J’ai pris conscience à ce moment-là que l’identité obéissait à une hiérarchie. Nous sommes essentiellement une chose, puis essentiellement une autre, avant d’être une autre encore et ainsi de suite, jusqu’à la mort–successivement. Chaque nouvelle identité occupe le trône du Moi, mais nous éloigne de notre moi d’origine, peut-être le plus essentiel–l’enfant. Oui, nous évoluons, nous gagnons en maturité, et c’est le chemin vers la sagesse, naturel et sain, mais il y a dans l’enfance une pureté qui se dilue chaque fois un peu plus. Elle est grignoté, comme ce bloc d’or.

J’ai beau me souvenir clairement que je ne voulais pas me souvenir d’elle, je m’efforçais
aussi, vaillamment, de ne pas l’oublier.

Au loin, Roscoff se dessinait sur la côte voisine, cette côte que les habitants de l’île appelaient la France, le continent, ce pays étranger qu’ils observaient de loin avec le soulagement ému de ne pas y vivre.

Un dimanche, à Fécamp, sur la jetée près de la mer, nous marchions en nous tenant par la main. D’un bout à l’autre nous avons été suivis par tous les yeux des gens assis sur la bordure de béton longeant la plage. A. m’a fait remarquer que nous étions plus inacceptables qu’un couple homosexuel.

L’air retenu par le diaphragme compressé s’échappe dans un râle. Dans son corps paralysé, il ne reste que l’impression de ce moment de plénitude alors que la mort livre son dernier assaut. Elle le sait victorieux. Elle chevauche au grand galop dans ce tube en plastique.
Ed l’accueille. Elle le ramène au point de départ, celui des jours heureux que la vie lui a volés.
Un moment de plénitude et d’éternité à l’instant où le cœur du bourreau Ed McCoy cesse de battre.

Je savais qui étaient ces gens et ce qu’ils faisaient à leurs enfants. Moi, je me suis interposé avant qu’il n’en fasse de la chair à prison et à table d’exécution.
Et enfin, au bout de ce couloir et de cette vie, le sens d’une vie révélée dans le silence de 6 m² de béton.

Gardez vos arguments. On ne sait jamais, un jour peut-être, on jugera les gens comme vous. Du premier au dernier maillon de la chaîne. Un jour, c’est peut-être vous qu’on exécutera. Les temps changent.

Vous pourrez faire ce que vous voulez : vous montrer gentil avec nos fils, venir vous recueillir sur leur tombe, pleurer toutes les larmes de votre corps, vous resterez toujours celui qui nous les a enlevés en les tuant. Je voulais seulement vous faire savoir que je resterai à Huntsville jusqu’à ce que je parvienne à réhabiliter la mémoire de mon fils et à faire payer ceux qui l’ont assassiné sans lui laisser la moindre chance.  

Elle prit la cuiller, goûta la salade de pommes de terre, puis, nettoyant la cuiller avec la bouche, la replaça soigneusement sur la serviette en papier.

Je n’ai guère eu l’occasion d’en rencontrer : décidé à ne fréquenter que mes égaux, je ne fréquente bien évidemment personne puisque je suis sans égal. 

Ils se foutent de savoir combien de gens ils tuent. Pour eux nous ne sommes…
Il se rappelait les paroles vibrantes de l’homme.
« Nous ne somme que du bétail. »

Combien pesant devait être aujourd’hui, songeait Norah, le démon assis sur le ventre de Sony.

Elle se tut en sentant sa voix s’étrangler. Ce qu’elle ne faisait pas devant n’importe qui. D’habitude, elle trouvait toujours quelque part le cran nécessaire pour continuer. Mais cela ne l’ennuyait pas que Philip la voie en difficulté. Elle n’avait pas un cœur de pierre ; il le savait.

Je suis le fils d’un violeur, et ma mère a tué mon véritable père.

