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Scène de vie, Tome 1 : Dans le regard de Gabriel



Description ajoutée par Bombgirl 2023-11-20T13:11:31+01:00

Résumé

Complètement perdu dans les affres de la dépression, et imprégné de traitements lourds, c’est en homme brisé que Gabriel entre dans cette brasserie. Il n’imagine pas que le destin mettra sur son chemin, Claire, une jeune serveuse, douce et aimable qui décèlera l’homme qu’il est réellement, derrière son visage éteint et son élocution difficile.

Elle l’épaulera, le guidera peu à peu vers le chemin de la guérison, persuadée qu’à force d’amour, ils détruiront les chaînes qui le retiennent.

Jour après jour, ils se dévoileront et les passés enfouis ressurgiront, éclairant d’un nouveau jour l’avenir qu’ils se tissent.

Une histoire d'amour où se mêlent tendresse et espoirs, des personnages attachants qui vous emporteront dans leur aventure humaine, abordant la question de la dépression dans une relation de couple naissante.

Comment aider, comment accepter d’être aidé…

Et puis quand l’Amour, le vrai, est au rendez-vous, tout finit bien !

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Classement en biblio - 6 lecteurs

extrait

Chapitre 1

Une légère brise fait chanter les arbres du parc. Leurs branches dénudées sont couvertes de glace. Elles dégèleront peut-être, si le soleil arrive à les réchauffer, mais pour l’heure, il est timide et peine à percer l’épais brouillard.

C’est l’hiver.

Il souffle sa morosité sur les passants, et il rougit leurs joues. Les silhouettes massives, emmitouflées et méconnaissables, semblent glisser, tels des spectres, le long des trottoirs gris.

La ville entière paraît sale. C’est un peu comme si le temps s’était arrêté, et que chaque parcelle du paysage attendait que le printemps la délivre de cette désolation. Comme si la vie ne s’autorisait plus à sortir, et restait cloîtrée derrière les portes des maisons et des commerces. Probablement est-ce le lot de tous les vieux quartiers industriels, où par-delà les maisons, de grandes cheminées grises découpent l’horizon.

Sur les murs défraîchis, on lit encore les publicités fanées qu’on a peintes à même le béton des parpaings, des « réclames », violacées ou jaune pisseux pour « Suze », et « Ricard » datant de l’époque où les annonceurs avaient les mains libres, mais l’imagination minimaliste où l’on pouvait faire publicité de tout. Certains de ces murs soutiennent péniblement les charpentes affaissées, chargées de toitures éventrées. Vieilles bâtisses qui semblent ne plus appartenir à personne, ou alors qui demeurent l’héritage non désiré d’un fils du pays depuis longtemps exilé dans une autre ville, où la notion de tout-à-l’égout et d’éclairage public n’est pas qu’une légende.

Un peu plus loin, à la sortie de la ville, quelques terrains, bien nommés « friches industrielles », servent d’espaces de jeux aux gamins après l’école. On dit que c’est dangereux, et que certaines usines désaffectées sont contaminées, pourtant les mômes qui y jouent n’en semblent pas gênés ; leurs parents, qui y ont joué avant eux non plus, d’ailleurs.

Alors il suffit de remonter la rue pour qu’à quatre ou cinq centaines de mètres, la civilisation se rappelle au spectateur. La modernisation y a grignoté les vieilles maisons, rénové les trottoirs, et rasé les anciennes granges. Quand les agents immobiliers et les promoteurs zélés auront fini leur travail et occupé les derniers espaces libres, elle gagnera sans aucun doute aussi les ruelles pittoresques qui résistent encore. L’ancienne gare ferroviaire, abandonnée dans les années soixante-dix a déjà fait peau neuve. Les nouvelles lignes doivent désengorger la métropole et c’est grâce à cette gare, laide, certes, mais providentielle, que ce quartier a retrouvé et conserve un peu d’activité. C’est le passage obligé entre la banlieue et le quartier d’affaires, et les correspondances parfois fantaisistes des trains offrent aux petits commerces de quoi subsister en larguant, par vagues, des groupes de citadins en transit, avec leurs poignées de minutes à tuer, et leurs précieux porte-monnaie.

