Le bel hétéro

Le lendemain, à l'heure convenue, Michael me guide jusqu'à l'appartement voisin. C'est un loft immense avec une vue imprenable sur la mer. Le Grand Bleu triomphe au cinéma, et la musique poétique d'Eric Serra est diffusée en boucle dans le salon. Une dizaine de personnes sont réunies autour d'une table basse recouverte de mets qui ont l'air plus délicieux les uns que les autres. Tous les convives attendent avec impatience la venue d'un certain Daniel sur lequel ils ne tarissent pas d'éloges. Ils ressentent même un certain remords lorsqu'ils commencent à manger sans lui, mais cet illustre invité arrive quelques instants plus tard. Je découvre un très beau garçon, grand, brun, élancé, qui doit avoir dans les vingt-huit ans. Je comprends aussitôt l'effervescence qu'il y avait autour de lui, sans savoir encore qu'il est l'héritier d'une des plus grosses fortunes suisses. Il s'assied juste à côté de moi et engage la conversation. Il s'exprime avec une aisance naturelle et je dois avouer que je tombe presque aussitôt sous son charme. À la fin du brunch, il nous invite à assister à un match de polo. Tout le monde est prêt à embarquer dans les voitures et Daniel ne me laisse pas le choix en déclarant que je dois monter avec lui dans sa Corvette qui ne tolère qu'un seul passager. On poursuit la discussion que nous avions entamée pendant le repas et, sans que je m'en rende compte, il m'amène à me livrer totalement. Je me sens en confiance avec lui, si bien que je lui raconte toute ma vie, y compris ma relation avec mon voisin et avec Chris. Je ne m'étais jamais autant livré à quelqu'un auparavant et chaque mot qui s'échappe de ma bouche est vécu comme un véritable soulagement. Je ne me serais pas cru capable de telles confidences, car malgré mes vingt-trois ans, je suis de nature très pudique, en particulier quand il s'agit de parler de sentiments. Il m'accorde une écoute neutre, compréhensive et sans la moindre ambigüité. Je sais qu'il est gay, il ne s'en cache pas, mais je devine que son attitude n'est pas intéressée. Il ne cherche pas à me mettre dans son lit – il a d'ailleurs un copain qui vit à Montréal – et l'empathie qu'il me témoigne n'est pas feinte. Lorsque je lui parle de mes récentes découvertes à propos de Chris, alors que je suis encore en état de choc, il sait trouver les mots justes, ne me juge pas. Je ne réalise pas qu'il est en train de me faire une sorte de psychothérapie, mais de toute évidence, je n'aurais pas été capable de garder pour moi seul tout ce que j'ai vécu ces dernières années. J'ai tu pendant trop longtemps des choses que je trouvais inavouables, des souffrances cachées. Je ne sais pas combien de temps j'aurais été capable de tenir le coup si je ne m’étais pas livré à quelqu'un.