La véritable Jacqueline Auriol

J'ai lu ce livre juste après avoir lu "Vivre et voler", l'autobiographie de Jacqueline Auriol (parce que j'avais les deux sous la main, je ne suis pas monomaniaque) donc il a été assez intéressant de comparer les deux. L'autobiographie reste par ailleurs une source majeure de cette biographie : Jean-Pierre Poirier en cite d'ailleurs des paragraphes entiers.

Tout d'abord, alors que Jacqueline Auriol donne le contexte de son récit dans les grandes lignes, Poirier commence chaque chapitre ou presque par une liste détaillée des événements historiques, politiques, sociaux ou culturels en lien avec la période concernée. C'est intéressant pour faire des connexions mais parfois ennuyeux à lire.

Il est également très bavard à propos des progrès de l'aviation, les nouveaux modèles, les moteurs qui les équipent, etc. et là j'ai lu beaucoup de paragraphes en diagonale car ça n'intéressera que les fanas d'aviation ou de mécanique. Voici un exemple : « Peu après débutent les essais du NORD 1402 ou "Gerfaut", premier appareil français à ailes Delta, piloté par André Turcat le 20 septembre 1955. De ce prototype dérive le "Griffon II", propulsé par deux moteurs : un "stato-réacteur" inspiré de la tuyère thermo-propulsive Leduc et un réacteur SNECMA Atar pour le décollage et l'atterrissage. Ce "Griffon II" permettra, le 25 février 1959, à André Turcat de battre le record du monde de vitesse sur 100 km à 1643 km/h. »

J'ai quand même apprécié qu'il pousse davantage certaines explications techniques, par exemple je n'avais jamais réalisé que la vitesse du son et donc le mur du son n'était pas les mêmes selon l'altitude à laquelle on se trouvait.

Une fois enlevées les citations de Jacqueline Auriol et toutes les informations contextuelles (ce qui doit laisser environ la moitié du livre), le contenu restant est plutôt intéressant car il donne un éclairage un peu différent sur la vie de l'aviatrice - sans que ce soit renversant non plus, ce qui semble indiquer que son autobiographie était plutôt honnête - et le monde dans lequel elle a évolué. On peut comprendre qu'elle n'ait pas souhaité s'étendre sur l'échec de sa vie sentimentale ainsi que son divorce... bien qu'on apprenne du coup qu'elle a finalement épousé Paul Auriol en secondes noces alors qu'ils étaient âgés. Ce livre, qui a été écrit plus de 35 ans après l'autobiographie, a en effet également l'avantage de nous donner un aperçu des vingt dernières années de la vie de Jacqueline Auriol (et nous apprendre qu'elle ne s'est pas tuée en avion, contrairement à un grand nombre de ses camarades).

Poirier nous en dit aussi davantage à propos de beaucoup d'aviatrices prédécesseuses ou de l'époque de Jacqueline Auriol, qui elle-même ne les mentionnait pas du tout dans son livre (à l'exception de Jacqueline Cochran).

Je me serais passée de certaines remarques personnelles de l'auteur qui n'engagent que son avis, par exemple quand il se plaint que Jacqueline Auriol ne donne pas de détails sur les "conceptions planétaires" de Molotov (bras droit de Staline) lorsqu'elle raconte une anecdote personnelle à son sujet, ou encore ce passage à propos de la chirurgie esthétique : « La seule qui prenne position contre [les] excès [de la chirurgie esthétique] est Halle Berry (37 ans), ancien mannequin, prix de beauté et héroïne de Catwoman : "Cela me rend triste de voir ce que la société fait aux femmes", dit-elle. Il sera sans doute intéressant de connaître l'opinion de cette ravissante jeune femme dans une dizaine d'années. »

Vers la fin du livre, l'auteur décrypte le profil de Jacqueline Auriol sous l'angle de la graphologie (l'étude de son écriture) et de l'astrologie : un angle d'approche pour le moins inattendu.

En résumé, ce livre est globalement assez aride, à moins que vous ne soyez le genre de personne qui apprécie les listes de noms, dates et informations techniques, mais il est intéressant pour se faire une idée plus large, plus éloignée de l'échelle individuelle que "Vivre et voler", du contexte dans lequel a vécu Jacqueline Auriol. Lire ces deux livres ensemble revient un peu à regarder deux images de quelque chose pour en avoir une vision en trois dimensions.