Comme un autre

"Tout est rentré dans l'ordre, mais il reste un peu de gêne. Et lui sait très bien qu'on ne lui posera plus de questions; il ne dit pas les E', mais il ne dira plus rien : laissons les adultes entre eux, ils s'effarouchent pour un rien; je peux rêver à nouveau.

[A mi-voix] Sur une photo ancienne, en noir et blanc : mère et fils. L'une qui tient l'autre par la main. Une main au bout d'un bras légèrement tendu, une main qui paraît ne plus appartenir à l'enfant : il l'a cédée - avec un sourire, du moins pour la photo. Un visage souriant derrière lequel il s'efface; une main abandonnée, et moi ailleurs.

La main, le nom : c'est ce qui vous relie à autrui ; ce par quoi on vous tient, ou croit vous tenir. La main droite. Petit enfant, il était gaucher. Quand il a fallu apprendre à écrire, sans qu'on l'y contraigne vraiment, c'est tout naturellement avec la droite (celle qu'on doit donner) qu'il s'est exercé à tracer les lettres qui composent son nom.

Dans la signature, au bout du prénom, au bout du nom, la même lettre, en minuscule, mais qui s'étire vers le bas, droite puis recourbée. Ce n'est pas une hampe comme celle du «h» ; c'est une queue qui descend au dessous de la ligne et vire en arabesque. Il y met tout son soin, en l'écrivant. C'est peut-être la lettre d'un garçon (on le lui confirmera en leçon de biologie, son Y l'a emporté sur les X), mais ce plaisir qu'il éprouve à la tordre, à l'enrouler, l'enrubanner, fait planer quelques doutes..."