La Licorne, L'intégrale

La Licorne est une série pour le moins originale, graphiquement tant que dans le scénario. Certes, les scénarios se penchant sur l'Église catholique ou la Renaissance ont depuis été remis à la mode, par Dan Brown notamment, mais le sujet particulier de l'émergence de la médecine moderne reste peu exploré. Les auteurs prennent quelques partis pris "politiques" qui pourront froisser, mais cela ne reste que fiction. La manière dont est revisité l'Ancien Testament reste elle aussi assez inédite. Concernant le dessin, j'ai initialement mis un peu de temps à m'y adapter, mais on ne peut nier sa qualité.

Le scénariste A. Gabella a puisé dans les croyances, convictions et les découvertes faites dans les domaines de la médecine, mécanique, optique et microcosme du 16e siècle, pour raconter une histoire historico-fantastique foisonnante (et parfois une peu confuse).

Le récit de cet enquête -parce que c'en est bien une- met en scène quelques scientifiques de la Renaissance : Paré, Nostradamus, Vésale, Paracelse, auxquels se joint la fille de Fracastor... et plus tard "le Maître", jamais nommé mais dont on devine rapidement l'identité.

Des tapisseries (ressemblant à celles d'Aubusson) placent l'équipe sur la piste d'un complot d'envergure qui semblerait suinter de l'Eglise... l'église qui à cette époque cherchait toujours à museler la médecine et ses avancées afin de garder le contrôle sur l'homme, son corps et son âme.

Paré et Vésale notamment, avaient observé depuis quelques décennies déjà, une mutation de l'anatomie et les humeurs humaines. Ce changement dans le corps humain paraissait lié aux origines de l'homme. Or, à l'origine, l'Homme n'était pas la seule race qui peuplait la terre... Il y avait des êtres qui, s'ils étaient encore présents à la Renaissance, et accompagnent nos scientifiques dans leur voyage à travers la France, les Alpes, l'Italie jusqu'en Transylvanie... sont considérés aujourd'hui comme légendaires ou mythologiques...

Dans un admirable "abracadabrisme" fantasmagorique -récit qui pourtant se tient parfaitement-, Gabella nous raconte la prénotion d'une découverte dans l'histoire de la médecine qui allait changer le monde... et qui explique aussi pourquoi nous ne rencontrons aujourd'hui guère encore des créatures fantastiques des anciens temps...

J'ai toute de suite accroché avec celui qui restera à travers les quatre tomes de cet intégrale le personnage principal : Ambroise Paré, un homme sensé, parfois emporté par une colère justifiée, n'hésitant pas à contester les prédicats de la médecine antique et sachant rester proche de ceux qui l'entourent malgré les péripéties qui ne manquent pas !

Peut-être plus que le scénario (que j'ai moins apprécié dans le 4e tome, plus fantastique, mais un peu trop "Opera seria de la fin" pour mes goûts), c'est bien le graphisme qui m'a parlé ! Les dessins sont précis (même dans les coins sombres des laboratoires, on reconnaît les fioles, pipettes, documents...), les personnages, humains comme créatures, possèdent des silhouettes plutôt anguleuses, mais dans les rares portraits, Anthony Jean sait remarquablement exprimer les sentiments par des traits plus doux. Le "bestiaire" légendaire est étonnant par l'inventivité du dessinateur qui nous le présente tout en muscles carminés et ossatures apparentes.

C'est avec le même soin pour le détail que A. Jean expose son art graphique de l'architecture (extérieure et intérieure)... fan de M.C. Escher, j'ai (évidemment) admiré la vue plongeante dans la "chambre secrète" du mystérieux "Maître" (p. 74 de l'intégrale ou planche 24 du tome 2)... Conquise, je suis !

https://livraisonslitteraires.wordpress.com/2016/04/30/la-licorne/

Je recommande cette bande dessinée aux dessins magnifiques. On y retrouve une très belle fresque de la Renaissance, tout en découvrant un nouveau monde magique et étonnant. Une oeuvre unique !

La Licorne est une série de Bande dessiné réalisés entre 2006 et 2012 par deux français : Mathieu Gabella, scénariste de BD ayant bossé, par exemple, sur la série Sept (Sept voleurs, Sept pirates, Sept Yakuza... série qui a pour particularité de changer de dessinateur et scénariste à chaque tome. Il y a certains tomes que j'aime bien, d'autre pas du tout) mais qui se trouve être un peu touche à tout ; et Anthony Jean qui est connu pour... ben juste pour la Licorne en fait. Enfin, pour la petite présentation des auteurs, le bandeau explicatif de mon livre va m'aider puis-ce qu'il nous dit que Anthony Jean « grâce à ces cours [une formation aux métiers de la bande dessiné à Lyon] découvre "l'école Américain" pour laquelle il a le coup de foudre », ce qui voudrait dire qu'il a une inspiration comics, ce que je n'ai aucun moyen de vérifier puis-ce que Wikipéprout reste muet à ce sujet (et que j'ai la flemme de chercher plus loin) C'est d'ailleurs marrant pour l'inspiration comics de noter que Mathieu Gabella avait réalisé avec Emem et Lou trois tomes d'une BD nommée Idoles qui présentait des super-héros français en 2002 (en pleine montée du FN, il devait y avoir des choses à dire niveau tendance sécuritaire) que j'avais feuilleté vaguement en médiathèque il y a quelques années (je vais essayer de remettre la main dessus pour le lire, tiens...)

