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La missive oubliée



Description ajoutée par Ju_Books 2019-08-20T15:57:54+02:00

Résumé

Newcastle, Angleterre, 1846

Pour Miss Emma Harrison, orpheline de mère, seule la guérison de son père bien-aimé importe. Aussi cache-t-elle à tous l’état de ce dernier pour protéger le joyau de toute une vie : sa compagnie Harrison et Lowe, spécialisée en construction. Mais lorsque Jack Stanton, devenu ingénieur, refait surface pour lui prêter main-forte sur le chantier d’un pont, Emma sent ses défenses faiblir. Cet homme, le plus qualifié pour la seconder, est aussi le seul qu’elle ait jamais aimé et qui l’a abandonnée sans un mot sept ans plus tôt…

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Classement en biblio - 5 lecteurs

extrait

Extrait ajouté par Underworld 2020-01-09T21:06:48+01:00

** Extrait offert par Michelle Styles **

Chapitre 1

Novembre 1846, Newcastle-upon-Tyne, Angleterre

— À votre place, j’éviterais de nourrir trop d’espoirs, Miss Emma, déclara Mudge, le contremaître. La première étude était assez claire. Le patron, votre père, serait d’accord avec moi s’il était là.

Ses paroles résonnèrent sur les murs du petit bureau confiné.

Emma Harrison prit une profonde inspiration et essaya de contrôler son irritation malgré son envie croissante de hurler. La dernière chose dont elle avait besoin était de recevoir une leçon de Mudge qui tentait de lui expliquer pourquoi le tracé du pont devait rester inchangé. Elle était capable de lire un plan aussi bien qu’un homme.

Mieux que beaucoup, d’ailleurs.

— Je vous l’ai déjà dit, mon père est d’accord avec moi, soupira-t-elle. Combien de fois dois-je vous le répéter ?

Elle reporta son attention sur le plan du chantier accroché au mur.

— Votre père n’a pas été très bien, ces derniers temps, rétorqua Mudge. Je vous prie de m’excuser, miss, mais tout le monde sur le chantier le sait.

Emma s’efforça de sourire en ignorant son mal de tête grandissant. La journée avait mal commencé et tout indiquait que cela allait empirer. Son esprit la ramenait toujours à la même question : comment allait-elle faire pour que les travaux du pont soient terminés dans les temps ?

Quelques rares ouvriers arpentaient le chantier qui surplombait la Tyne, l’air découragé. Ils étaient trois fois moins nombreux qu’ils l’avaient été le samedi. Lorsque au petit matin, Emma avait fait le trajet depuis Jesmond, la tour-lanterne de l’église Saint-Nicolas était à peine visible. Le chantier n’avait plus rien à voir avec le lieu ensoleillé et animé du samedi précédent, date à laquelle on avait attendu en vain Jack Stanton.

Emma inspira bruyamment. Et si Jack Stanton se présentait aujourd’hui ? songea-t-elle. Quelle serait sa réaction face à ce chantier désert ? Elle déglutit péniblement et refusa d’envisager toutes les horreurs de ce scénario.

— Soyez raisonnable, Miss Emma.

— Je le suis, Mudge. Je connais toutes les excuses par cœur, dit-elle. Nous sommes lundi, et les ouvriers viennent d’être payés. C’est un lundi saint. Les hommes reviendront lorsqu’ils auront dépensé tout leur argent et que les poches des patrons de pub seront pleines. J’ai grandi au milieu des chemins de fer et des convois de chariots. Cela a toujours été ainsi et le sera jusqu’à la nuit des temps.

Mudge marmonna un juron.

Emma se leva et regarda par l’étroite fenêtre. Le brouillard s’était épaissi et le brasero allumé à côté des premières fondations brillait d’un éclat orange.

— Que voulez-vous, miss ? demanda Mudge. Que dois-je dire aux hommes ?

Qu’ils doivent finir de construire ce pont avant la mort de mon père, répondit Emma pour elle-même. Toute sa vie, son père avait rêvé de bâtir le premier pont ferroviaire au-dessus de la Tyne. La requête était pourtant simple, mais elle ne pouvait pas l’exprimer à voix haute. La gravité de la maladie de son père devait rester secrète.

