Elles Emois
Auteur
- Jean-Marc Derouen (Écrivain)
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extrait
Celle qui n'avait pas de langage...
Il était une femme qui n'avait pas de langage.
Non, elle n'avait pas de langage.
"Ell'était née comme ça, qui z'avaient dit les médecins... et même qu'on n'y peut rien..."
Elle chantait sans voix,
Parlait sans bruit,
Dansait sans mouvement,
Riait sans éclat
Et pleurait parfois.
Souvent.
Sans larmes, bien évidemment.
Elle n'avait pas de langage
Et on ne la voyait pas.
Elle existait, mais on ne la voyait pas.
Et pourtant, elle était vraie... Oui ! Vraie !
Aussi vraie que la pierre.
Aussi vraie que la Terre.
Aussi vraie que l'eau de la rivière qui coule, qui coule sans cesse dans les bras de sa mer.
Aussi vraie que les vents, qui ne font que passer...
Aussi vraie que le chemin qui vous mène au bout de vous-même et qui fait que lorsque vous vous retournez vous ne voyez strictement rien.
Aussi vraie que l'amour ! Pas celui des hommes, non, celui de la matière.
Elle n'avait pas de langage, et pourtant tout le monde l'aimait. Apparemment, tout le monde l'aimait...
Peut-être parce qu'on ne la voyait pas ! C'est vrai, c'est facile d'aimer ce qu'on ne voit pas, ça coûte rien, ça mange pas de pain et puis... quand on n'aime plus... bah, ça n'a jamais existé !
Elle n'avais pas de langage et on l'oubliait.
Toujours, on l'oubliait.
Peut-être parce qu'on l'aimait ?
Peut-être qu'on oublie toujours ceux qu'on aime ?
Fallait toujours revenir la chercher, et comme elle n'avait pas de langage, elle ne disait rien.
D'ailleurs, elle ne disait jamais rien...
C'est peut-être pour ça qu'on l'aimait ?
Il était une femme qui n'avait pas de langage...
Elle chantait sans voix,
Parlait sans bruit,
Dansait sans mouvement,
Riait sans éclat
Et pleurait parfois,
Souvent.
Sans larmes, bien évidemment.
C'est par une nuit de pleine lune qu'elle s'est éteinte,
Sans ombre...
Et le lendemain, dans le service gériatrie, personne, absolument personne ne s'en est aperçu...
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C'est sur l'île d'Ouessant que j'ai rencontré Elles Emois et son auteur durant le Salon du livre insulaire 2019.
En premier lieu, c'est à travers une lecture-poétique consacrée à Ouessant, Emprise insulaire, que j'ai été séduite. Jean-Marc Derouen y lisait des contes et textes d'Eve-Lyn Sol et de lui-même pendant que défilaient ses splendides photos de pierres et de phares, d'embruns et de lumières océanes.
A la fin de ce spectacle, j'ai souhaité avoir ses textes pour pouvoir m'y plonger une fois rentrée chez moi, loin de l'île et de l'eau. Comme certains se trouvaient dans Elles Emois, je l'ai acheté.
Il faut aussi dire que l'objet est magnifique. Le titre est lumineux et poétique à souhaits et l'illustration de Guiblöb sur la couverture est très belle.
Le voyage ne s'est pas arrêté là. Parce que ces femmes à qui l'auteur donne la parole m'ont emmenée loin, dans des contrées parfois sauvages, parfois tranquilles, parfois violentes, parfois sereines. Toutes m'ont happées par leur histoire. Toutes m'ont partagé un peu, beaucoup, passionnément d'Elles.
Une de ces femmes m'a particulièrement émue : Celle qui n'avait pas de langage. Elle m'a fait penser à ma maman qui ne peut plus parler.
J'ai lu et relu ce texte qui a fait son chemin longuement dans mon coeur.
Je me suis même dit qu'il pourrait être un bel hommage, le jour où elle s'en irait.
Elles Emois, c'est un coup de coeur lié à une belle rencontre sur cette île du bout du monde qui m'a procuré de lumineuses émotions.
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Résumé
Mêlant contes, poésies et récits de vies, de Jeannette à « celle qui n’avait pas de langage » en passant par Koutoumé, entre autres, on assiste ici à des histoires d’amour puissant ou de haine qui n’est jamais passée.
Femmes silence, humiliées, blessées.
Femmes debout, femmes rebelles.
Les histoires de Jean-Marc Derouen nous entraînent sur des chemins tortueux, superbes et imprévisibles.
Sa tendresse, son sourire ou sa compassion nous troublent à chaque page. Ses univers réels ou décalés se côtoient sans cesse.
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