Le prince scandaleux

** Extrait offert par Maisey Yates **

1.

Latika Bakshmi prit une profonde inspiration avant d’ouvrir la porte. Elle savait exactement ce qui l’attendait de l’autre côté. Ou plutôt qui.

Le prince Gunnar von Bjornland.

Le frère de la reine, hédoniste à la vie dissolue et honte de la nation. Un homme qu’elle méprisait par-dessus tout, objet de sa nouvelle mission. En effet, la reine Astrid, sa patronne mais aussi sa meilleure amie, lui avait confié la tâche de réformer Gunnar. Et elle était résolue à la mener à bien. Encore quelques minutes…

— Cessez de rôder derrière ma porte.

Ladite porte venait de s’ouvrir à la volée, sur un homme plus proche du dieu viking que du simple mortel. Des cheveux blonds coiffés en arrière, légèrement plus foncés que la barbe ombrant sa mâchoire. Des yeux d’un bleu limpide, pur comme la glace sous laquelle couvaient des braises incandescentes. Et ce corps… Une véritable arme de destruction massive, dont tout son sang-froid peinait à la prémunir. Gunnar avait un sens très personnel du décorum, qui ne lui dictait pas d’enfiler une chemise en sa présence. Latika ne savait si elle devait le déplorer ou lui en être reconnaissante. Difficile de détourner les yeux de ce large torse parsemé d’un léger duvet, dont les muscles déliés jouèrent sous la peau lorsqu’il s’écarta pour la laisser passer.

— Comment saviez-vous que j’étais là ? demanda-t-elle sans faire mine d’entrer.

— La tension émanant de vous traverserait une porte blindée. Vous seule émettez ce genre d’aura, Latika.

— Très drôle.

— Vos talons claquent sur le sol en marbre, expliqua-t-il. C’est inquiétant. Si les bruits du couloir me parviennent aussi clairement, dois-je craindre qu’on entende du dehors ce qui se passe dans ma chambre ?

— À vous de me le dire, repartit Latika.

— Oh ! cela m’est égal.

— C’est bien ça le problème.

Elle balaya furtivement la pièce des yeux. Aucune trace de débauche récente. C’est-à-dire aucune rousse pulpeuse ou blonde sculpturale étalée nue entre les draps. Dieu merci ! Mais le lit était défait, signe qu’il venait tout juste de se lever. Sans doute avait-il enfilé à la hâte le jean qu’il portait. Peut-être sans rien en dessous…

Elle s’empressa de chasser cette pensée.

— Astrid m’a demandé…

— J’ai décidé de me marier, l’interrompit Gunnar.

Latika ouvrit des yeux ébahis.

— Vous… Quoi ?

— J’ai besoin d’une épouse. Ma réputation embarrasse Astrid, j’en ai conscience. Elle est mariée et mère d’un enfant. Son règne ouvre au pays la porte d’un brillant avenir. Mon père se retournerait dans sa tombe s’il ne rôtissait pas en enfer.

— Astrid m’a demandé de vous réformer, termina Latika.

— Je sais. Et je ne vois qu’une façon d’y parvenir.

Elle s’était attendue à de la résistance de sa part. À ce qu’il regimbe en noyant l’idée sous un torrent d’allusions grivoises. Certainement pas à ce qu’il prenne les devants.

— Pourquoi le mariage vous intéresse-t-il, tout à coup ? s’enquit-elle avec méfiance.

— Le mariage ne m’intéresse pas, répondit honnêtement Gunnar. Mais un conte de fées est le meilleur moyen de toucher le cœur des gens, vous ne pensez pas ?

— L’exemple de votre sœur semble le suggérer.

— Je ne suis pas l’héritier du trône, et cela me convient, poursuivit le prince. S’il y a quoi que ce soit que je puisse faire pour alléger le fardeau d’Astrid, je le ferai. Le plus simple est encore de me marier.

— Drôle de logique, commenta Latika.

— Vous n’avez aucun respect pour moi, je me trompe ? Eh bien, sachez que je n’ai que faire de votre bonne opinion. Mais le bonheur d’Astrid et l’image de notre pays comptent énormément à mes yeux. Vous allez donc m’aider à trouver une épouse.

