La petite foule

Une des portes de la cuisine donne dans l’atelier de son mari, à la retraite aussi, il y passe son temps à bricoler, il était menuisier, leur maison se trouve entre les boulevards et la sortie de la ville, l’atelier s’ouvre sur une cour cimentée avec un arbre au milieu, entouré de gravier. Il vient de sortir avec son vélo, en bleu de travail, sa pince à vélo serrée à la cheville sur le pantalon, elle aimerait qu’il s’habille parfois plus élégamment. À la retraite ou pas, il met ses bleus tous les jours. Une deuxième porte donne sur la salle à manger, il y a une cheminée, sa parure, un chien en bronze, à moins que ce soit un loup, la petite fille le caresse, il y a une horloge à balancier, un canapé, un buffet, une table au milieu, la pièce est tassée, ils ne s’y installent qu’en famille les jours de fête, entre le canapé et la table il y a juste la place de se faufiler. Le reste du temps c’est un lieu de passage entre le couloir et la cuisine, ou la cuisine et la chambre, qui se trouve en enfilade. Personne d’autre que l’ouvrière et son mari n’y entre. C’est une pièce à part, avec un traitement différent, le chauffage y est coupé la journée, quand la porte est ouverte, on voit le parquet qui brille, les meubles astiqués, la coiffeuse, la table de nuit, l’armoire, le bois ciré qui scintille, il y a des patins à l’entrée. Des années plus tard, une seule fois, la visiteuse y entre. L’ouvrière a les yeux fermés, le visage paisible, elle est dans son lit, et on lui a mis une robe.