Prince des loups

Quand j’entendis ses pas sur les premières marches de l’escalier, je gagnai la porte et testai la serrure. Quand je découvris qu’elle n’était pas verrouillée, je ne me sentis pas mieux à l’idée d’avoir été enfermé dans la bibliothèque toute l’après-midi mais je fus tout de même soulagé. Pendant un instant, j’envisageai de suivre Félix dans l’escalier mais j’ouvris tout d’abord les fenêtres pour regarder le ciel au nord est. La lune s’était levée bien au dessus de l’horizon brumeux et sa silhouette lumineuse était voilée de nuages. En me souvenant de la forme qu’elle avait la nuit de l’embuscade au pont Sénir et en la comparant avec sa forme actuelle, gibbeuse et croissante, j’estimai ma perte de mémoire à sept ou huit jours.

Une semaine ou plus et aucun souvenir.

La principale question qui occupait mes pensées, c’était de savoir ce qui s’était passé pendant cette période. Si j’étais simplement resté inconscient, il n’y aurait pas eu de raison de prétendre autre chose. De plus, les parchemins à feuilleter prouvaient que j’avais été éveillé et actif. J’en étais certain à présent : c’était bien moi qui les avaient créés.

Je portai le verre à mon nez et le humai. Comme je le craignais, il y avait une odeur de viande douceâtre sous l’arôme sucré auquel on se serait attendu. En me souvenant des éléments occultes que j’avais découverts dans la bibliothèque, je me rappelai que l’un des signes du déplaisir d’Urgathoa se trouve être la corruption de la nourriture. Je me penchai à la fenêtre pour jeter ce liquide offensant hors de mon verre.

Du coin de l’oeil, j’aperçus une ombre sur la lune mais quand je me tournai pour lui faire face, je ne vis plus rien. Cela aurait pu être un nuage mais un instant après, je sentis l’odeur caractéristique du vinaigre et j’entendis un choc sourd sur le toit. L’impact était trop fort pour avoir été provoqué par un oiseau ou une chauve souris, en admettant qu’il en reste en vie dans les environs. Je regardai une fois de plus dehors. Ne voyant rien d’autre que les occupants habituels du ciel nocturne, je frissonnai dans le froid et refermai la fenêtre.

Plus je restais à Deuilsaule et plus je tombais dans les clichés des mystères de l’Ustalav. C’était un pays étrange, même pour ses habitants, et à ce rythme, je me retrouverais bientôt à chercher des monstres sous mon lit.

Il était temps que je me montre plus agressif, non seulement au niveau de mes recherches dans la bibliothèque du comte mais aussi dans la résolution des mystères de Deuilsaule. J’avais dans l’idée de me glisser hors de ma chambre et d’explorer les étages supérieurs mais, si je me faisais prendre, cela mettrait en péril mes chances de terminer les recherches qu’il me restait. De plus, j’avais non pas une mais deux expériences à tenter avant d’être sûr de mes aptitudes à échapper aux gardes de la maison et de résoudre les mystères de ces lieux avant de suivre votre piste. Une nuit de sommeil de plus décidai-je et j’entrerais en action.