Amours vengeresses, Tome 2 : Chantage aux Bahamas

** Extrait offert par Michelle Smart **

1.

Luis Casillas saisit son téléphone qui sonnait sur la table.

— ¿ Sí ?

— Luis ?

— Sí.

— C’est Chloé.

— Chloé… Chloé Guillem ?

La femme qui le traitait depuis deux mois comme s’il avait une maladie contagieuse ?

— Oui. J’ai besoin de ton aide. Ma voiture est tombée en panne sur une route de la sierra de Guadarrama.

— Que fais-tu là-bas ?

— Je roule. Enfin… Je roulais.

— Tu as appelé le service d’assistance ?

— La dépanneuse ne sera pas là avant deux heures. Je n’ai presque plus de batterie. Tu peux venir me chercher ? S’il te plaît ? Je ne suis pas rassurée.

Luis consulta sa montre et jura à voix basse. Il était attendu dans une demi-heure au gala que son frère jumeau, Javier, et lui avaient organisé.

— Il n’y a personne d’autre que tu puisses appeler ?

Chloé travaillait pour sa compagnie de danse à Madrid. Très sociable, elle s’était fait plein d’amis en un an.

— Tu es la personne la plus proche. S’il te plaît, Luis, viens me chercher. J’ai peur, ajouta Chloé dans un murmure.

Il prit une profonde inspiration et fit un rapide calcul. Ce gala était d’une importance primordiale.

Dix ans auparavant, Luis et son frère avaient acheté la petite compagnie de danse provinciale au sein de laquelle leur défunte mère, célèbre danseuse étoile, avait fait son apprentissage. Leur objectif étant de lui faire acquérir une renommée mondiale, ils avaient commencé par la rebaptiser Compañía de Danza Casillas en hommage à leur mère, puis ils avaient recruté des danseurs et des chorégraphes de haut niveau. Sept ans plus tard, ils avaient formé le projet de faire déménager la compagnie du vieux théâtre qui l’hébergeait depuis des décennies pour l’installer dans un lieu ultramoderne comprenant un théâtre et une école de danse, créé spécialement pour l’accueillir. L’installation des derniers équipements était presque terminée et l’inauguration approchait.

Ce soir avait lieu un gala destiné à obtenir le soutien de mécènes prestigieux. Des représentants de toute la presse européenne étaient déjà sur place, et les premiers invités commençaient à arriver à l’hôtel. Luis se devait d’être là.

— Où es-tu, exactement ? demanda-t-il.

— Tu vas venir ?

Ce fut l’espoir dans la voix de Chloé qui eut raison de son indécision. Elle avait la voix la plus mélodieuse qu’il avait jamais entendue. Une voix chantante absolument irrésistible… Il ne pouvait pas la laisser seule, perdue dans la montagne.

— Sí. Mais j’ai besoin de savoir où tu es.

— Je t’envoie les coordonnées GPS. Mais ensuite je vais être obligée d’éteindre mon téléphone pour économiser le peu de batterie qui me reste.

— Laisse-le allumé. Tu as sous la main quelque chose qui peut te servir d’arme si nécessaire ?

— Je ne sais pas…

— Trouve quelque chose de lourd ou de coupant. Sois vigilante. Envoie-moi les coordonnées tout de suite. J’arrive.

— Merci, Luis. Merci beaucoup.

— J’arrive le plus vite possible.

Il descendit au sous-sol, choisit sa voiture la plus rapide, entra les coordonnées de Chloé dans son GPS et démarra. Il accéléra dès la sortie du garage et passa en trombe devant la Mercedes garée dans l’allée, où l’attendait déjà son chauffeur. D’après son GPS il y avait une heure de route entre sa propriété située au nord de Madrid et l’endroit où se trouvait Chloé. À condition de ne pas descendre au-dessous de la vitesse maximale autorisée… Pour un samedi soir il n’y avait pas trop de circulation. Il devrait pouvoir arriver là-bas en quarante minutes ou même une demi-heure. En ville il respectait toujours la limitation de vitesse. La tentation de foncer était grande mais il attendait toujours d’être sur la route. Ce soir-là, avec en tête l’image de Chloé en plan dans la montagne, il fit du slalom entre les voitures en ignorant les coups de klaxon indignés.

Chloé Guillem. Une gamine adorable et drôle cherchant toujours à attirer l’attention, qui était devenue une femme belle et spirituelle aimant s’amuser. Une femme très belle.