C’est précisément une de ces vagues qui vient de débarquer dans la brasserie où je travaille. Elle se dresse en haut de la rue, entre une mercerie qui propose des trésors au charme désuet, et un vieux loueur de cycles, tout aussi désuets, mais bien loin d’avoir le moindre charme. La clientèle est agréable, et pas très exigeante. On attend surtout de nous que les cafés soient servis bien chauds et les viennoiseries, bien fraîches.

Il arrive aussi qu’il nous faille feindre l’amusement devant une plaisanterie douteuse, de celles qu’on nous livre cinq ou six fois par jour, juste pour flatter un peu l’ego d’un jeune cadre dynamique emballé dans un costume — presque — sur mesure, et probablement hors de prix.

Il y a des clientèles qu’on ne doit pas faire fuir, quitte à passer pour une godiche inculte, finalement ce n’est qu’un rôle comme un autre.

Ces clients « précieux », accrochés à leurs ordinateurs portables ou à leurs I. Phones, investissent l’arrière-salle, et c’est d’ailleurs pour eux que le patron a installé le wifi. Ils ne se mêlent pas à la clientèle des habitués, et paraissent incapables de respirer hors de leur meute en habit gris, bleu ou noir dont l’autre point commun semble être la laideur de la cravate, savamment coordonnée à celle de leurs chaussettes. Ils discutent, échangent ou simplement pianotent sur leurs claviers, l’œil rivé sur l’horloge qui annoncera l’heure de reprendre le train pour rejoindre l’un des box insipides qui leur servira d’alcôves pour les sept ou huit heures suivantes.

J’ai parfois pitié d’eux quand je les observe, et je me demande comment cette existence rangée et chronométrée, tirée à quatre épingles peut véritablement représenter un idéal. Combien de ces brillants spécimens masculins soignent déjà un ulcère de l’estomac ?

Finalement, ça demeure un moindre mal, parce que côté bar, ce sont les cirrhoses qu’on soigne… Lorsque les accros du café déserteront la brasserie, seuls resteront les habitués, ceux qui refont le monde après un ou deux calvas ou quelques bières ; de quoi rallumer la chaudière en attendant l’apéro…

Parmi les plus fidèles, il y a Mérédith. Elle est toujours installée à la même table, celle d’où elle voit passer tous ceux qui franchissent la porte d’entrée. Au moins, depuis ce poste d’observation, elle ne peut pas manquer quiconque serait susceptible de lui offrir à boire.

Mérédith n’est pas son vrai prénom, c’est ainsi que s’appelle la jolie femme médecin de « Grey’s Anatomy » sa série télé préférée, et elle semble s’être imaginé que ce prénom lui rendrait une respectabilité qu’elle a plus d’une fois écornée à cette même table. De toute façon, elle se ferait appeler Cléopâtre pour un verre de rouge…

Pauvre vieille femme. L’usine, où elle a travaillé toute sa vie, l’a licenciée il y a presque dix ans, et on lui a dit, comme à tous ceux qui ont été congédiés, qu’on la rappellerait, « quand ça irait mieux ». Elle a pris cela au pied de la lettre, elle attend toujours.

À quelques mètres, arrimé au bord du comptoir, un petit homme espère son verre de vin. C’est Jojo, le livreur de presse, qui ne cessera de trembler que lorsqu’il aura avalé au moins ses deux ballons de blanc. Il a déposé à ses pieds les grosses sacoches de cuir dans lesquelles il transporte ses journaux. Il les distribue à pied, parce que son patron lui a confisqué son vélo, il est bien trop dangereux.

Lui aussi est un ancien de l’usine. Certains disent même qu’il y a été un cadre très important, mais Jojo ne parle jamais de cette époque. Il ne paie plus vraiment de mine ce petit bonhomme maigrichon, pourtant les rares cheveux qui ornent encore son crâne sont propres tous les matins, et il sent bon l’after-shave lorsqu’il arrive. C’est en fin de journée que cela se gâte un peu, quand les yeux brillants et l’air hébété, il nous regarde sans nous voir et baragouine dans une langue que lui seul connaît.

La porte s’ouvre, faisant tinter la clochette.

— Salut, Pierre !

Que dire de Pierre, sinon qu’il est une véritable caricature. Un jour, rockeur, le lendemain, loubard, latin-lover ou rappeur. Il se cherche, il cherche son style, il cherche une petite amie aussi, mais surtout pas de boulot ! Son père est avocat, il finance ses caprices, et il l’entretient dans ses vices.

