son père ne soit plus focalisée sur elle.
Au sortir d’une enfance très protégée, elle commençait juste à apprendre comment se rendre désirable pour le sexe opposé, et elle n’avait pas la moindre idée du genre de femme qui pouvait plaire à son père.
Une chose était certaine : en général, il avait des goûts bien différents des siens. Par exemple, il adorait la musique classique, alors qu’Emily fuyait chaque fois qu’elle en entendait.
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Prologue

Julie Sullivan l’avait détruit et elle méritait d’être détruite à son tour.
Nul ne pouvait passer huit années en prison sans en ressortir profondément transformé. Avant que Julie ne l’y envoie, c’était un homme exceptionnel : talentueux, ambitieux, séduisant, généreux…
Il avait aidé bien des filles à réaliser leurs rêves. Elles arrivaient à New York des quatre coins du pays, espérant devenir l’un de ces top models qui faisaient la couverture des journaux de mode.
Il savait repérer instinctivement celles qui avaient les moyens de leurs ambitions, celles qui sauraient travailler dur pour réussir. Car pour devenir mannequin, il ne suffisait pas d’être grande et bien bâtie. Il fallait ce brin de charme et de magie qui éveillait l’admiration des hommes et l’envie des femmes.
Et il savait les aider à trouver cette petite touche en plus. C’était parfois une simple question de coiffure ou de maquillage, parfois une façon de marcher ou de regarder la caméra. Il soutenait ses protégées, les aidant à traverser les passes les plus difficiles ou à se reconvertir lorsque leur carrière touchait à sa fin.
Il connaissait les meilleurs photographes, les principaux directeurs de casting, les agences de publicité les plus prestigieuses.
Mais, surtout, Glenn Perry était l’ami, le confident et le conseiller de toutes ces filles. Elles savaient qu’elles pouvaient l’appeler ou venir le voir à tout moment pour solliciter un conseil ou pour lui faire part de leur désarroi.
Il s’était réellement attaché à elles. Bien sûr, il s’était senti plus proche de certaines filles. Mais il s’était toujours efforcé de se montrer juste et honnête envers chacune d’elles. A sa façon, il les avait toutes aimées.
Jusqu’à ce que Julie ne vienne tout gâcher. Jusqu’à ce qu’elle trahisse sa confiance et porte contre lui d’ignominieuses accusations qui l’avaient conduit en prison.
Huit ans plus tard, il était enfin de retour à New York. Et si le monde n’avait guère changé, lui ne serait plus jamais le même. Il portait au plus profond de lui-même des cicatrices que le temps ne parviendrait pas à refermer vraiment.
Et, pour cela, Julie allait payer.
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