Extraits

Malheureusement, la variante « froide mais marquée sensiblement de colère » ne me semblait pas non plus applicable, vu mon envie irrépressible de me précipiter dans ses bras. Je mordis donc ma lèvre traîtresse en affichant un regard le plus neutre possible. En m'approchant, je m'aperçus, avec une certaine satisfaction, que Gideon se mordait aussi la lèvre et qu'il montrait également un brin de nervosité. Même s'il ne s'était pas rasé et si ses boucles brunes donnaient l'impression qu'il ne s'était peigné qu'en passant la main dans ses cheveux... (et encore !), je fus de nouveau subjuguée à sa vue.

Hésitante, je restai au pied de l'escalier et, l'espace de deux secondes, nous nous regardâmes dans les yeux. Puis il fit glisser son regard vers la maison d'en face et la gratifia d'un « salut ! ». En tout cas, je ne me sentis pas concernée, mais Charlotte se poussa devant moi pour grimper les marches. Elle passa son bras autour du cou de Gideon et l'embrassa sur la joue.

Je pris mon sac, descendis en ignorant la main tendue de Mr Marley et déclarai le plus joyeusement possible :

- Et le vert est la couleur de Gideon, je dirais.

Ah ! Charlotte ne laissa rien paraître, mais j'avais manifestement marqué un point.

- Mais je ne suis pas certaine d'accepter sa proposition, reprit Charlotte en soupirant, sans rien changer à son regard inquisiteur. Il va sans doute se sentir terriblement mal à l'aise parmi tous ces gamins. Il se plaint assez souvent de la naïveté et de l'immaturité de certaines filles de seize ans...

Une fraction de seconde, j'envisageai qu'elle m'ait simplement dit la vérité et qu'elle ne voulait pas spécialement m'énerver. Mais même dans ce cas... je ne lui donnerais pas la satisfaction de m'avoir touchée.

Je hochai donc la tête d'un air compréhensif.

- Mais il serait en ta compagnie on ne peut plus sage, Charlotte, et si ça ne lui suffisait pas, il pourrait aussi discuter avec Mr Dale sur les conséquences malheureuses de la consommation d'alcool chez les jeunes.

Puis elle leva brusquement les yeux, m'examina de la tête aux pieds et me demanda d'un ton agressif :

- Avec qui viendras-tu à la fête de Cynthia ?

Elle cherchait visiblement la bagarre. Mais par bonheur, nous étions déjà arrivées. La limousine s'engageait sur le parking de Crown Office Road.

- Oh, je n'arrive toujours pas à me décider, répondis-je. J'hésite entre Kermit la grenouille ou Shrek, s'il en a le temps. Et toi ?

- Gideon voulait m'accompagner, dit Charlotte en me regardant attentivement.

- Comme c'est gentil de sa part, remarquai-je en lui souriant.

Ce ne me fut pas difficile, car maintenant j'étais à peu près axée en ce qui concernait Gideon.

Étrangement, tout cela me laissa plutôt froide. Sans doute parce que j'étais trop excitée à l'idée de revoir Gideon.

J'avais peut-être même fait de jolis rêves car, dans les secondes magiques entre sommeil et éveil, je m'étais sentie confiante et pleine d'espoir. Mais une fois bien réveillée, j'avais retrouvé mes souvenirs les plus tristes et surtout le premier : Gideon m'a joué la comédie.

Toutefois, une partie de cette impression d'espoir avait perduré dans la journée. Peut-être parce que j'avais enfin réussi à dormir plusieurs heures d'affilée et sans doute aussi parce que j'avais découvert dans mon rêve que la phtisie n'était plus une maladie incurable. Ou tout simplement, parce que mes glandes lacrymales étaient vides.

Tu n'as qu'à t'en prendre à ton frère. Comme tu le sais certainement, nous sommes dans des camps différents dans ce jeu. Et nous ne pouvons pas courir le risque que tu ailles divulguer des informations à Gideon. Qui, soit dit en passant, est un sal... de première.

- Leslie !

Bon sang, mais qu'est-ce qui lui prenait ?

- Cette fois, je voudrais être sûre de mon coup. Tout verdit si vert est un merveilleux thème et je ne laisserai personne me le démolir.

Comprenons-nous bien : du vernis à ongles vert ou un foulard vert ne suffiront pas.

- Est-ce que tu t'écarterais si je te collais un œil au beurre noir ?

grognai-je. D'ici ta fête, il aura verdi à coup sûr.

- Laisse-nous passer !

Je préférai ne pas ajouter que, pour le moment, je me contrefichais de sa fête. De toute façon, ça devait se voir comme le nez au milieu de la figure.

Le Cercle du sang enfin accompli,

La pierre des sages à jamais le lie.

En habit de jeunesse, une force nouvelle Donne au porteur du charme un pouvoir éternel.

Mais la douzième étoile se lève,

Le destin céleste s'achève.

Jeunesse passée, le chêne est voué

Au déclin dans le temps limité.

La douzième étoile en allée,

L'aigle atteint son but à jamais.

Sache qu'une étoile d'amour s'éteint, En cherchant librement sa fin.