Bientôt nous nous Aimerons

Mam’ lui a fait un excellent accueil le premier soir et quelques autres fois, encore. D’une soirée à l’autre, il prenait ses aises, ne cherchait plus sa place, venait par surprise, tendait sa canne, son chapeau et son pardessus, comme un prince. Il était coquet et fort bien vêtu. Il portait une écharpe en soie, de la très belle soie comme on n’en voit plus de nos jours, avec des motifs complexes et tout chamarrés.

La porte grinçait sa note sinistre, la petite silhouette malingre et bossue se dessinait dans la lumière blafarde. Il souhaitait le bon soir de sa voix élégante et passait le seuil sans attendre d’y être invité, ensuite, il tendait son linge à Mam’ qui insensiblement, se rembrunissait de soir en soir.

L’oncle, nous l’appellerons simplement l’oncle, s’installait à table et se laissait servir un verre de vin. Il le buvait lentement, car il souffrait de brûlures à l’estomac, d’ailleurs, il était bien vieux et égrenait tous ses problèmes de santé qui étaient nombreux et qui, disait-il, le rapprochaient chaque jour de son Créateur.

Les trois sujets revenant en boucle dans sa conversation étaient sa santé, Dieu et Michelangelo Buonarroti peintre. Il était seul à parler car, qui d’autre que lui aurait été à même d’exposer ses problèmes d’estomac, d’intestins, de cœur, d’articulations et de colonne vertébrale ? Dieu n’était pas un sujet très à l’honneur chez nous. Quant à Michel-Ange, je devais être la seule de ma famille à en devenir érudite, mais des années plus tard, seulement. Aussi, faisait-il les questions, les réponses et la narration tout seul. De temps en temps, Mam’ pour se donner une contenance faisait mine d’approuver, ou de comprendre ce charabia.