— Que nous allons avoir beau temps jusqu’à Noël, peut-être même jusqu’au nouvel an. Que la nouvelle étude du lit du fleuve nous conforte dans nos choix et que nous allons pouvoir ériger les piliers deux fois plus vite que prévu.

— Vous manquez d’ambition, miss, répliqua Mudge. Dois-je ajouter paix et prospérité, tant que j’y suis ?

Emma ignora la remarque. Elle refusait de se laisser intimider par le contremaître. Elle n’avait plus dix-huit ans, âge auquel elle ne songeait qu’à sa prochaine paire de chaussons de bal. Elle savait comment se construisaient les ponts. Elle avait appris.

— Oh ! et j’oubliais, reprit-elle. Le château… Le donjon et les appartements royaux doivent être préservés si possible.

— Seule une femme peut se soucier d’un amas de vieilles pierres. Il serait préférable de tout détruire et de réutiliser les pierres. C’était ce que préconisait la première étude.

— Néanmoins, nous devons les conserver. La première étude était fausse.

— Ah, mais que faites-vous des investisseurs, Robert Stephenson et son nouvel associé… Ce Jack Stanton ? Ils sont malins, vous savez.

Mudge croisa les bras sur sa poitrine.

— Votre père n’a pas toute sa tête s’il est d’accord avec vous… si vous me permettez, continua-t-il. S’il n’en tenait qu’à moi, je vendrais l’entreprise et j’en tirerais tout ce que je peux. Construire des ponts est l’affaire d’un homme jeune.

Emma se mordit les lèvres. Elle avait besoin de Mudge et de sa capacité à diriger les hommes si elle voulait avoir le moindre espoir de réaliser un jour le rêve de son père. Elle ne se faisait aucune illusion quant à l’attitude des ouvriers à l’égard des femmes ingénieurs ou des femmes dirigeant d’importants projets de construction. Mais de la même manière, elle refusait d’abandonner le rêve de son père et avec lui, son entreprise, sous le simple prétexte qu’il était trop malade pour se rendre tous les jours sur le chantier.

— Si c’est tout ce que vous vouliez me dire, conclut-elle, je le rapporterai à mon père et je reviendrai demain avec ses ordres.

— Comme vous voudrez, miss. Mais réfléchissez à ce que je vous ai dit. Je ne vous ai jamais trompée. Personne ne pourra dire qu’Albert Mudge n’est pas un homme loyal.

Emma s’empara des documents, et évacua sa colère en essayant de les fourrer avec véhémence dans sa sacoche. Elle parviendrait à convaincre le contremaître.

Le donjon était important.

— Miss, transmettez mes salutations à votre père. Il faut que…

— Il y a quelqu’un ? résonna une voix grave et masculine depuis le comptoir. Ou bien cette baraque est-elle aussi déserte que ce chantier ?

Emma se figea et laissa tomber les documents qui s’étalèrent en désordre sur le bureau. Cela faisait sept ans qu’elle n’avait pas entendu cette voix, mais elle l’aurait reconnue entre toutes. Elle ne contenait plus ni chaleur ni familiarité, mais Emma ne pouvait se tromper. C’était la voix de Jack Stanton. Comme une farce du destin venue ternir encore plus cette journée.

— Laissez-moi m’en occuper, proposa Mudge avant de se diriger vers le comptoir.

Emma prit une inspiration. Il fallait qu’elle fasse confiance à Mudge. Jack Stanton ne devait pas entrer dans ce bureau. Une rencontre était inutile. Il lui suffisait de rester tranquillement assise, à l’abri dans le bureau de son père. Cela n’était pas digne d’elle, mais c’était nécessaire.

— Je suis attendu !

Le ton grave et insistant résonna dans la petite pièce.

— Il ne peut pas y avoir d’erreur. Vous allez me laisser entrer, continua Stanton.

— Mr Harrison est sorti, sir. Si vous voulez bien revenir plus tard, à une heure qui convienne à tout le monde ? répondit Mudge d’une voix servile.

