La nuit de l'ange - Romain

Plusieurs mois se sont écoulés depuis leur folle nuit d'amour. Ce matin-là, Romain se lève aux aurores, comme souvent, pour s'adonner à ses exercices physiques quotidiens. Ces séances sont généralement l'occasion pour lui de revivre une multitude d'événements qu'il garde précieusement en mémoire. Ce jour-là, il se rappelle sa discussion avec Gandalf de la nuit précédente, au sujet d'Angèle. Elle et lui ont gardé un lien solide, ils s'appellent et se voient régulièrement, même si cela ressemble davantage à de l'amitié qu'à un véritable amour. Romain s'en désole et souffre en silence. Il a donc abordé le sujet avec son brave Gandalf, qu'il a retrouvé au jardin comme à son habitude, par cette belle nuit claire et lumineuse. Il a trouvé que son ange lui ressemblait à présent comme un frère jumeau et en a été très troublé :

— C'est terminé à présent, tu ne pourrais pas me ressembler davantage, j'imagine ?

— Exactement. J'ai atteint mon ultime apparence. Désormais, tu as compris que nos existences sont intimement liées. Je n'existe que pour et par ta propre existence.

— Gandalf ?

— Oui ?

— J'ai peur de l'avenir. Même si l'avenir n'existe pas réellement, selon ta théorie.

— Je sais. Pourtant ce n'est pas tout à fait l'avenir que tu redoutes, mais plutôt la souffrance. Tu as peur de souffrir, privé de celle que tu aimes.

— Comment fais-tu pour avoir autant de clairvoyance ?

— C'est mon job, voilà tout.

— Que me conseilles-tu ?

— La peur ne mène à rien et n'apporte rien de bon. Tu dois t'en libérer.

— Facile à dire !

— Tout d'abord, rien ne dit qu'Angèle t'abandonnera. Dans un premier temps, il faut être patient. Les sentiments sont délicats, ce sont des fleurs fragiles, indomptables, qui surgissent où et quand bon leur semble. Et surtout si elles l'ont décidé. Personne ne peut prétendre les forcer ou les dominer. Sachant cela, t'inquiéter à ce sujet devient parfaitement inutile. Tu dois apprendre à cueillir ce qui pousse sur le pas de ta porte. En tant qu'humain, tu ne peux rien faire de plus.

— Alors c'est tout ce qui me reste ? rester passif et ne rien faire ?

— Qui parle de passivité et d'inaction ? tu n'es pas encore mort, que je sache !

Tandis que les paroles de l'ange résonnent encore clairement à ses oreilles, Romain serre les poings fébrilement sur ses haltères, alors que cela fait près de vingt-cinq minutes, qu'il garde les bras en position horizontale. Il a bien été tenté d'appeler Angèle, encore et encore. Mais il a conscience que la harceler serait contre-productif. Il apprend donc à se contenter de l'amitié qu'elle lui offre, et à l'aimer en silence. Encore une fois, Romain se laisserait bien investir par le désespoir. Mais le mois de mars déjà bien entamé, l'incite au contraire à la gaieté. Cueillir ce qui pousse sur le pas de ma porte ? Agir ? C'est bien ce qu'a voulu dire l'ange ? M'inciter à agir, en toute légitimité ? Oui, mais pour faire quoi ? Là est la question. Romain laisse retomber ses bras comme une masse. Il ne tiendra pas ses trente minutes, tous comptes faits. Tant pis ! Il file vers la salle de bains pour sa toilette matinale, il doit se mettre au travail rapidement.

Romain jette un coup d’œil systématique à son portable, sitôt sorti de la douche. Il a reçu un message de Léa Constant qui se rappelle à son bon souvenir. C'est vrai qu'il a un peu négligé la jeune femme, préoccupé par son travail et par sa relation avec Angèle. Elle lui propose une sortie, mais il songe à décliner la proposition. Il n'est d'humeur à voir personne d'autre que sa belle. Il répond gentiment qu'il ne sera pas libre, pour cause de séance de kinésithérapie mais qu'il l'invitera prochainement à venir voir son nouvel appartement. Cela n'engage à rien.

Romain boucle son roman le vingt-huit mars et l'adresse à une brochette de maisons d'éditions pour tenter sa chance de futur écrivain à suspense. cet aboutissement le met d'excellente humeur, et il envisage de fêter cela avec Angèle. Mais il doit bien venir à l'évidence qu'il redoute d'être éconduit. Or, rien ne serait plus terrible pour son amour propre, ce frêle oiseau tout juste remis d'une mauvaise chute, qui essaye de voler à nouveau après s'être brisé une patte.