Extraits

Mon cœur fit un bond. Je devrais accompagner Gideon à ce bal et je n'arrivais pas à m'imaginer pouvoir dès demain danser le menuet avec lui sans démolir quelque chose en même temps. Son pied, par exemple.

«...Il suffit que tu sois dans la même pièce que moi pour que j'aie aussitôt envie de te toucher et de t'embrasser. » Je tentai de me débarrasser de ce souvenir du regard intense de Gideon en adoptant un pas martial.

- Question maquillage, je n'y connais rien, mais s'il te faut quelqu'un à qui raconter tout ce que tu penses de Gideon, je crois être une oreille attentive, dit Mr George.

- De Gideon ? répétai-je en insistant bien sur les syllabes, comme si je devais d'abord me rappeler de qui il s'agissait. Mais tout va bien entre Gideon et moi.

Yes ! Tout va pour le mieux ! Je donnai un coup de poing au mur en passant.

- Nous sommes amis. Rien qu'amis !

Malheureusement, ce mot « ami » eut du mal à passer mes lèvres.

- Oh non ! pestai-je alors en voyant deux taches rouges sur mes joues. Je dois faire une réaction allergique.

- C'est sûrement dû à la colère, diagnostiqua Leslie quand je lui décrivis le problème. Et tes yeux sont comment ? Ils brillent dangereusement ?

Je regardai mon reflet dans le miroir.

- Oui, il y a de ça. J'ai même un peu le regard de Bellatrix Lestrange dans Harry Potter. Plutôt menaçant.

- Restons amis !

Cette phrase était vraiment pire que tout.

- Je suis sûre qu'une fée meurt à chaque fois qu'on prononce ces mots quelque part, dis-je.

Je m'étais enfermée dans les toilettes avec mon portable et me donnais toutes les peines du monde pour ne pas crier, même si - une demi-heure après ma conversation avec Gideon - j'en avais toujours autant envie.

- Il a dit qu'il voulait que vous soyez amis, me corrigea Leslie qui, comme toujours, avait noté chacun de mes mots.

- C'est exactement la même chose, remarquai-je.

- Et ne t'imagine surtout pas que j'en ai versé beaucoup ! réussis-je encore à dire d'une voix cassée.

- Gwen ! protesta Gideon en cherchant à me prendre la main. Oh, bon sang ! Je suis si désolé. Je ne voulais pas ...s'il te plaît !

S'il te plaît quoi ? Je lui décochai un regard furieux. Ne remarquait-il pas qu'il ne faisait qu'aggraver son cas ? Et croyait-il pouvoir y changer quelque chose, avec son air de chien battu ? Je voulus me retourner, mais il me retint par les poignets.

- Gwen, écoute-moi ! Des temps très dangereux nous attendent et il est important que nous nous soutenions, toi et moi ! Je... je t'aime vraiment bien et je veux que nous...

Il n'allait tout de même pas remettre ça ! Il n'allait pas prononcer encore ce lieu commun. Mais si.

- ... soyons amis. Tu ne comprends donc pas ? C'est seulement si nous pouvons nous faire mutuellement confiance...

Je me détachai de lui.

- Comme si je voulais avoir quelqu'un comme toi pour ami !

Cette fois, j'avais retrouvé ma voix et elle était assez forte pour faire s'envoler les pigeons du toit.

- Tu ne sais même pas ce que signifie l'amitié, ajoutai-je.

Il me fallut encore une ou deux secondes avant de comprendre que, dans cette conversation, nous avions dû chacun bifurquer dans une direction différente. Ce que Gideon avait cherché à me dire n'était pas : « S'il te plaît, pardonne-moi, je t'aime », mais : « Restons bons amis »... et n'importe quel idiot sait bien que ce sont deux choses tout à fait différentes.

Cela signifiait qu'il ne m'avait jamais aimée.

Cela signifiait que Leslie et moi avions vu beaucoup trop de films romantiques.

Cela signifiait...

- Sale type ! m'écriai-je.

La colère, la rage pure, s'empara de moi avec une telle violence que ma voix s'enroua.

- Comment peut-on être aussi gonflé ? Du jour au lendemain, après m'avoir embrassée et déclaré ton amour, tu dis que tu es désolé d'être aussi dégoûtant et que tu aimerais que je te fasse confiance ?

Cette fois, Gideon comprit lui aussi que nous avions parlé en parallèle. Son visage perdit son sourire.

- Gwen...

- Tu veux que je te dise ? Je regrette chacune des larmes que j'ai versées à cause de toi !

Gideon leva la main comme pour me caresser la joue, puis il la laissa retomber.

- Quand on aime, ajouta-t-il, l'autre devient soudain plus important que soi-même. On fait des sacrifices... C'est sans doute ce que pense le comte.

- Et moi, je crois que cet homme ne sait pas de quoi il parle, dis-je avec mépris. Si tu veux le savoir, l'amour n'est pas vraiment sa spécialité et ses connaissances de la psyché féminine sont... pitoyables

!

Et maintenant, embrasse-moi, j'aimerais savoir si les poils de barbe grattent, ajoutai-je pour moi-même.. Un sourire éclaira le visage de Gideon.

- Tu as peut-être raison, reconnut-il en inspirant profondément, comme quelqu'un qui est soulagé d'un gros poids sur le cœur. En tout cas, je suis heureux d'avoir clarifié les choses. Mais nous serons toujours bons amis, n'est-ce pas ?

Pardon ?

- Bons amis ? répétai-je en me sentant soudain la bouche sèche.

- Ce n'était pas si grave, répondis-je doucement.

Un mensonge excusable, pensai-je. Je n'allais tout de même pas lui mettre sous le nez mes larmes versées et mon désir impérieux de mourir de phtisie.

- C'est juste que j'étais... ça m'a juste fait un peu mal... (OK, là, c'était l'atténuation du siècle !)... de penser que tu n'avais fait que simuler tout ça : les baisers, ta déclaration d'amour...

Je m'arrêtai là, gênée.

Il eut encore l'air plus défait.

- Je te promets que ce genre de chose ne se reproduira plus jamais, m’annonça-t-il.

Que voulait-il dire exactement ? Je n'arrivais plus très bien à le suivre.

- Eh bien, oui, maintenant que je le sais, ça ne prendrait plus non plus, dis-je avec un peu plus d'énergie. Entre nous soit dit : de toute façon, ce plan était débile.

Finalement, nous prîmes une grande inspiration en même temps.

- Comment va ton bras ? demandai-je, tandis que Gideon me demandait : Tu vas bien ?

Nous ne pûmes nous empêcher de sourire.

- Mon bras se porte comme un charme, affirma-t-il.

Enfin, il me regarda de nouveau. Oh, mon Dieu ! Ces yeux ! Mes genoux flanchèrent aussitôt et je fus heureuse que Mr Marley soit déjà parti.

- Gwendolyn, je suis désolé pour tout ça. Je me suis conduit... de manière tout à fait irresponsable. Tu n'as vraiment pas mérité ça.