— Des exigences ? questionna Latika d’un ton ouvertement caustique.

— Oui, répondit Gunnar sans y prêter attention. Je cherche une philanthrope. Peu importe si son altruisme l’a déjà conduite à faire don d’elle-même.

Latika mit une ou deux secondes à comprendre le sous-entendu.

— Vous n’attendez pas d’elle qu’elle soit vierge ? Quel progressiste vous faites !

— Je ne saurais exiger de ma future femme ce que moi-même ne possède plus, répliqua Gunnar avec un sourire en coin.

Latika sentit le rouge lui monter aux joues.

— Vous n’êtes plus vierge non plus ? Je tombe des nues, ironisa-t-elle.

— Je compte sur votre ample réseau pour me dénicher la perle rare, continua le prince.

L’idée d’arranger un mariage mettait Latika mal à l’aise. Rien d’étonnant à cela, vu sa propre expérience en la matière. Mais bien sûr, Gunnar ignorait tout de sa vie avant son arrivée au palais. Écumer les cercles sociaux fréquentés par des femmes à même de plaire au prince de Bjornland risquait de poser problème à la fugitive qu’elle était. À elle de faire preuve de discrétion et d’éviter les zones de danger. Soit un petit coin d’Europe ainsi que la côte Est des États-Unis. Gunnar ne verrait sans doute aucune objection à ce qu’elle privilégie de charmantes débutantes anglaises au détriment de potentiels partis de l’Upper East Side new-yorkais.

— Blonde ? Brune ? Rousse ? Des préférences ? s’enquit-elle.

— Aucune.

— Vous n’avez pas de genre qui vous attire plus qu’un autre ?

— Si. Le genre féminin.

Latika se retint de rouler des yeux et fit mine de prendre des notes sur son carnet.

— Une femme philanthrope. Hymen non requis, résuma-t-elle avec son plus beau sourire.

— Pas d’hymen serait préférable, rectifia Gunnar. Je n’ai pas la patience d’apprendre à une femme comment me satisfaire.

— Je vois.

Voilà qui l’écartait de la liste. Non qu’elle y eût jamais figuré, se reprit-elle aussitôt. Comme si épouser Gunnar pouvait la tenter !

Il fit volte-face, et son large dos emplit son champ de vision. Latika en détourna les yeux pour concentrer son attention sur le plafond, inoffensif à défaut d’être intéressant. Gunnar ouvrit un tiroir et sortit un T-shirt qu’il enfila d’un geste fluide. La flexion de ses muscles déclencha une tension similaire entre ses cuisses, qu’elle s’obligea à ignorer. Gunnar avait le don de la mettre dans tous ses états. Parce qu’il l’exaspérait, voilà tout. Avait-elle déjà rêvé de mordre cette bouche insolente ou de faire courir sa langue sur son torse de Viking ? Non, jamais.

Pas même comme cela, en passant.

— Ce sera tout ? demanda-t-elle avec un sourire forcé.

— Oui. Je pense qu’on a fait le tour.

— Bien. Je me mets de ce pas en quête de votre future princesse.

— Peut-être devriez-vous mentionner que je possède ma propre entreprise d’éco-architecture, d’une valeur de plusieurs millions de dollars, ajouta Gunnar.

Latika manqua s’étrangler de surprise.

— Vous… vous plaisantez ?

— Pas du tout. Il est temps que cette information sorte au grand jour, vous ne croyez pas ?

— Comment avez-vous réussi à garder le secret ? questionna-t-elle, stupéfaite.

— Tout ce qui intéresse les gens, c’est de savoir avec qui je couche, répondit Gunnar. Personne ne creuse plus loin, et mon nom est soigneusement enterré sous celui de ma société.

— Je…

— Rendre l’existence de cette société publique contribuera à redorer mon image. Je vous laisse rédiger le communiqué de presse.

— Bien sûr, bredouilla Latika. C’est comme si c’était fait.

Leurs regards se happèrent, et des papillons s’agitèrent dans son ventre. Non seulement Gunnar ne s’opposait pas à l’idée de se ranger, mais sa vie, découvrait-elle, ne se résumait pas uniquement au sexe et au jeu. Ces révélations inattendues la troublaient malgré elle.