Il avait mis longtemps à s’en rendre compte.

C’était une vieille amie de la famille, et il ne l’avait pas vue depuis quatre ou cinq ans quand elle l’avait appelé un beau jour.

— Bonjour, Luis, avait-elle dit d’une voix chantante qui lui avait aussitôt paru familière. C’est Chloé Guillem, la petite sœur de ton plus vieil ami, qui t’appelle pour te demander de faire passer l’amitié avant les affaires et de lui donner du travail.

Il avait éclaté de rire. Elle lui avait expliqué que, après avoir fait son apprentissage auprès de la costumière d’une compagnie de danse anglaise, elle avait travaillé pendant deux ans comme couturière pour une compagnie de danse parisienne et qu’elle souhaitait enrichir son expérience. Il lui avait donné le numéro de sa chef costumière en lui expliquant qu’il ne s’occupait pas du recrutement.

— Mais la compagnie est à toi, avait-elle objecté.

— Et à mon frère. Mais notre domaine, c’est le bâtiment. Nous ne connaissons rien à la danse classique et encore moins aux costumes.

— J’ai d’excellentes références, avait-elle insisté d’un ton enjôleur.

— Tant mieux parce que nous n’engageons que les meilleurs professionnels.

— Tu pourras glisser un mot en ma faveur ?

— Non, mais si tu mentionnes que ta mère était la couturière personnelle de Clara Casillas, je suis sûr que ce sera un bon point pour toi. Du moment que tu es aussi bonne que tes références l’indiquent.

— Bien sûr que je le suis !

— Dans ce cas tu n’auras aucun mal à convaincre Maria de t’engager, avait-il répondu en riant.

Luis n’avait plus repensé à cette conversation jusqu’au jour où, environ six mois plus tard, il avait assisté dans l’ancien théâtre à une réunion de préparation au déménagement. Une gazelle avait surgi de nulle part avec un sourire éclatant et lui avait sauté au cou.

C’était Chloé, rayonnante et joyeuse, qui, lui avait-elle dit avec enthousiasme, adorait sa vie à Madrid. Il avait été heureux de revoir ce visage du passé mais il avait été trop occupé pour prêter davantage attention à la petite sœur de son vieil ami.

Quand Luis et Javier avaient utilisé leur maigre héritage pour créer la société Casillas dix ans plus tôt, ils avaient décidé que chaque projet serait supervisé par un seul d’entre eux, afin de simplifier les relations avec les entrepreneurs et les fournisseurs. C’était à Luis qu’avait incombé la supervision de la construction du nouveau théâtre et de l’école de danse associée. Un projet dans lequel il s’était particulièrement investi parce qu’il leur tenait à cœur. Avec ce nouveau théâtre ils espéraient que le nom Casillas ne serait plus automatiquement associé dans l’esprit des gens à la fin tragique de Clara Casillas, tuée par son mari. Plus la fin des travaux et le déménagement approchaient, plus il y avait de problèmes de dernières minutes à régler. Malgré tout, à chaque fois que Luis se rendait dans l’ancien théâtre, il s’arrangeait pour voir Chloé.

Si elle était en plein travail elle se contentait de lui adresser un petit signe, sinon ils échangeaient quelques mots. À chaque fois son visage s’éclairait, ce qu’il trouvait séduisant sans pour autant s’y attarder. Jusqu’au jour où en passant devant une cafétéria il avait aperçu une jeune femme splendide qui bavardait avec animation avec des amies. Le printemps était arrivé et elle portait une robe légère qui dévoilait la peau laiteuse de ses bras et de ses épaules, sur lesquelles ruisselait une épaisse chevelure noire comme jais.

Il se serait arrêté pour la regarder même s’il ne l’avait pas reconnue. Comment ne s’en était-il pas rendu compte plus tôt ? s’était-il demandé avec incrédulité. Chloé Guillem était rayonnante. Elle respirait la joie de vivre et la sensualité.

Elle avait dû sentir son regard sur elle parce qu’elle avait levé les yeux. Lorsqu’elle l’avait vu derrière la vitre, elle lui avait adressé un sourire éblouissant. Et cette fois il avait été transpercé par une flèche de désir qui lui avait coupé le souffle. Jamais il n’avait éprouvé une attirance aussi irrésistible pour une femme.