Je n’ai jamais eu de grandes maximes définitives sur l’existence, mais en quittant la prison je ne peux m’empêcher de penser aux souffrances que le silence de ma mère a provoquées dans nos vies ; et je me dis que, à tout prendre, il vaut mieux risquer de blesser les autres en parlant qu’en se taisant. 

Le document le plus volumineux est un scan du « Règlement général du foyer ». Une vingtaine de pages jaunies que je survole, m’arrêtant ça et là sur quelques passages qui retiennent mon attention. « Pendant la durée de leur séjour, les internés sont habitués au travail, à la discipline, et formés à l’honnêteté et à la droiture. On vouera aux mineurs une sollicitude particulière. Tout en travaillant à la réforme de leur caractère, on se préoccupera de préparer leur avenir en leur donnant une formation religieuse, civique et professionnelle. » Suit une interminable liste de devoirs – adopter une attitude respectueuse, éviter le bruit, faire preuve de bon esprit, renoncer à toute tentative d’ « évasion » que ne compense qu’un seul droit : celui de plainte au directeur contre les camarades ou le personnel en cas de voies de fait, d’injures ou de « réprimandes injustifiées ».

Les drames n’arrivent jamais par hasard. Je crois que nous portons tous en nous, à cause de nos lâchetés et de nos faiblesses, les germes de nos futurs malheurs. Et quand la fracture se produit, brutale et irréversible, nous restons trop aveugles pour être capables de déceler les infimes fêlures qui l’ont annoncée. 

Pendant que les aliénées prennent place sur la piste ou sur les banquettes, les invités se relâchent et gloussent, s’esclaffent et crient lorsqu’ils effleurent la manche d’une folle, et si l’on venait à entrer dans cette salle de bal sans en connaître le contexte, on prendrait pour fous et excentriques tous ceux qui, ce soir, ne sont pas censés l’être. 

Mais la folie des hommes n’est pas comparable à celle des femmes : les hommes l’exercent sur les autres ; les femmes, sur elles-mêmes.

On ne sait jamais vraiment si l’on
a bien fait de révéler sa vérité. Ce moment d’honnêteté, soulageant sur l’instant,
se mue rapidement en regret. On s’en veut de s’être confié. De s’être laissé emporter
par l’urgence de dire. D’avoir placé sa confiance en l’autre. Et ce regret nous fait
promettre de ne plus recommencer 

Ma petite Eugénie. Ta plus grande qualité sera ton plus grand défaut : tu es libre.

Quoi qu’il ait cherché à fuir, la mort en bonne amie l’avait toujours accompagné.
Que cette vie avait été décevante.
Que cette vie avait été brutale.
Que cette vie l’avait malmené.
Et à son tour, il se plaça sur le rebord de la falaise. 

Le code pénal nous dit ce qu’il est juste de faire, mais parfois, c’est qu’il est juste de faire n’est pas dans le code pénal, et en fonction des choix que vous ferez, vous saurez quel type de flic vous êtes.

Nous sommes bien trois en scène, tant que j’ignore réellement de quel côté elle est. Flic échaudé craint la victime éplorée. Elle nous a déjà tous baladés et j’en ai marre de me promener.

Faut bien que tu te le dises. S’il y a des femmes battues, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles restent à la cuisine, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles ne gagnent pas le même salaire, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles doivent cacher leurs cheveux ou leur visage, c’est que l’homme l’a décidé. Si elles sont agressées sexuellement, c’est que l’homme l’a décidé. Si j’ai été enlevée et séquestrée, c’est parce qu’un homme l’a décidé. Uniquement parce que l’homme a quinze kilos de muscles en plus. Il n’y a pas d’autre raison. Si le lundi, ils décidaient de nous mettre en esclavage, le mardi l’affaire serait pliée. Ils ont la supériorité physique et je ne connais pas une seule espèce animale qui n’ait pas soumis ses inférieurs.  

Niché dans son berceau, au fil des rêves, ses yeux roulant sous ses paupières… Il n’est rien de plus imparfait, de moins abouti, de plus fragile qu’un nourrisson.