Labourdin était un imbécile sphérique : vous le tourniez dans n'importe quel sens, il se révélait toujours aussi stupide, rien à comprendre, rien à attendre.

Nous nous embrassons tout doucement, nos lèvres s'effleurent, son souffle se mêle au mien. J'ai toujours su que j'embraserais bien. J'ai lu tous les magazines, tous les articles, qui vous expliquent comment ne pas se cogner le nez, éviter l'excès de salive, où mettre ses mains pendant ce temps-là. Mais je n'avais pas imaginé ce que j'éprouve maintenant, le léger picotement de son menton frottant le mien, la douceur des ses mains explorant mon dos, l'ardeur de sa langue parcourant mes lèvres et l'intérieur de ma bouche.

Si le chocolat avait été un son, ce son aurait été la voix de Constantine quand elle chantait. Si chanter avait été une couleur, cela aurait été la couleur de ce chocolat.

" Qu'est-ce que tu fous à la fin ?
- Je prends une chambre
- Mais je peux pas rester ici ! J'ai cours, moi, demain.
- Tu en as toujours , des cours. Et des demain, il t'en reste plein. "

" Tu ressasses tes problèmes indéfiniment, comme si tu étais la seule au monde à en avoir. On est tous dans le même bateau tu sais. On naît, on bouffe, on chie et on meurt. Et voilà."

" J'aimerais que tu arrêtes, Papa.
- Que j'arrête quoi ?
- De faire comme si j'allais guérir. "

Je regarde Maman mais tout ce que je vois est que, dégoûtée, elle a détourné le regard; Comment est-ce possible que je me sente plus vieille que ma propre mère ? Je ferme les yeux pour ne pas avoir à constater sa lâcheté.

Je sais pas trop ce que je veux dire par là mais c'est pourtant bien ce que je veux dire.

Je lis que mon bébé, à peine âgé de deux ans, ne pourra bientôt plus marcher, plus parler, plus voir, plus entendre, plus bouger, plus comprendre. Alors, que lui restera-t-il ?

Le sens d'une vie n'est pas déterminé par les épreuves que l'on rencontre. Le sens d'une vie, c'est ce que l'on en fait.

Vous voyez, je pense que si le bon Dieu avait voulu que des Blancs et des Noirs restent aussi longtemps ensemble et aussi près pendant la journée, il nous aurait fait incapables de voir la couleur.

Je voudrais empêcher que le moment arrive - comme il arrive dans la vie de tout enfant blanc - où elle va se mettre à penser que les Noirs sont moins bien que les Blancs.

Toute cette salle allumée par la fièvre du samedi soir est exactement ce qu'il me fallait. J'ai attaqué ma liste et Zoey est d'accord pour m'aider. Ce soir, je vais pouvoir cocher le premier mot : sexe. Et je n'ai pas l'intention de mourir avant d'en avoir fait autant avec les neuf autres.

- Tu devrais réfléchir à l'idée de retourner en classe. Tu verrais d'autres amis.
- Je n'ai pas d’autres amis, dis-je en me retournant vers Papa. Et je te signale tout de suite que je n'ai aucune envie de m'en faire. Je n'ai nul besoin de curieux morbides qui veulent me connaître pour pouvoir s'apitoyer à mon enterrement.

C'est une de mes règles : ne pas créer de liens avec des gens en train de mourir. Il n'y a rien de bon à en attendre;

C'est vraiment en train d'arriver. On nous avait prévenus mais personne n'avait imaginé que ce serait si rapide. Je n'irai plus jamais en classe. Plus jamais. Je ne serai jamais célèbre, je ne laisserai rien derrière moi digne d’intérêt. Je n'irai jamais à l'université, je n'aurai jamais de métier. Je ne verrai pas mon petit frère grandir. Je ne voyagerai pas, je ne gagnerai pas d'argent, je ne conduirai pas, je ne tomberai pas amoureuse, je ne quitterai jamais la maison et n'aurai jamais un chez-moi à moi.
C'est vraiment, vraiment vrai.

Combien de temps puis-je tenir ? Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que j'ai le choix : ou je reste blottie sous mes couvertures et je continue à mourir ou je reprends ma liste là où j'en étais et je continue à vivre.

Je souffle la fumée dehors. A chaque bouffée que je tire, j'entends mes poumons grésiller. Peut-être que je suis tuberculeuse. J'aimerais bien. Les meilleurs poètes étaient tuberculeux. C'est une preuve de sensibilité. le cancer n'est une preuve de rien du tout. C'est juste humiliant.

Devant la glace, je m’arrache un cheveu. Un qui repousse bizarrement beaucoup plus sombre et frisé que les autres, comme un poil de pubis. Je le laisse tomber sur la moquette. Pas fâchée de pouvoir en gaspiller un.

" Que va-t-il se passer, Tessa, finit-il par dire, si tu laisses la colère t'envahir ? Que va-t-elle faire de toi ? Que restera-t-il de toi ? "

Jour après jour, c'était comme si quelqu'un avait démonté, puis remonté ma vie, après avoir soigneusement astiqué chaque pièce.

" Tu as de tendres et jolis souhaits Tess. Mais, tu sais, les autres ne peuvent pas toujours te donner ce que tu veux."

Son haleine embue mes doigts, il embrasse la paume de ma main.
J'enfouis ces trésors dans mon cœur, son odeur sur mes doigts, son goût sur mes lèvres. J'en aurai besoin, comme autant de talismans, pour survivre à cet impossible voyage.

La mort me cloue sur un lit d'hôpital, plante ses griffes dans ma poitrine et s'y installe. Je ne savais pas que cela ferait si mal. Je ne savais pas que cela anéantirait tout ce que j'ai pu vivre de bon dans ma vie.

Je veux mourir à ma façon. C'est ma maladie, ma mort, mon choix.

Je ne veux pas être morte.
Je n'ai pas été aimée ainsi assez longtemps.