Emma hocha la tête. Elle invita en silence Jack à accepter cette proposition et à revenir à une heure fixée à l’avance, où elle serait certaine de la présence de son père.

Elle s’adossa à son siège, l’entendit grincer et fit la grimace.

— Mr Harrison va me recevoir, insista le visiteur. Je l’entends qui bouge dans son bureau. Dites-lui que Jack Stanton demande un entretien.

— Mr Harrison n’est pas disponible, répliqua Mudge. Si vous désirez lui parler, vous allez devoir revenir à un autre moment, sir. Mais je serai heureux de répondre à vos questions.

Emma carra les épaules. Elle refusait de se cacher dans le bureau comme un lapin apeuré pendant que Mudge faisait visiter le chantier à Jack. Le contremaître ne manquerait pas d’appuyer le tracé actuel du pont.

Jack Stanton ne lui faisait pas peur. Si elle laissait Mudge continuer, il risquait de divulguer le secret de son père et l’entreprise serait perdue.

Emma connaissait la réputation de Jack Stanton. Presque malgré elle, elle avait suivi sa carrière. Le jeune ingénieur en génie civil, apprenti de son père, était devenu l’un des propriétaires de chemins de fer les plus riches et respectés de tout le royaume. Mais personne ne pouvait percer aussi vite sans se montrer impitoyable. Elle avait entendu des rumeurs disant comment il avait renvoyé la plupart des ouvriers qui travaillaient à la construction d’un pont à Manchester et avait forcé ceux qui restaient à travailler jour et nuit pour que le pont et sa ligne de chemin de fer soient terminés dans les temps.

— Faites entrer Mr Stanton, Mudge. Je vais m’entretenir avec lui, dit-elle d’une voix forte.

Elle n’avait plus dix-huit ans, mais vingt-cinq. Elle était devenue une vieille fille endurcie.

Millionnaire ou pas, Jack Stanton était une personne qu’Emma connaissait. Elle avait mis un terme à leur relation. À l’époque, c’était ce qu’elle avait eu de mieux à faire, et elle en était encore convaincue à ce jour. Elle avait fait passer les besoins de sa famille avant une toquade passagère, comme disait sa mère. Si Jack l’avait vraiment aimée, il aurait compris. Mais cela n’avait visiblement pas été le cas. Il était parti sans un mot.

Mudge la regarda fixement, la bouche ouverte.

— Mr Stanton dit vrai. Nous attendions son arrivée, même s’il est en retard.

— Comme vous voudrez, Miss Emma.

Mudge s’écarta et s’inclina vers Mr Stanton avec un geste exagéré de la main pour l’inviter à entrer.

— Miss Harrison désire vous voir, sir.

Emma aurait préféré que Jack Stanton soit devenu gros, avec de la barbe et prématurément chauve.

La silhouette vêtue d’une redingote cintrée s’avança d’un pas souple dans la pièce avec la grâce d’un prédateur. La coupe du manteau mettait en valeur la taille fine du visiteur et ses larges épaules. Il ressemblait en tout point à un homme d’affaires prospère, mais sans le côté ostentatoire auquel Emma aurait pu s’attendre de la part d’un nouveau riche comme lui.

Les cheveux noir de jais et les yeux de Jack ressemblaient plus à ceux des héros des romans d’amour ou des romans noirs que l’on trouvait dans les halls de gare qu’à ceux d’un homme de la vraie vie.

Comme pour bien d’autres choses ces derniers temps, Dieu n’avait pas entendu ses prières, soupira Emma.

Elle détourna les yeux pour se concentrer sur la lueur froide de son regard et sur le sourire en coin qui étirait ses lèvres pleines. Il avait l’air arrogant. Suffisant. Dangereux.

Emma tendit la main et força son cœur à oublier comment Jack était sept ans plus tôt. La douleur qu’il lui avait causée n’était plus qu’un lointain souvenir.

— Mr Stanton, cela fait bien longtemps que nous ne vous avions pas vu.

— Miss Harrison.