Il s’est confié à moi, une fois, après une surconsommation de bière qui l’avait rendu un tantinet loquace, et malgré ses airs revêches de rebelle insatisfait, j’ai compris qu’il avait grandi sans repères. Les seules attentes de ses parents étaient qu’il ne soit pas dans leurs pattes et ils lui avaient donné une carte bleue approvisionnée à l’âge de treize ans pour qu’il débarrasse leur précieux plancher. Ceci explique donc un peu cela…

Et il y a tous les autres, des anonymes, des sacs à vins mal embouchés, les minettes en mal de compagnie, les timides, et les exubérants… Parfois, ils m’amusent, d’autres fois ils me navrent.

C’est l’heure du déjeuner, et bientôt, la brasserie sera investie par les étudiants. Ils viennent profiter du menu économique et du wifi gratuit. Le patron leur échange parfois leurs tickets U contre des espèces quand les fins de mois sont difficiles. Ce n’est pas très légal, mais comme ça arrange tout le monde… Côté pourboires, on ne peut pas dire qu’ils soient généreux ; cela dit, ils sont en général de bonne humeur et ça compense !

Depuis l’arrière-salle, j’entends le rire d’Edwige. Elle revient au bar en se dandinant.

— Ils sont trop choux ! s’exclame-t-elle en battant des cils.

Je hoche la tête en soupirant.

— Ce sont des gamins, tu ne peux pas leur ficher la paix ?

Edwige tire sur son chemisier un peu trop ajusté, et qui contient à peine sa poitrine.

— Il y a probablement un futur avocat dans la pièce d’à côté, ou une graine de grand chirurgien, me chuchote-t-elle sur un ton de conspiratrice comme si j’étais sa complice, et puis j’ai à peu près le même âge qu’eux ! ajoute-t-elle en arrondissant les yeux. Elle me fixe avec un air qu’elle imagine certainement candide ; elle est ridicule et je retiens mon envie d’en rire.

Pierre, avachi sur le comptoir, s’étouffe avec sa bière.

— C’est pas ce que raconte ton état civil, ma pauvre vieille !

— Picole et ferme-la, toi, ou sinon, va boire ailleurs ! lui rétorque-t-elle furieuse.

Fred, le patron du bar intervient, il pose la main sur le bras que Pierre avait tendu devant lui pour éviter le coup de torchon qu’Edwige lui destinait.

— Et oh, du calme tous les deux. Et toi, rhabille-toi un peu, s’il te plaît, ce n’est pas le genre de la maison, ajoute-t-il en touchant du doigt le col du chemisier d’Edwige outrageusement béant.

Edwige le fusille du regard, et tourne les talons vers la cuisine.

C’est un beau brin de fille, qui a grandi dans le quartier, elle connaît tout le monde, et tout le monde la connaît. Elle m’a confié qu’elle espérait chaque jour rencontrer celui qui la sortirait de cette existence, et j’ai compris que c’était la raison pour laquelle elle s’attelait à mettre en avant les atouts que la nature lui avait donnés. Elle tombe amoureuse à peu près aussi facilement que d’autres attrapent un rhume. Mais à courir ainsi après tout ce qui porte un pantalon, elle a collectionné son lot de toquards, et aux yeux de tous elle est devenue une bimbo sans cervelle, et elle n’attire plus que des tordus.

Pourtant, elle continue d’y croire.

— Quel rabat-joie, couine-t-elle en regagnant le bar, quelques minutes plus tard !

Je plisse le nez quand elle passe à côté de moi. Elle est sortie pour fumer une cigarette, et a amené avec elle cette odeur caractéristique du mégot trop chaud qu’on grille à la va-vite. Cette petite pause a néanmoins suffi à la calmer. Elle a refermé un bouton de son corsage, ce qui ne le rend pas plus décent pour autant, car il lui manque au moins deux tailles. Elle plonge la main dans sa poche et en sort un chewing-gum qu’elle ne tarde pas à faire claquer contre ses lèvres. La touche finale du tableau…

Je glisse les mains dans l’évier. Ce n’est pas à moi de faire la plonge aujourd’hui, normalement, mais Edwige rechigne à le faire. D’après elle, sa manucure n’y résisterait pas, et j’ai appris par Pierre que lorsque je suis en congé, c’est Fred qui s’y colle pour ne plus entendre ses jérémiades.

