États d'urgences

Il ne sera pas tiré du lit, lui : cela fait longtemps qu'il a renoncé à se coucher compte tenu de l'affluence, et ce n'est qu'une fois sa garde terminée, en supposant qu'il soit dispensé de service le lendemain, qu'il pourra retrouver sa couette. Entre la suture d'arcade sourcilière (douze points pour un coup de poing, même américain, ça fait réfléchir au coût d'un changement de lettre), la détresse respiratoire du gamin ( le docteur est venu en fin d'après-midi, mais comme ça ne s'arrange pas je préfère vous l'amener directement), la colique néphrétique qui est nettement plus fébrile que ne l'annonçait la malade (mais quand est-ce que le radiologue va rappeler ?), le CNH qui attend entre deux pandores sonorisés à grands coups de talkie-walkie au milieu du service, et la jeune fille qui râle en salle d'attente avec son entorse de la veille et ses six copains venus l'accompagner (ah ! non, celui-là, c'est pas un des ses potes, c'est pour une chute de cyclomoteur !), il se serait bien dispensé de recevoir votre malade.Mais bien entendu, il va s'en occuper, dès que la dame de la chambre 5 sera partie à son échographie abdominale, dès qu'il aura pu vérifier que l'homme titubant et gendarmé n'est pas autre chose que beurré comme un petit LU, dès que ce charmant videur aura cessé de remuer pendant la suture en affirmant qu'il repart illico faire sa fête à celui qui l'a envoyé aux Urgences, dès que la petite fille arrivée en pleurant et en tenant son bras sera revenue de la radio et qu'il aura vérifié qu'il n'est pas nécessaire de lui faire une immobilisation plâtrée, avec en outre la nécessité de calmer le père qui commence à trouver que cet hôpital c'est lamentable, personne ne s'occupe des gens, dès qu'il aura ausculté une nouvelle fois les poumons du gamin qui vient d'avoir un aérosol, pendant quinze minutes, enfin il l'espère, parce qu'il l'a déjà demandé deux fois à l'infirmière qui a répondu qu'on n'avait plus d'ampoules de Bricanyl mais je vais en chercher en réa, je suis là dans cinq minutes, dès qu'il aura pu régler le problème de la jeune fille dépressive qui geint qu'elle en a marre et qu'elle va se suicider (c'est même pour ça qu'elle a atterri ici) dans le troisième box depuis minuit, non mademoiselle c'est interdit de fumer dans les chambrres, oui le papy qui vient d'arriver je viens le voir tout de suite, comment il va , ça avait pas l'air trop sérieux quand je l'ai vu passer avec les ambulanciers montre-moi l'électro, mmh non rien de particulier, tu as piqué son iono, il faudrait aussi les gaz si tu peux, ah voilà la radio de la petite fille, merde c'est cassé là, tu vois, juste sur le bord interne, désolé, monsieur, il faut la plâtrer, c'est une fracture légère mais c'est une fracture il faut absolument l'immobiliser, on ne peut pas la laisser comme ça, oui je sais mais j'avais besoin de la radiographie pour en être certain, on va la conduire dans la salle de plâtre, ça ne va pas être long, non vraiment cette fois je vous assure, attendez jeune homme vous ne pouvez pas partir comme ça, il faut vous faire un rappel de vaccination, rentrez là l'infirmière vient tout de suite, oui c'est vraiment nécessaire vous n'êtes pas à jour, dis donc René est-ce qu'il reste du café parce que moi là je ... Je suis à vous tout de suite messieurs, allô oui les Urgences, oui c'est moi l'interne de garde, ah ! bon vous avez fait quoi, et là il a quoi comme tension, vous avez mis l'oxygène, oui bien sûr je vais venir mais l'ennui c'est que ça déborde un peu ici et, oui bon bien je monte immédiatement, c'est au quatrième c'est ça, j'arrive, dis-moi René tu peux prévenir Marité quand elle revient que je monte en cardio il y a un gros problème là-haut, s'il y a encore des entrées tu fais patienter ou bien tu réveilles Raoul, à tout de suite.