Il hocha la tête vers elle mais ignora sa main tendue. Emma la laissa retomber le long de son corps. Si seulement elle avait mis une tenue plus seyante que cette robe grise datant de l’année précédente. Mais celle-ci lui offrait une meilleure liberté de mouvements.

— Puis-je vous demander ce qui vous amène ici aujourd’hui ?

— Je suis venu traiter avec votre père.

— Vous êtes venu traiter avec Harrison and Lowe. Nous vous attendions deux jours plus tôt.

— J’ai malheureusement été retenu. J’ai envoyé une lettre informant votre père de mon intention d’arriver aujourd’hui.

— Manifestement, votre lettre s’est égarée.

Emma désigna d’un geste les lettres qui envahissaient le bureau. Elle voulait bien concéder à Jack cette excuse mais elle était certaine de n’avoir rien reçu. Il avait voulu les prendre par surprise, cela ne faisait aucun doute. C’était le genre de ruses dont usaient les hommes comme lui.

— Mon père n’est pas disponible aujourd’hui, continua-t-elle. Vous pourriez peut-être m’éclairer sur les raisons de votre visite ?

— C’est votre père qui a sollicité ce rendez-vous, répliqua Jack Stanton sans l’ombre d’un sourire. J’espérais que vous seriez en mesure de m’en dire plus.

— Je ne pense pas que cela soit possible. Le chantier a commencé il y a un peu plus d’un mois. Mon père et Mr Stephenson se sont alors longuement réunis. Tout a été programmé selon leurs désirs.

— Je regrette mais j’étais à l’étranger à ce moment-là. Le bateau qui me ramenait de Rio a été retardé.

Jack la parcourut de la tête aux pieds avant de s’attarder sur ses lèvres. Emma se moquait de savoir ce qu’il pensait d’elle.

— Le temps que je revienne, reprit-il, le chantier avait commencé. J’imagine qu’il n’y a pas de contretemps ? La ligne Newcastle-Berwick doit ouvrir en mars, et nous ne pouvons nous permettre aucun retard.

Emma hocha sèchement la tête. Les sous-entendus de Jack Stanton étaient clairs. S’il avait été là lors des négociations, il n’aurait jamais choisi Harrison and Lowe pour ce projet, malgré leur longue association avec les Stephenson. Et, étant donné ce que les journaux avaient écrit sur l’accroissement récent de sa fortune, il ne faisait aucun doute que Robert Stephenson aurait écouté son tout nouvel associé.

Emma refusait d’y songer. Il fallait qu’elle fasse comprendre à Jack que non seulement Harrison and Lowe terminerait le projet, selon l’accord, mais aussi qu’ils devaient conserver le donjon.

— Dans ce cas, nous devons vous faire visiter le chantier. Je suis certaine de pouvoir vous montrer les avancées, déclara Emma en s’efforçant de sourire.

Elle n’avait pas enduré les contraintes de la haute société sans avoir appris l’art subtil de la dissimulation.

— Il reste une petite question sur la façon dont le pont doit traverser le site du château, continua-t-elle. Mon père a commandé une nouvelle étude, et il semblerait que nous puissions conserver le donjon, qui est le symbole même de Newcastle, même si les fortifications extérieures doivent être détruites.

— Miss Emma…, intervint Mudge en se raclant la gorge.

— Mudge, il me semble que d’autres tâches vous attendent. Je suis parfaitement capable de faire visiter le site à Mr Stanton et de répondre à toutes ses questions. Nous sommes de… vieux amis.

— Vous allez me faire visiter le chantier, Miss Harrison ?

Jack Stanton avait haussé un sourcil étonné et un léger sourire plana sur ses lèvres.

— L’idée me paraît certes très séduisante mais je ne voudrais pas m’imposer, ajouta-t-il.

— Il fait très froid dehors, précisa le contremaître. La neige a commencé à tomber assez fort.

Emma s’efforça de rester calme. Elle refusait de se disputer de nouveau avec Mudge. Quel homme obstiné !

— Je pense que je suis la mieux placée pour guider Mr Stanton, insista-t-elle. Nous avons déjà parlé de vos tâches ce matin.

— Très bien, Miss Emma.

Mudge ne bougea pas d’un pouce.