Je suis parfois effarée de voir avec quelle facilité elle sait mener notre patron par le bout du nez et je me suis même demandé si Fred n’en pinçait pas un peu pour elle. J’en toucherai éventuellement un mot à Edwige ; après tout, même si fréquenter un patron de bar n’est pas aussi clinquant qu’un chirurgien ou un avocat, Fred est loin d’être repoussant.

De taille moyenne et d’une petite trentaine, il a un très joli sourire et entretient sa ligne. En plus, il est célibataire, ce qui pour une candidate au mariage comme Edwige ne peut être qu’un atout de poids.

Reste à savoir si jouer les entremetteuses avec ces deux-là rendrait vraiment service à Fred.

La clochette de la porte retentit de nouveau, me tirant de mes pensées. Un homme vient d’entrer et traverse lentement la salle pour s’installer à la table qui longe le mur, juste à côté des toilettes.

Edwige, qui s’est assise sur une caisse à bières vide qu’elle a retournée, le désigne du menton.

— Tu veux que je m’occupe de lui ?

— C’est ma partie de la salle, j’y vais.

Que je me coltine la vaisselle qu’elle n’a pas envie de laver, c’est une chose, ce n’est pas pour autant que j’ai l’intention de la laisser servir mes clients. Les pourboires sont une belle part de nos salaires… Je m’essuie rapidement les mains, et je vais accueillir notre visiteur, en déposant au passage une carafe d’eau sur une autre table.

L’homme qui vient de s’installer est impressionnant. Il est assis, et jauger sa taille n’est pas évident, mais il est particulièrement massif. La chaise, tout comme la table, semble presque ridicule maintenant qu’il l’occupe.

Du haut de mon pauvre mètre cinquante-deux, il n’est pas rare que je me trouve petite. Pierre s’est souvent moqué de moi en me disant qu’il faudrait que j’aille travailler dans une école maternelle pour prendre de la hauteur, et bien que l’homme soit assis, nos yeux sont à peine au même niveau.

Je sors mon carnet de commandes et mon stylo.

— Bonjour, bienvenue au Marian’s, que désirez-vous ?

Son regard reste un instant sur ses mains et sa jambe tressaute, comme mue par un tic nerveux. J’entends qu’il respire profondément et enfin il lève les yeux vers moi. Le contact ne dure qu’un bref instant avant qu’il ne baisse de nouveau la tête.

Le stylo prêt, je me fige dans cette posture universelle, que même les touristes étrangers comprennent, pourtant rien ne vient.

Notre brasserie ne dispose pas de cartes comme dans les restaurants. Le menu du jour est inscrit sur des ardoises noires accrochées à plusieurs endroits stratégiques de la salle. L’une d’elles n’est qu’à quelques mètres. Je la lui indique du bout de mon stylo.

— Je vais vous laisser réfléchir.

Avant que je n’aie tourné les talons, il prend une nouvelle respiration, ouvre la bouche, et… la referme.

— Prenez votre temps, je reviendrai plus tard.

Il se racle la gorge et saisit mon poignet.

— Je vous prie de m’excuser, je suis… un peu lent.

Il a la main très chaude et ce contact est gênant. Je retire prudemment mon bras et il comprend que je ne suis pas à l’aise.

— Désolé… me dit-il en baissant de nouveau le regard.

Sa voix est grave, ce qui n’a rien d’extraordinaire vu la largeur de sa poitrine. J’imagine qu’elle opère comme une véritable caisse de résonnance ! Il relève lentement les yeux vers moi, et je suis surprise par la couleur de leurs iris. Ils brillent d’un profond brun chocolat et ne reflètent aucun vice. Sa main qui était quelques secondes plus tôt sur mon poignet est sagement posée sur la table, et ses bras sont aussi épais que des troncs. Je doute même de pouvoir en faire le tour avec mes mains…

— Il n’y a pas de mal. Que souhaitez-vous que je vous serve ?

Il esquisse un sourire. Cet homme a la carrure d’un colosse, et me semble avoir la fragilité d’un enfant. Cette fois, c’est moi qui pose ma main sur son bras, et cela me confirme que je ne pourrai effectivement pas en faire le tour. Il regarde ma main et sourit de nouveau.

