James Mallory - Tome 2 : De Cendres et de Sang

CHAPITRE 1

Elle avait le sourire de Clotilde Courau, la voix fatiguée et les yeux tristes. Et quand elle m’a lancé : « Mr Mallory, j’ai besoin de votre aide… » Je n'ai pas pu résister.

Il était deux heures du matin, je me tenais attablé au Rebouteux, l’œil perdu dans le vague à l’instant où elle m’a accosté. Je pensais à beaucoup de choses à ce moment-là : à ma dernière grosse affaire qui avait failli mal tourner ; au fait que je buvais un verre avec de l’argent que je n’avais pas ; que Jenny était la seule personne à danser au milieu du bar sur une musique qui ne semblait appartenir qu’à nous deux ; et que Burgess allait sûrement me confier au Dormeur dans moins d’une heure.

Je parle, je parle, mais vous ne me connaissez même pas. Je m’appelle James Mallory et… Comment vous présenter mon quotidien sans que vous ne me preniez ni pour un mythomane, ni pour un fou ? Je suis détective privé, ça c’est plausible et acquis, mais pas juste un simple privé comme dans les bouquins de Marlow, non… je suis spécialisé dans le paranormal, l'occultisme et l’irrationnel. S'il y a quelque chose d’étrange dans le voisinage, qui allez-vous appeler ? Désolé, mais le professeur Venckman et son équipe de professionnels sont occupés pour l’instant, mais confiez-vous donc sans retenue à votre bon ami Jimmy, voir si ses maigres talents pourront faire l’affaire.

Bien malgré moi, je sortis de ma rêverie et ramenai toute mon attention vers ma potentielle future cliente.

— De mon aide ?

— Vous êtes bien James Mallory ?

— Oui.

Ses longs cheveux auburn détachés encadraient le visage d'une femme fatiguée, elle paraissait la trentaine bien entamée mais je devinais sous le maquillage qu'en réalité son âge était plus proche des quarante-cinq ans ; cela ne lui retirait pas sa beauté naturelle et probablement atténuée par les soucis.

— Vous êtes bien expert dans tout ce qui est inexpliqué ?

— Aux dernières nouvelles, oui…

— Vous êtes bien le fils de Jonathan Doyle, l’homme d’affaire ?

Cette fois-ci, elle eut toute mon attention.

Mes relations avec mon père étant… compliquées, pour ne pas dire inexistantes. Je faisais tout pour mettre le plus de distance entre cet homme et moi. Je portais même le nom de ma mère pour éviter ce genre de problèmes.

— Qui êtes vous ?

Mon ton était froid et le plus coupant possible.

— Sophia Fontaine, vous me connaissez sans doute…

Elle farfouilla dans son sac et en sortit un livre de poche qu'elle déposa sur la table, je n’y accordai pas le moindre intérêt.

— J’ai mal formulé ma question Mme Fontaine…

— Mademoiselle.

— Comment connaissez-vous l’identité de mon père ?

Fis-je comme si elle ne m’avait pas interrompu. J’avais dû parler plus fort que je ne l'avais voulu, du coin de l’œil je vis Jenny s’arrêter de danser et regarder dans notre direction.

— On m’avait prévenue que vous risqueriez de réagir de cette façon…

— Qui ?

— Désolée Mr Mallory, mais je ne peux pas vous le dire. Sachez juste que je ne vous veux aucun mal, j’ai désespérément besoin d’aide. De votre aide.

Elle fouilla à nouveau dans son sac et en sortit une enveloppe qu’elle glissa sous le livre.

« Voici un résumé de mon problème, je vais vous laisser…

Elle rabattit la jaquette et sortit un stylo, sur la première page elle écrivit vite.

« Je vais vous laisser mon numéro de téléphone, n’hésitez pas, à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, votre prix sera le mien. Faites vite je vous en prie, c’est tout ce que je demande.

Puis, sans un regard de plus, elle se leva et quitta le bar.

Mon père, une enflure qui m’a fait interner dans un hôpital psychiatrique dès mon plus jeune âge, m’a traité comme un enfant instable alors que j’entendais les morts me parler.

Mon oreille droite est morte, le tympan crevé lorsque l’âme de ma mère s’est échappée de son corps et m’a hurlé sa terreur et sa douleur directement dans l’oreille. Depuis et sans explications, que je n’ai même pas cherchées, j’entends les morts et ils n’aiment pas ça. Un flot continu d’insultes, de menaces et de cris passe constamment dans mon oreille morte. Heureusement, un jour, j’ai trouvé le moyen de me soustraire partiellement à eux : la musique. Mon sonotone réglé sur six – juste pour donner le change dans la vie de tous les jours, car peu de gens sont en réalité au courant pour ma surdité, je préfère laisser penser que j'ai juste un léger problème d'audition - et surtout un mp3 à fond et c’est bon! Roule ma poule! Oui, malgré le fait que je sois sourd de cette oreille, je réussis à entendre de la musique avec, et ? Vous trouvez cela surréaliste, étrange, stupide et illogique ? Bienvenue dans ma vie…