Emma regarda avec insistance vers la porte, et le contremaître quitta la pièce en grommelant. Emma espérait qu’il parvienne à contraindre plusieurs hommes à se mettre au travail malgré le temps. Jack Stanton devait voir les progrès accomplis malgré la neige.

— Et maintenant, Mr Stanton, que souhaitez-vous voir en premier ? Les fondations ou bien les ruines du château ?

— Il me tarde de faire cette visite, Miss Harrison. La douceur de votre ton me changera de mes guides habituels.

Ce disant, Jack lui tendit un bras qu’Emma ignora ostensiblement. Elle fit la grimace en l’entendant insister légèrement sur le mot « Miss ». Elle savait ce que cela signifiait : Emma Harrison, la femme qui avait espéré faire un bon mariage, menait une vie de vieille fille. Mais elle avait fait le bon choix. Sa mère avait eu besoin de soins à la fin de sa vie et, à présent, son père avait besoin de compagnie. Emma n’était nullement tenue de justifier ses choix, encore moins face à un homme pour lequel elle n’avait été qu’une amourette de passage.

— Nous commencerons donc par les fondations, déclara-t-elle.

— Je suis à votre disposition, Miss Harrison.

Il s’inclina devant elle, mais son sourire n’atteignit pas ses yeux.

— Pouvez-vous me dire où se trouve votre père ?

— Il n’est pas visible. Plus vite nous commencerons cette inspection, et plus vite nous en aurons terminé. Harrison and Lowe est le meilleur constructeur de ponts de la région.

— C’est ce que votre père m’a toujours fait croire.

Emma tenta d’ignorer son mal de tête croissant. À la fin de cette visite, Jack Stanton serait convaincu que l’entreprise de son père allait accomplir le travail pour lequel elle avait été retenue. Il le fallait.

Lorsque Emma sortit de la cabane, Jack suivit du regard le léger balancement de ses hanches. Il ne s’attendait pas à la trouver là. En ce qui le concernait, Emma Harrison et tout ce qu’elle avait représenté un jour à ses yeux appartenaient désormais au passé. Un passé qu’il avait espéré effacer pour toujours de sa mémoire. Il n’avait plus besoin de nourrir de tels rêves aujourd’hui.

Il se souvenait très bien du nombre de soupirants qui gravitaient autour d’elle. Margaret Harrison le lui avait clairement dit. Elle voulait que sa fille fasse un beau mariage. De son côté, Jack avait impétueusement suivi son cœur et avait fait sa demande à Emma en misant sur l’affection qu’elle lui portait et sur les perspectives que lui réservait l’avenir. Elle avait négligé sa demande, n’avait jamais répondu à sa lettre, il était alors parti. Même s’il n’avait jamais eu aucune nouvelle d’elle, il s’attendait à découvrir qu’elle était mariée.

Sauf que ce n’était pas le cas. Le temps n’avait pas été très clément avec elle. Jack essaya de concilier l’image de la jeune femme dont il avait le souvenir avec celle qui marchait devant lui, enveloppée de vêtements gris qui se fondaient dans le brouillard. Ses cheveux tressés, attachés en couronne sur sa tête étaient recouverts du chapeau le moins flatteur qu’il ait jamais vu. Sa jupe glissait sur la boue, comme lestée par des chaînes. Mais ce n’était pas son problème. Cette époque était désormais derrière lui et, aujourd’hui, son avenir s’annonçait glorieux : construire des ponts et des chemins de fer, consolider ses entreprises et jouir du fruit de son travail.

Mais d’abord, il devait découvrir pourquoi Edward Harrison lui avait écrit pour lui demander de venir. Jack avait souhaité déléguer le chantier du pont à Stephenson, se contentant de fournir le financement nécessaire. Mais à présent, Stephenson était d’accord avec Harrison. Il fallait que Jack se rende à Newcastle pour vérifier si tout allait bien.

Une rafale de neige fondue s’abattit sur lui lorsqu’il sortit de la baraque faiblement chauffée. Emma, qui marchait devant lui, lui montra les différents endroits où les fondations avaient été coulées et où les pierres avaient déjà été dégagées.