— Je vais prendre un café crème et un beignet si vous en avez.

Ces mots sont un peu hachés, mais j’aime bien le son de sa voix.

— Je vous apporte cela tout de suite.

J’imprime une légère pression sur son bras. Il est tellement dur que je ne suis même pas certaine qu’il ait senti quoi que ce soit.

Lorsque je me retourne vers le comptoir, Edwige me regarde, son horrible sourire espiègle accroché sur les lèvres. Elle remonte ses mains devant son visage en signe de reddition quand elle remarque mon air furieux.

— Espèce de sale peste ! Tu aurais dû me dire que cet homme était handicapé. J’ai été brusque avec lui, car je pensais qu’il se fichait de moi ! Qu’est-ce qu’il a pu ressentir selon toi ? Est-ce que tu t’es mise un instant à sa place ?

— Dieu m’en garde !

— Qu’est-ce que Dieu vient faire là-dedans ? Tu es ignoble.

Elle secoue la tête, faisant virevolter sa longue tresse blonde.

— Ça va, c’est Gaby, il n’a pas la lumière à tous les étages, après son café il ne s’en souviendra même pas.

— Tais-toi, tu m’écœures.

Même si le percolateur fait suffisamment de bruit pour couvrir notre échange, je suis gênée.

— Tu devrais te demander lequel de vous deux est le plus handicapé.

Edwige fronce les sourcils.

— Tu veux dire quoi, par-là ?

— Devine !

Je pose le café et le beignet sur mon plateau, et la bouscule pour quitter l’espace du bar.

— Génial, on dirait que c’est ma fête aujourd’hui, geint-elle.

Pas un seul instant je n’ai imaginé qu’elle avait assez d’intelligence pour comprendre ma remarque. Pierre en revanche n’a pas perdu une miette de la conversation et éclate de rire.

— Il a un problème, Zorro, lui lance Edwige ?

Il lisse la moustache qu’il laisse pousser depuis quelques jours sur le dessus de sa lèvre et qui lui vaut ce surnom.

— Non, aucun, par contre, j’ai soif, ajoute-t-il en sortant un billet de cinq euros de sa poche de poitrine. Tu peux me servir un autre demi, s’il te plaît ?

Je traverse la salle et dépose la commande devant mon client.

— Voilà, monsieur, un café crème et un beignet au sucre. Je souhaitais m’excuser pour avoir été brusque tout à l’heure.

Quand il lève ses prunelles brunes vers moi, il me capture. J’y lis de la douceur, de la gentillesse, et ce que je pense être une forme de vulnérabilité. S’il éprouve des difficultés à s’exprimer, ce n’est pas le cas de son regard. Puis il sourit, et je réalise qu’il est bel homme. Une fossette s’est dessinée sur son menton et de toutes petites rides plissent le coin de ses yeux.

Il me tend un billet pour régler sa consommation, et je replie ses doigts pour l’enfermer dans sa paume.

— C’est la maison qui vous l’offre, pour me faire pardonner mon mauvais accueil.

— C’est très gentil à vous, et ce n’est pas…

— Ça me fait plaisir, vraiment. Je vous souhaite un bon appétit.

Je me détache avec peine de ce regard hypnotique, mais je regagne le bar. Je plonge la main dans la poche de mon tablier et en sors quelques pièces que je range dans le tiroir-caisse.

— Pourquoi tu paies sa commande avec tes pourboires ? T’es pas obligée de faire ça !

Je ne prends même pas la peine de lui répondre, et elle hausse les épaules.

— Je dois partir sinon je vais louper mon train pour rentrer chez moi. Tu as intérêt à être correcte avec mon client, sinon…

— Sinon quoi, m’interroge-t-elle ?

— Sinon, rien. Essaye juste d’être gentille, tu verras, ça ne fait pas mal.

Je l’ai vexée, elle quitte le bar en ronchonnant et se réfugie en cuisine, où elle ira, très probablement, se plaindre à Fred, mais je m’en moque. Pierre étouffe un éclat de rire derrière sa main.

— Tu ne la changeras pas, tu sais. Elle est comme ça.

Le savoir ne rend pas cela normal pour autant. Je récupère mon sac sous le bar, et je salue mon gentil client d’un geste de la tête en quittant la brasserie.

