L'enfant du désir / Un mensonge entre nous

L'enfant du désir par Lilian Darcy :

Dès que l’avion s’immobilisa, Shay jaillit de son siège et attendit impatiemment que le pilote lui ouvre la porte. Seule passagère, elle n’avait emporté qu’un sac et une valise à roulettes de dimensions modestes. Avant de descendre de l’appareil, elle lança un rapide « merci » à l’intention du pilote.

— Pas de problème, répondit ce dernier, apparemment aussi pressé qu’elle.

Tandis qu’elle longeait la piste en terre ocre en direction d’un 4x4, il sortit plusieurs paquets du ventre de l’appareil et les posa par terre tout en jetant de fréquents regards sur le joli lac — le joli grand lac. Ensuite, il salua brièvement de la main l’homme debout à côté du 4x4, referma la soute et retourna directement à son cockpit.

Shay se souvint qu’elle devait demander à son assistante d’effectuer une recherche en vue d’un prochain article. Elle sortit son agenda électronique de sa veste et tapa une note d’une seule main. Avec l’habitude, elle était devenue très habile : elle n’eut pas besoin de ralentir le pas.

Elle croisa une femme, une petite brune, qui se dirigeait d’un pas pressé vers l’avion postal.

— Amusez-vous bien ! lui lança la femme sans s’arrêter.

— Vous de même, répondit-elle vaguement, les yeux rivés à son écran.

Derrière elle, le pilote fit rugir le moteur, prêt pour le décollage. Le conducteur du 4x4 attendait, figé comme une souche, à côté de son véhicule. Il portait des lunettes de soleil, un polo gris et un jean. Shay supposa qu’il s’agissait de Dustin Tanner, mais elle n’en était pas sûre parce qu’elle ne l’avait rencontré qu’une seule fois, plusieurs mois auparavant. Elle croyait se souvenir que deux de ses amis avaient également participé à la campagne lancée par Today’s Woman. Un type avec des yeux bleus et qui venait du Sud. Callum ? Non, Callan. Ou est-ce qu’elle confondait ces deux hommes avec d’autres ?

Le magazine avait reçu une véritable avalanche de réponses de la part de fermiers célibataires. Il était donc normal qu’elle ne se souvienne pas de chacun d’entre eux.

Lorsqu’elle atteignit le conducteur du 4x4, elle cessa de se poser des questions et tendit simplement la main.

— Shay Russel.

— Shay…

Il marmonna quelques mots indistincts, puis jura.

— Le magazine !

— C’est juste, acquiesça-t-elle en souriant. Nous…

— … nous sommes rencontrés à Sydney, au cours du cocktail organisé par votre magazine.

Elle fut soulagée qu’il ne l’ait pas oubliée. Il remonta ses lunettes de soleil dans ses cheveux, se frotta les paupières, puis cacha de nouveau son regard derrière ses verres fumés.

— Ça fait une paie.

— Oui, vous pouvez le dire.

Donc, cet étranger au teint sombre et à la forte carrure était bien Dustin. Tant mieux.

Elle embraya immédiatement sur un mode professionnel, à l’enthousiasme artificiel.

— Je vous suis tellement reconnaissante d’avoir accepté de me rencontrer pour cet article, Dustin.

Pendant qu’elle parlait, une partie de son cerveau fonctionnait indépendamment et lui signalait une autre recherche à transmettre à son assistante.

— Appelez-moi Dusty. Mais je dois vous dire que…

— Dusty. Nous sommes tous tellement emballés par votre histoire. Des fiançailles et une date de mariage ! C’est merveilleux ! Nos lecteurs seront ravis de voir quel succès notre campagne a remporté et à quelle vitesse.

Elle détestait ces tirades dithyrambiques qu’elle se sentait parfois obligée de prononcer. Voyant que Dusty ne semblait pas non plus convaincu, elle reprit sur un ton plus naturel :

— Euh, est-ce que je peux déposer mon sac à l’arrière ?

Non loin d’eux, l’avion se mit à rouler sur la piste. Son grondement assourdissant rendit la conversation difficile.

— Pardon ? fit Dusty, l’air désemparé.

— Mettre… mon… sac… à… l’arrière… ! hurla-t-elle dans l’espoir de couvrir le bruit du moteur.

Elle vit l’incompréhension se peindre sur ses traits.

— Mais… vous ne l’avez pas vue ?

— Non… J’ai dit…

Il l’interrompit.

— Je parle des fiançailles. Mandy les a rompues. A l’instant.

Il repassa ses doigts sur ses yeux, cette fois sans se donner la peine de repousser ses lunettes.

— C’est elle que vous avez croisée. Je l’ai vue vous parler. Elle ne vous a rien dit ?

Il désignait l’avion du doigt. Shay se retourna juste à temps pour voir les roues de l’appareil quitter le sol. Sur la piste ocre brillait ce qui ressemblait à un mirage dans le désert.

— Elle ? répéta-t-elle en écho. Mandy ? Votre fiancée ? Elle est dans l’avion ? Quoi, elle part ?

— Exactement. Vous avez croisé mon ex-fiancée. C’est fini. Elle ne reviendra pas.

Shay jeta un regard catastrophé autour d’elle, considérant l’étendue plate qui s’étirait jusqu’à l’horizon, le long ruban rouge et humide sur lequel elle avait atterri, et le lac immense, le plus vaste qu’elle ait jamais vu. Elle se demanda pourquoi on avait construit la piste au milieu de l’eau. Voilà qui ressemblait plus à une île tout en longueur qu’à une piste d’atterrissage.

— Les fiançailles sont rompues ? insista-t-elle, histoire d’être sûre d’avoir bien compris.

Parce que si c’était le cas…

— Oui.

Sur cette réponse laconique, il passa à côté d’elle afin d’aller ramasser les paquets que le pilote avait déposés à son intention.

Quand il revint dans sa direction, elle l’observa plus attentivement.

Hum.

Pas surprenant que Mandy soit partie.