Soudain, une nouvelle bourrasque la propulsa en avant, vers le précipice. Jack la rattrapa aussitôt et la tira en arrière pour la mettre en sécurité. Une pierre céda et roula au pied des fortifications du château. À cette distance, Jack distingua les prunelles gris-bleu d’Emma, bordées de longs cils noirs, et plus brillantes que jamais.

Ils se fixèrent un long moment, puis il lâcha son bras et s’écarta.

— Vous êtes en sécurité maintenant, affirma-t-il. Vous devriez faire plus attention à vous. Vous ne seriez pas tombée aussi légèrement que cette pierre.

— Je sais ce que je fais, répliqua Emma en levant le menton d’un air de défi.

— Le vent est très fort et, avec ces jupes, vous vous mettez en danger.

— Vous pouvez constater qu’il s’agit du meilleur endroit pour faire passer ce pont, malgré les difficultés manifestes. Mais il reste encore une question quant au tracé exact.

Emma désigna les vestiges du château et s’éloigna de lui en ignorant ses conseils pourtant bien intentionnés.

— Si le pont passe légèrement sur la gauche, nous pouvons sauver le donjon, conclut-elle.

Que Dieu le préserve des femmes qui voulaient se mêler de tout. Emma Harrison n’avait manifestement aucune idée du temps et des efforts nécessaires à la planification et à l’édification de ce pont.

Jack ne voulait pas s’embarquer dans une croisade chimérique juste pour lui faire plaisir.

— Stephenson et moi sommes du même avis. Les premières études montrent que le tracé actuel est le plus recommandé.

— D’après une étude plus récente…

L’expression d’Emma se figea et elle fit la moue.

Jack leva une main. La farce avait assez duré. Edward Harrison n’avait jamais laissé ses filles se rendre sur des chantiers de construction. Le Edward Harrison dont il se souvenait avait une notion très stricte des bonnes manières. Depuis quand y avait-il renoncé au profit de sa cadette ?

— Les premières études sont justes, dit-il. Je pourrais vous l’expliquer, Miss Harrison, mais je n’ai nullement envie de vous ennuyer avec des considérations techniques. Je pense que vous préféreriez parler du temps qu’il fait. Ou des dernières tendances qui sévissent à Londres. Mais je crains d’être un peu éloigné de tous ces raffinements mondains car je reviens tout juste d’un voyage de plusieurs mois au Brésil.

— Bien au contraire, Mr Stanton, rétorqua Emma. Le fait d’être devenue une vieille fille endurcie et acariâtre m’autorise à avoir des conversations plus intéressantes que les derniers commérages. Il faut bien que nous trouvions notre plaisir là où nous le pouvons. Je serais très heureuse d’avoir cette discussion avec vous.

— Une vieille fille acariâtre ? répéta Jack.

Le célibat était un statut qu’il n’aurait jamais imaginé pour Emma Harrison. Il se souvenait encore de tous ces hommes qui tournaient autour d’elle. Elle était une jeune fille intelligente, pleine de vie, et son carnet de bal était toujours plein. Que s’était-il passé ces dernières années ? Comment en était-elle arrivée là ?

— Ce n’est pas ainsi que je vous décrirais.

— Après la disparition de ma mère, peu de choix s’offraient à moi : il me fallait devenir soit une femme excentrique, soit une vieille fille courageuse mais sans intérêt. J’ai choisi la solution la plus acceptable.

Un étrange sourire plana sur ses lèvres.

— Vous paraissez d’accord avec moi, ajouta-t-elle.

Jack sursauta puis se ressaisit. Il n’avait pas réalisé que ce qu’il pensait de la laideur de la robe et du chapeau d’Emma se lisait sur son visage. Il hocha légèrement la tête et essaya de se rattraper.

— Je n’avais pas compris que le célibat était une situation aussi enviable.

— Dans ce cas, vous avez compris bien peu de choses.

Le vent avait coloré les joues de la jeune femme et son nez était rouge, ce qui apportait un peu de couleur dans cet environnement si gris.

