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Extrait ajouté par Luprius 2013-08-29T19:04:53+02:00

Peeta bondit sur ses pieds et vient se planter juste devant Caesar, les mains en appui sur les accoudoirs du fauteuil de son hôte.

-Ah oui? Est-ce que ça faisait aussi partie de son plan de se faire défoncer le crâne par Johanna? D'être paralysée par la décharge? De déclencher le bombardement? (Il crie à présent.) Elle ne savait rien, Caesar! Aucun de nous deux savais rien, sinon que chacun de nous s'efforçait de garder l'autre en vie!

Caesar pose les deux mains sur la poitrine de Peeta, autant pour se protéger qu'en geste d'apaisement.

-D'accord, Peeta je te crois.

-Bon.

Peeta se redresse décolle les mains du fauteuil et se les passe dans les cheveux, emmêlant ses mèches blondes soigneusement coiffés. Il se laisse retomber dans son propre fauteuil, visiblement secoué.

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Peu à peu, au fil des jours, je reviens à la vie. J’essaie de suivre les conseils du Dr Aurelius, de faire les gestes du quotidien sans réfléchir, surprise chaque fois que je redécouvre qu’ils ont un sens. Je lui parle de mon projet de livre, et un grand carton de feuilles parcheminées m’arrive du Capitole par le prochain train.

J’ai eu cette idée en regardant notre livre familial sur les plantes. Un ouvrage dans lequel consigner tout ce qu’on ne peut pas confier aveuglément à la mémoire. Chaque page débute par le portrait d’une personne. Une photo, quand on peut en dénicher une. Sinon, un dessin ou une peinture de Peeta. Puis je rédige, de ma plus belle écriture, tous les détails qu’il serait criminel d’oublier. Lady en train de lécher la joue de Prim. Le rire de mon père. Le père de Peeta avec ses cookies. La couleur des yeux de Finnick. Ce que Cinna parvenait à sortir d’un simple rouleau de soie. Boggs reprogrammant l’holo pour moi. Rue dressée sur ses orteils, les bras légèrement écartés, comme un oiseau sur le point de s’envoler. Et ainsi de suite. On colle les pages à l’eau salée et on se promet de mener une belle vie afin que leurs morts ne soient pas inutiles.

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– Vous vous préparez à une nouvelle guerre, Plutarch ? lui dis-je.

– Oh non, pas tout de suite, répond-il. Pour l’instant, nous sommes dans cette période bénie où chacun s’accorde à reconnaître que les horreurs récentes ne devraient jamais se répéter. Mais la mémoire collective est généralement de courte durée. Nous sommes des êtres versatiles, stupides, amnésiques et doués d’un immense talent d’autodestruction. Pourtant, qui sait ? Cette fois-ci les choses seront peut-être différentes, Katniss.

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Je me dis que Peeta n’avait peut-être pas tort quand il parlait de nous entre-tuer pour laisser place à d’autres espèces plus méritantes. Parce qu’il y a quelque chose de fondamentalement tordu chez une créature prête à sacrifier la vie de ses enfants pour parvenir à ses fins. On peut présenter ça de toutes les manières différentes. Snow voyait dans les Hunger Games un moyen de contrôle efficace. Coin voyait dans les parachutes un moyen d’accélérer la fin de la guerre. Mais en fin de compte, qui en bénéficie ? Personne. La vérité, c’est que vivre dans un monde où ce genre de choses peut arriver ne profite à personne.

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– Malgré tout, je dois reconnaître que c’était un coup de maître de la part de Coin. L’idée que je puisse faire bombarder des enfants sans défense a brisé net le peu de loyauté que mes concitoyens pouvaient encore éprouver à mon égard. Toute résistance a pratiquement cessé après cela. Savez-vous que la scène a été retransmise en direct ? On reconnaît la main de Plutarch là-dedans. Et dans les parachutes. Après tout, c’est le genre d’initiatives qu’on demande à un Haut Juge, n’est-ce pas ? (Snow se tamponne le coin des lèvres avec son mouchoir.) Je suis convaincu qu’il ne visait pas spécialement votre sœur, mais on n’est jamais à l’abri d’un accident.