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Commentaires récents

Diamant

Dans le regard de Gabriel Scène de vie 1 de Sandra Goislot

🌿🍂Avis de lecture 🍂🌿

C'est la première fois que je lis la plume de cet auteur et m'immerge complètement dans une romance contemporaine.

Claire serveuse travaille dans une brasserie Le Marrian's. Elle connaît bien la clientèle de cet établissement et l'étudie chaque jour avec moult détails. C'est comme un jeu de rôle pour elle. Elle est là gentillesse incarnée.

Fred le patron se fait mener par le bout du nez. Trop gentil ce Fred.

Edwige sa collègue un personnage haut en couleur. Une vraie diva, une bimbo sans cervelle. Elle peut être une vraie peste parfois.

Gabriel dit Gabby un nouveau client a la carrure d'un colosse mais la fragilité d'un enfant qui se voit dans son regard brun chocolat hypnotique. Un sourire de sa part et son visage s'illumine avec un certain charme.

L'écriture est fluide et concise et les dialogues sont juste équilibrés dans le récit.

La différence ou le handicap est abordée avec beaucoup de délicatesse et d'empathie.

Cette phrase : " il a pas la lumière à tous les étages" est tellement violente pour moi. De la méchanceté gratuite à mon humble avis. Ce que l'on ne connaît pas on se moque tout simplement.

"Tu devrais te demander qui est le plus handicapé de vous deux" . Cette phrase de Claire est tellement vrai et remet vite en place une certaine personne.

Cette histoire est vraiment émouvante et pleines d'émotions. L'auteur a su les transcrire avec brio dans son récit tellement réaliste.

Je pourrais être un Gabriel ou une Claire je le ressens comme tel.

Pour Gabriel se rendre à cette Brasserie est un défi de reconnaître son chemin pour rentrer chez lui dans la chaleur du foyer maternel. L'effort de concentration a été colossal pour Gabriel mais il est fier de lui.

Cette mémoire infidèle va le rendre fou. Gabriel est un brin sarcastique dans ses propos envers sa maman c'est tout ce qui lui reste. On ne va pas le lui enlever ce serait inhumain à mon humble avis.

Il a un carnet bleu comme une sorte de journal où il note les événements et les souvenirs de sa journée pour ne pas oublier quand sa mémoire se delite .

Le regard des enfants est naturel et sans jugement.

Claire a une relation compliquée avec sa famille mais je n'en dis pas plus.

Le slow burn se met doucement en place entre Claire et Gabriel.

Pour Gabriel, Claire est la clé de son bonheur.

Rien n'arrive par hasard.

Ce récit a un message d'espoir et de lucidité.

J'ai ressenti de la colère, de la peur, de l'incertitude,de la sur protection, de la tristesse, de la sensualité et du désir à l'état brut, de la frustration aussi.

Pour finir je vous recommande cette histoire qui ne m'a pas laissé indemne loin de là.

Je remercie Sandra pour sa confiance et surtout m'avoir permis d'écrire mon ressenti avec mes propres mots.

Bonne lecture.

Dominique Allard💅

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Diamant

Croire en sa bonne étoile, en sa seconde chance. Croire en la vie. Ce roman nous rappelle que ce n'est ni tout noir ni tout blanc. Tout celà sur le fond d'une belle histoire d'amitié puis d'amour. Toujours la même passion dans l'écriture et dans la construction des personnages. On est prit du début à la fin. Belle manière de traiter des sujets plutôt difficiles mais qui touchent un grand nombre de personnes malheureusement. Alors faites moi confiance et plongez vous dans cette fiction !

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Diamant

J'ai trouvé les personnages très attachants. J'ai été tenu en haleine par l'histoire. Très content de voir qu'il s'agit d'une série j'attaque la suite :)

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Diamant

Bonjour et bienvenue dans mon univers.

"Dans le regard de Gabriel" est le premier roman d'une série de cinq histoires. Vous y découvrirez Gabriel, le gaillard qui se bat contre une dépression à laquelle il ne comprend pas grand chose, et Claire, la serveuse frêle, mais d'une volonté de fer.

Ils vont vous émouvoir, et vous porter sur les vagues de leurs sentiments.

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Date de sortie

Scène de vie, Tome 1 : Dans le regard de Gabriel

  • France : 2023-03-31 (Français)

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