Il l’avait invitée à dîner le soir même. Et il avait passé la soirée la plus agréable et la plus stimulante de sa vie. Chloé était drôle et elle pratiquait l’autodérision avec beaucoup d’esprit. Elle avait un rire rauque aussi fréquent que communicatif. Et elle était sexy.

Dios, ce qu’elle était sexy ! Fasciné, il l’avait dévorée des yeux pendant tout le repas. En se demandant comment il avait pu être aveugle au point de ne pas remarquer plus tôt qu’elle était aussi séduisante. Et le désir était mutuel. Il savait déchiffrer le langage corporel des femmes, et celui de Chloé ne laissait aucun doute. Mais à la sortie du restaurant elle avait décliné son invitation à boire un dernier verre en hélant un taxi.

C’était la première fois qu’il essuyait un refus et il avait été plus intrigué que découragé.

— Alors un baiser pour nous souhaiter une bonne nuit ? avait-il demandé avant qu’elle monte dans le taxi.

Il avait pris son visage entre ses mains et il avait frotté son nez contre le sien. Son parfum fruité l’avait grisé. Mais la lueur charmeuse qui avait brillé toute la soirée dans ses yeux bleu lavande avait soudain disparu et son front s’était plissé.

— La prochaine fois, bonita, avait-il murmuré en humant de nouveau son parfum.

Son air confus avait laissé place à un sourire qui l’avait atteint en plein cœur. Elle s’était écartée de lui en hochant la tête.

— Oui. La prochaine fois.

— Tu me laisseras t’embrasser ?

Son sourire s’était élargi et ses yeux lavande avaient brillé d’un éclat plein de promesses.

— Oui, je te laisserai m’embrasser.

Mais il n’y avait eu ni prochaine fois ni baiser. Deux jours plus tard la guerre avait éclaté avec son frère. Chloé avait annulé leur rendez-vous et refusé tous ses appels. Lorsqu’il allait voir la compagnie de danse, elle gardait les yeux baissés et feignait de ne pas le voir.

Ils n’avaient pas échangé un seul mot depuis presque deux mois.

Pourquoi était-il en train de foncer pied au plancher pour voler au secours d’une femme qui l’avait laissé tomber comme une vieille chaussette ? Et ce soir, en plus ! Il serait bien incapable de l’expliquer.

Un juron échappa à Luis quand, trente-quatre minutes après être parti de chez lui, il arriva à l’endroit dont Chloé lui avait donné les coordonnées. C’était une aire de repos en bordure de la route en lacets, avec une plate-forme gazonnée permettant de pique-niquer en admirant la vue. Il n’y avait personne. Et pas de voiture en panne.

Il s’arrêta et saisit son téléphone sur le siège passager. Dans sa hâte il avait oublié de monter le volume de la sonnerie et il constata qu’il avait trois appels manqués de son frère. Il appela Chloé et tomba directement sur la messagerie.

Tout en descendant de voiture pour partir à sa recherche il rappela Javier.

— Où es-tu ? demanda ce dernier d’un ton vif après la première sonnerie.

— Va savoir. J’arrive dès que possible.

— Je suis coincé à Florence.

— Quoi ?

Javier était censé être au gala. À Madrid…

— Mon jet est immobilisé pour contrôle technique. Pourtant tous les tests de sécurité ont été effectués ce matin. Sans le moindre problème à signaler. Il y a quelque chose qui cloche.

Luis raccrocha avec un mauvais pressentiment. Son frère était immobilisé à Florence et il soupçonnait un sabotage. Et lui-même avait été attiré au milieu de nulle part par une demoiselle en détresse, mais celle-ci avait disparu. Il vérifia de nouveau les coordonnées sur son GPS. Il était bien au bon endroit… Où était-elle passée ? Et pourquoi avait-il lui aussi le sentiment très net que quelque chose clochait ?

* * *

Chloé Guillem s’assit dans le salon des premières classes de l’aéroport Adolfo Suárez Madrid-Barajas et sortit son téléphone de son sac. Six appels manqués et sept textos provenant du même numéro… Elle supprima les textos sans les lire et en envoya un à son frère.

Mission accomplie. Suis en salle d’embarquement. Bises.

La flûte de champagne qu’elle avait commandée arriva et elle but une longue gorgée. Au même instant, son téléphone sonna. Pestant à mi-voix, elle activa le mode silencieux et le posa sur la table. Deux minutes plus tard, il se mit à vibrer. Un nouveau message vocal… Ne l’écoute pas ! Supprime-le tout de suite ! s’intima-t-elle.