Tremblement de mère

Je rencontrai mon client pour la première fois dans les salons du Belvédère à Nice. L'homme avait une classe et une élégance à couper le souffle. Il était jeune, pas bien plus âgé que moi, se présenta sous le prénom d'Igor. Il n’était pas spécialement beau, une balafre lui barrait la joue gauche, sans doute une trace de joutes anciennes dans son pays, ça lui donnait un côté gangster des plus envoûtant. Et son accent français finissait de me liquéfier.

Le charmeur mesurait pleinement l’effet produit sur la gente féminine. Il était très sûr de lui, ça le rendait plus irrésistible encore, mais restait très courtois, prévenant, et même galant. Une sorte de relation ambiguë s’installa entre nous, il passait son temps à me charmer et moi, à me laisser faire.

Ironie de l’histoire, le concurrent français était représenté par l’ancien ministre de la culture dont j’avais fait la connaissance, près de trois ans en arrière dans le cadre de ma première mission pour l'émir et ses statues du musée Rodin. La nature humaine étant ce qu’elle est, il n’avait pas passé ces dernières années dans un monastère et son "casier" s’était encore alourdit.

Les allemands, quant à eux, étaient de sérieux concurrents. Je dus passer beaucoup de temps pour trouver leur point faible, mais je réussis. Le plus haut dirigeant de la firme allemande, Günter Haberer, avait une double vie. Il était totalement addict à des relations sado-maso homosexuelles. Un jour, une de ses rencontres découvrit son identité et menaça de le faire chanter. Cet individu fut retrouvé mort quelques jours après et les deux hommes de main arrêtés pour le forfait ne dénoncèrent pas le commanditaire. Je découvris qu’une somme de deux millions d’euros avait été versée sur un compte en suisse en leurs deux noms par…le holding familial de Günter. J’avais suffisamment de preuves pour lui demander de se retirer de la course.

Je rencontrais Igor régulièrement, et plus nous nous voyions, et plus notre jeu prenait le pas sur nos objectifs. Nous nous sentions aimantés l’un l’autre.

Un soir, je dînais avec Clara, j’avais décidé de lui en parler pour qu’elle me conseille, cela faisait tellement longtemps qu’elle ne m’avait plus donné un conseil ! Mes plans furent chamboulés, elle m’annonça sa grossesse ! Tout le repas tourna naturellement autour de cette nouvelle, je ne l'embêtai pas avec mes petits problèmes, d’autant que mon amie me demanda de devenir la marraine de son enfant. Ça m'honora, mais je ne m'estimais pas à la hauteur. Clara me laissa le temps de réfléchir, ça m’enleva un peu de stress, j’avais besoin de m’imaginer dans ce rôle avant de m'engager.

Je rentrais de mon dîner, Igor me téléphona. Il souhaitait me voir, prétextant des documents importants à me montrer. Il me donna rendez-vous chez lui, enfin, au bar de l’hôtel où il résidait. J’acceptai de le rencontrer à cette heure tardive, en ne sachant pas trop si j’espérais qu’il ait vraiment des documents à me montrer.