Je ne suis plus avec Snow maintenant. Je suis de nouveau à l’Armement spécial, dans le Treize, en compagnie de Gale et de Beetee. Penchée sur les schémas inspirés des pièges de Gale. Qui jouent sur la sympathie humaine. Une première bombe qui fait des victimes. Une seconde qui élimine-les sauveteurs. Je me rappelle les paroles de Gale :

« Beetee et moi suivons le même manuel que le président Snow quand il a ordonné le lavage de cerveau de Peeta. »

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La mousse. Je flotte vraiment sur de la mousse. Je peux la sentir du bout des doigts, qui enserre mon corps nu. J’éprouve toujours une grande souffrance mais je commence à reprendre contact avec la réalité. Une sensation de papier de verre dans la gorge. L’odeur de la pommade anti-brûlures de mes premiers Jeux. La voix de ma mère. Toutes ces choses m’inquiètent, et je m’efforce de redescendre dans les profondeurs pour y échapper. Mais on ne revient pas en arrière. Peu à peu, je suis bien obligée d’accepter ce que je suis. Une fille gravement brûlée, qui n’a pas d’ailes. Pas de flammes. Et plus de sœur.

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À mi-chemin ou presque, j’avise une barricade de plots de béton. D’environ un mètre cinquante de haut, elle dessine un grand rectangle juste devant la résidence. On la croirait vide, mais en fait elle abrite une foule de réfugiés. Peut-être s’agit-il de ceux qui ont été choisis pour être logés chez Snow ? Mais en me rapprochant, je remarque un détail. La barricade ne renferme que des enfants. Du petit qui sait à peine marcher jusqu’à l’adolescent, tous effrayés et grelottants. Pelotonnés en petits groupes, ou assis dans la neige, à se balancer machinalement. On ne les fait pas entrer, ils sont parqués là comme dans un enclos, gardés de tous les côtés par des Pacificateurs. Je comprends aussitôt que ce n’est pas pour les protéger. Si le Capitole les voulait en sûreté, il les enfermerait dans un bunker. Ils sont là pour la protection de Snow. Ces enfants constituent son bouclier humain.

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Je sors la clef, détache les menottes de Peeta et les fourre dans ma poche. Il se masse les poignets. Tourne les mains. Je sens une bouffée de désespoir m’envahir. Comme dans les Jeux de l’Expiation, quand Beetee nous avait donné la bobine de câble à Johanna et à moi.

– Écoute, lui dis-je. Pas de bêtises, hein ?

– Non. Seulement en dernier recours. Je te le promets, m’assure-t-il.

Je me pends à son cou, et je le sens hésiter avant de me serrer contre lui. Ses bras ne sont plus aussi solides qu’avant mais ils restent chauds et vigoureux. Mille instants fugaces me reviennent en mémoire. Toutes les fois où ces bras ont constitué mon seul refuge contre le monde. Des moments que je n’avais peut-être pas appréciés à leur juste valeur, mais qui sont restés gravés dans ma mémoire. Et que je ne revivrai jamais.

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Dans la lumière de l’aube, je découvre un spectacle étrange. Un flot de réfugiés en route vers le centre-ville. Les plus paniqués sont en mules et chemises de nuit, tandis que les mieux préparés ont enfilé plusieurs couches de vêtements chauds. Ils emportent toutes sortes de choses, du petit chien frisé au coffret à bijoux en passant par les plantes en pot. Un homme en robe de chambre molletonnée tient à la main une banane trop mûre. Des enfants désemparés, les yeux gonflés de sommeil, trottinent au côté de leurs parents, trop apeurés ou abasourdis pour pleurer. Des détails furtifs passent dans mon champ de vision. Une paire de grands yeux bruns. Un petit bras serré autour d’une poupée favorite. Deux pieds nus, bleuis par le froid, qui trébuchent sur le pavé inégal. Tout ça me rappelle les enfants du Douze qui sont morts en fuyant les bombes incendiaires. Je m’écarte de la fenêtre.

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Un frisson glacé me saisit. Suis-je vraiment si froide et calculatrice ? Gale n’a pas dit : « Elle choisira celui dont la perte lui briserait le cœur », ou : « Celui sans lequel elle ne pourrait pas vivre. » Cela aurait impliqué que je sois motivée par une forme de passion. Non, pour mon meilleur ami, je choisirai celui que j’estimerai « le plus nécessaire à ma survie ». Rien n’indique que l’amour, l’attirance ou même la compatibilité de caractère pèseront dans ma décision. J’examinerai simplement ce que chacun de mes compagnons potentiels aura à m’offrir. Comme si, au bout du compte, tout se ramenait à la question de savoir qui du boulanger ou du chasseur saura me garantir la plus grande longévité. C’est horrible à dire de la part de Gale, et horrible à laisser dire de la part de Peeta. Surtout quand on sait que la moindre de mes émotions a aussitôt été récupérée et exploitée par le Capitole comme par les rebelles. Si je devais trancher maintenant, le choix serait simple. Je survivrais très bien sans aucun des deux.

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