Quoi qu'il en soit, La Licorne est une bande dessiné en quatre tomes (on appelle ça un quadrilogie, mais je sais pas si ça s'applique aussi à la BD) qui raconte les "aventures" d'Ambroise Parais, médecin du Roy, qui va se retrouver confronter à un complot et d'étranges créatures qui remettent en cause tout ce qu'il pensait du monde... Le principe même des deux premiers tomes de l'œuvre reposant sur cette "enquête" et ce mystère de l'intrigue, je ne peux pas en dire plus sans spoiler. En gros, sachez que c'est de la fantasy historique durant la renaissance (XVI ème siècle)

Et donc, pourquoi j'en parle ? Eh bien vous allez le savoir tout de suite !

Bon, par où commencer ? J'ai évoqué le dessin, eh bien continuons là-dessus ! C'est un style graphique assez original, avec des traits très marqués pour les personnages, qui donne un dynamisme renforcé à l'œuvre. Les décors quant à eux sont bien réalisés, avec des effets d'ombres et de lumières très sympa. En général, l'aspect graphique de cette œuvre est très bien foutu, bien que pouvant un peu déstabiliser au début si vous êtes habitués à un style très européen ou japonais.

Car la grande force de La Licorne est justement de mêler pleins de styles différents : que ce soit au niveau de la construction du scénario ou du dessin, on retrouve pleins « d'écoles » différentes. Une BD franco-belge ? Et ben non, ça va piocher bien plus loin.

Encore plus représentatif de ce mélange, l'histoire en elle-même mêle les genres. Au fil de la progression du scénario, on passe d'une enquête avec complot à une enquête paranormale avant de basculer dans de la pure fantasy, et de terminer sur une final mythologique digne d'un Opéra de Wagner. Les différentes teintes se succèdent logiquement, en évolution, passant des paliers d'intensités dramatiques, avec un scénario qui prend de plus en plus d'ampleur...

Et le mieux dans tout ça ? Tout se tient. On pourrait croire que tant de mélange disperse l'œuvre ou la rende banquable... et bien non ! Au contraire même, tout se succèdent dans un timing parfait, et les évolutions ne semblent pas artificielles pour un clou... C'est vraiment bien fait, bien scénarisé, et on ressent très bien cette montée d'intensité, ce qui est suffisamment rare dans de la BD pour le signaler ! (le forma 46 pages a tendance à le briser... c'est donc remarquable qu'une œuvre arrive à développer une intensité dramatique avec une telle contrainte !)

La Licorne est donc une BD Dynamique, avec une intrigue bien fournit qui tient en haleine du début à la fin. Mais elle possède une particularité bien à elle, qui en fait une œuvre vraiment géniale...

Et cette particularité, on la comprend vraiment lorsqu'on lit les cahiers explicatifs en fin de volume : il s'agit d'explications pointues sur le contexte ou sur les personnages historiques, qui tourne autour d'un thème central : l'évolution de la connaissance du corps humain à la renaissance. En lisant ces cahiers explicatifs, on revoit successivement les différents personnages, concepts et pouvoirs qui ont été développés dans le récit. Et là on se rend compte de la véritable identité de l'œuvre : La Licorne, depuis sa première page jusqu'à sa dernière, est une gigantesque métaphore de la connaissance du corps humain à cette époque. Les vieux principes sont remis en cause, de nouvelles doctrines apparaissent... et c'est exactement ce que montre la BD ! Le corps humain se modifie grâce aux nouvelles connaissances de l'homme, mais la BD métaphorise ça par une intrigue centrée sur des conflits surnaturels qui modifie bel et bien le corps humain, qui se retrouve au centre de la "guerre". A travers l'intrigue de l'œuvre, on retrouve par transparence toute l'Histoire de la médecine... Et ça c'est fort comme concept !

Mais il doit bien avoir des défauts, ce livre, non ?

Eh bien, que dire ? L'aspect graphique peut en repousser quelques-uns, notamment par la représentation d'opérations de chirurgie ou de "monstres" aux os et muscles apparents, mais ce n'est pas pour autant du gore ! C'est une simple rigueur anatomique, qui s'explique très bien par le concept même de l'œuvre.

Le fait que toute la BD se base sur une évolution dans l'ampleur et l'intensité pose toutefois un léger problème de rythme... En effet, je pense que les auteurs avaient initialement pensés leur œuvre comme une trilogie. Aussi, le rythme et l'intensité montent crescendo vers le troisième tome. Seulement, afin de développer à fond leur idée, ils ont eu besoin d'un quatrième tome plus grandiose encore. Il a dû être pensé suffisamment tôt pour qu'on ne voit que très peu la cassure de rythme, mais elle existe : on aurait presque envie de s'arrêter de lire à la fin du troisième tome, car le rythme semble nous indiquer une retombée de l'intrigue : il a certes une petite relance à la fin, mais l'intensité s'est arrêtée quelques pages avant. Et c'est un peu dommage, car le quatrième tome est vraiment excellent, approfondit encore l'aspect mythologique tout en offrant un final donnant dans le gigantisme. Et je sais très bien que si je n'avais pu lu une version intégrale, j'aurais très bien pu m'arrêter à la fin de ce troisième tome sans être frustrer... ce qui m'aurait fait rater le meilleur tome de la série !

Au final, que dire ? La Licorne est une excellente BD que je conseille vivement. Son aspect graphique et son concept original valent vraiment le coup et pour peux que vous achetiez l'édition intégrale (bien fichue avec un dossier explicatif plus qu'intéressant) vous pourrez vous en tirer à moindre frais et résister à la "décompression" de fin de troisième tome. Envie d'une BD bien foutue et grandiose ? Je vous conseille La Licorne !