L’Exil est mon pays

Maman souriait. Plaisantait. Riait. A Madrid, dans la rue, les gens s'adressaient volontiers la parole même s'ils ne se connaissaient pas, échangeaient des commentaires, un bon mots ou un simple sourire et poursuivaient leur chemin sans autre cérémonie. [...] Je comprenais mieux désormais ce qui choquait tant maman à Vieillottes, la mine renfrognée des passants, qui, même quand on les connaissait, préféraient faire semblant de ne pas vous voir plutôt que d'avoir à vous saluer. Ces maussades vivaient en république, disposaient d'élections, de partis, de syndicats, et de la liberté de ne pas croire en Dieu. Et ils faisaient la gueule ! Ils vivaient en vrai ce que les Espagnols avaient tant rêvé, et à quoi ils avaient renoncer après une overdose de souffrance et de morts... Et ici on se marrait ! N'y avait-il pas dans cette exubérance ambiante, une contradiction flagrante avec ce que j'avais appris de la dictature ? [...] Je la voyais terrifiante et triste, un quotidien de larmes et de méfiance. Et voilà qu'à me promener dans les rues ensoleillées, parmi les arbres des boulevards et les terrasses de café bondées, je ne trouvais qu'ambiance bon enfant, bonne humeur et sympathie. Ainsi, on pouvait martyriser un peuple et que ça ne se distingue pas à l'œil nu. Parmi les gens qu'on voyait vaquer à ces occupations, qui étaient des salauds et qui des héros ? Qui étaient des traitres et qui des amis ? La peur des gens ne se montrait pas, elle rampait derrière les apparences, tout le monde faisait semblant."

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