Présumé innocent

Après que le bateau de Ben eut disparu au bout du canal et que le bruit de son moteur se fut éteint, Cindy demeura sur le ponton, à promener son regard sur le marais. Placée dans des conditions analogues, elle se demandait si elle aurait agi comme lui. La réponse s’imposa à elle, implacable : probablement de la même manière.

Pourtant, s’il l’avait laissée l’accompagner, elle aurait réellement renoncé à toute tentative d’évasion. Car le doute qui s’était insinué en elle était devenu si fort qu’elle n’aurait pas voulu priver Ben de ses chances de trouver le vrai meurtrier.

Le simple fait d’envisager l’existence d’un « vrai » meurtrier, par opposition à Ben, en disait déjà long sur l’évolution de ses réflexions. Et la possibilité d’une erreur judiciaire commençait à l’effrayer.

En attendant, elle était maintenant seule et, quoi qu’en pensât son ravisseur, un terrible pressentiment l’habitait. Malgré les paroles réconfortantes de Ben, elle était certaine que le garçon des bayous était venu les épier. Une nuit, elle s’était réveillée en entendant grincer les marches. Une autre fois, elle aurait juré avoir aperçu un visage s’encadrer dans la fenêtre. Toutefois, l’apparition avait été trop fugace pour qu’elle en fût absolument certaine.

La jeune femme se frotta les bras pour se réchauffer. L’air s’était soudain rafraîchi. Si elle avait deviné

juste, il ne faudrait pas longtemps à La Terreur pour réaliser qu’elle était seule. Peut-être même le savait-il déjà.

Elle scruta de nouveau le bras de rivière. La brume matinale s’était dissipée, et des rais de lumière s’étaient frayés un chemin jusqu’au marais. Des oiseaux étaient paisiblement perchés dans les arbres, et des ibis d’un blanc neigeux chassaient les grenouilles parmi les joncs.

Comme toujours, les alligators régnaient sur tout ce microcosme, certains se confondant avec les plantes aquatiques tandis que d’autres, entièrement immergés, restaient invisibles jusqu’à ce qu’un mouvement langoureux trahît leur présence. Jusque-là, Cindy n’en avait jamais vu un seul s’approcher de la cabane, ce qui avait endormi ses craintes à leur sujet.

La jeune femme était juste en train de conclure que tout paraissait parfaitement normal lorsque le jaillissement d’un poisson hors de l’eau la fit bondir sur place. Atterrée par son

émotivité, Cindy tourna les talons et regagna la cabane.

Elle ne se faisait pas beaucoup d’illusions sur la robustesse du verrou. Il ne résisterait pas à un enfant, et encore moins à un homme déterminé. Au moins, Ben avait-il eu assez confiance en elle pour lui confier le fusil de Dezi. Il lui avait même montré comment s’en servir.