Non, décida Latika. Gunnar restait Gunnar. Un macho arrogant qui ne méritait que son mépris. Elle s’interdisait d’éprouver quoi que ce soit d’autre à son égard.

Gunnar aimait son existence débauchée. Si c’était avant tout pour contrarier son père qu’il avait adopté ce mode de vie, il n’avait pas boudé son plaisir. Le vieux roi était une relique du passé, incapable d’admettre qu’une femme puisse diriger le pays. Il n’avait jamais accepté que l’héritier du trône de Bjornland soit une héritière et avait tout fait pour empêcher Astrid de régner. Mais sa plus grande déception restait son fils unique, qui avait refusé de se rallier à lui pour renverser sa sœur jumelle.

Non, Gunnar n’avait jamais mordu à l’hameçon. Au contraire, il avait pris un malin plaisir à devenir l’antithèse d’Astrid. Alors que sa sœur menait une vie exemplaire, entièrement dévouée à son rôle, il s’était lancé dans une guerre sans merci contre la bienséance, piétinant les traditions les plus sacrées du pays. Bjornland était devenu indissociable de ses nombreux scandales.

Mais, à présent qu’Astrid était reine, son comportement posait problème. Quelque temps auparavant, une femme s’était présentée au palais en affirmant qu’il était le père de son enfant. Gunnar ne l’avait jamais vue de sa vie. Mais le doute s’était insinué en lui. Il avait beau toujours se protéger, aucun préservatif n’était fiable à cent pour cent. Et peut-être avait-il simplement oublié le visage de cette femme. La nécessité d’un test de paternité lui avait valu le mépris de l’opinion publique. Les critiques avaient plu dans les médias. Et avaient commencé à éclabousser Astrid.

La reine, insinuait-on, n’avait aucun contrôle sur le prince débauché. Son propre frère foulait aux pieds toutes les valeurs si chères au pays. Gunnar s’était réjoui lorsque ces critiques visaient leur père. Sa seule motivation était de protéger Astrid. Sa sœur était forte, mais elle ignorait tout des sombres machinations ourdies dans l’ombre derrière la façade de respectabilité. Gunnar, lui, combattait en première ligne. Il avait toujours protégé Astrid et continuerait à le faire.

Quitte à recourir à son insupportable assistante.

Latika était très séduisante, force lui était de l’admettre. Il avait toujours trouvé étrange qu’une telle perle reste dans l’ombre, reléguée à un poste ennuyeux à mourir. Une femme comme elle méritait d’être couverte de soie et de bijoux. De se prélasser des heures durant dans un bain parfumé avant d’aller retrouver son amant. Pas de passer sa vie à courir partout, le nez sur un agenda. Avec sa bouche généreuse et ses courbes affolantes, elle semblait faite pour l’amour. Au lieu de quoi, elle était la femme la plus rigide qu’il ait jamais connue. Sa beauté frisait l’imposture. Comme il mourait d’envie d’effacer cette ligne sévère qui durcissait ses lèvres, en les tourmentant jusqu’à leur arracher un soupir de plaisir !

Hélas, ce n’était pas à l’ordre du jour. Son monde changeait. Il lui fallait une épouse, à laquelle il devrait fidélité. Cette perspective le démoralisait. Quelle femme était capable de le distraire pour le restant de sa vie ? Aucune. Et, s’il mettait un terme à ses activités dangereuses telles que sauter en parachute ou pulvériser des records de vitesse sur l’autoroute, cette vie s’annonçait bien longue.

Non, décidément, l’idée n’avait rien de réjouissant. C’était pourtant le seul moyen de soutenir Astrid. Il l’avait toujours protégée dans l’ombre sans qu’elle n’en sache rien. Pas question de flancher aujourd’hui. Ce mariage, au fond, était un faible prix à payer. Pour elle, il se rangerait. La mort dans l’âme, mais il le ferait.

S’il ne devenait jamais roi de Bjornland, lui, Gunnar, restait maître de sa vie. Et, lorsqu’il avait pris sa décision, il s’y tenait.