— Je trouve que parler de la construction des ponts est infiniment plus intéressant qu’apprendre à ajouter un galon à un chapeau, faire du crochet ou confectionner une pelote à épingles.

— Renoncer au mariage parce que vous nourrissez une aversion pour les conversations frivoles me paraît un peu exagéré, répliqua Jack. Je croyais que le mariage était l’objectif de toutes les jeunes femmes.

— Nous ne sommes pas ici pour parler des raisons de mon célibat, Mr Stanton. Sachez que je suis très heureuse de mes choix, ajouta-t-elle, le regard brillant. Je ne regrette rien.

— C’est une sage résolution que tout le monde devrait adopter, éluda Jack.

Mais où donc les menait cette conversation ? Que voulait cette Miss Harrison ? Ses propos sous-entendaient autre chose.

— Et vous ? demanda-t-elle en prenant un air altier. Êtes-vous marié ? Votre maison est-elle pleine de conversations frivoles et de pelotes à épingles ?

Elle lui décocha un regard hautain, avec un calme qu’il avait trouvé charmant des années plus tôt, avant qu’il ne découvre à ses dépens les femmes et leurs humeurs changeantes.

— Heureusement, j’ai réussi à échapper aux machinations des mères et de leurs filles.

Jack pinça les lèvres. Les remarques d’Emma indiquaient clairement où se situaient ses espoirs. Mais il ne la laisserait pas se servir du passé simplement parce que ses attentes ne s’étaient pas réalisées.

De qui s’agissait-il déjà ? D’un duc ou d’un comte fortuné au contraire de lui ? Il avait oublié le nom de l’homme pour lequel la mère d’Emma nourrissait tant d’espoirs. Et la fière Emma Harrison ne pouvait supporter d’admettre qu’elle avait mal jugé la situation.

— Mais le confort domestique ne vous manque-t-il pas, Mr Stanton ? Ne désirez-vous pas trouver vos chaussons tout chauds au coin du feu ?

Elle leva de nouveau vers lui ses prunelles bleues impassibles.

Était-ce donc pour cette raison que Harrison lui avait écrit ? Cherchait-il un mari pour sa fille cadette ? Dans ce cas, il s’était malheureusement trompé. Jack n’avait nullement le désir de refaire sa demande. Il avait été suffisamment humilié la première fois.

— Actuellement, j’aime ma liberté. Aucune femme ne serait capable de me supporter. Je suis constamment en voyage. Je navigue d’un projet à l’autre entre l’Angleterre, l’Amérique du Sud et l’Europe.

Le rire cristallin d’Emma résonna dans le brouillard.

— Vous voyez, j’avais raison. Nous n’aurions jamais pu nous entendre. J’ai rarement quitté le nord-est de l’Angleterre ces sept dernières années.

— J’avais oublié que nos noms avaient un jour été associés.

Jack veilla à ce que ses traits ne trahissent aucune émotion, mais il tira un malin plaisir à lui rappeler ce à quoi elle avait renoncé avec tant de désinvolture.

— Je n’aimerais pas savoir que je suis de près ou de loin responsable de votre célibat, ajouta-t-il.

— Ne vous flattez pas trop, Mr Stanton, répliqua Emma.

Comment Jack osait-il sous-entendre une chose pareille ?

Il semblait insinuer qu’elle cherchait désespérément à savoir s’il était marié, comme si elle s’était languie de lui ces sept dernières années. Elle l’avait rejeté, lui et sa demande si peu galante en mariage. À l’époque, il ne s’intéressait pas vraiment à elle, mais seulement à sa fortune et au statut qu’une telle union pouvait lui apporter. Sa mère avait raison. S’il l’avait aimée, il aurait attendu et aurait cherché à l’écouter. Il aurait compris ses explications au lieu de se montrer si distant et formel.

— Mon choix de rester célibataire n’a rien à voir avec vous. Pourquoi est-ce que, dès qu’une personne croise une femme non mariée, elle pense aussitôt que celle-ci est mécontente de sa vie ?

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La missive oubliée

  • France : 2019-10-01 (Français)

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2021-07-15T18:46:06+02:00

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