Le Protocole de l'ombre

Le 11 février 1984, vers dix-huit heures, un certain Daniel Ross s’apprêtait à se donner la mort dans son appartement situé au rez-de-chaussée d’un immeuble de la tranquille allée Sandhöfer à Francfort-sur-le-Main. Le 11 février 1984 était un samedi. Ross avait choisi avec soin le moment de son suicide. Si sûres que soient les méthodes employées pour parvenir à la mort volontaire, on court toujours le risque, dans ce genre d’entreprise, d’être dérangé ou découvert trop tôt ; d’où éventuellement, si l’on est ramené à la vie, des lésions irréversibles dans le fonctionnement du cerveau et de nombreux autres organes. Aussi les candidats au suicide vont-ils souvent en forêt, en montagne ou dans une cabane de pêcheur au bord d’un lac ; ou alors, ils recherchent un moment où ils pensent rester tranquilles assez longtemps et n’être découverts que trop tard. Daniel Ross avait choisi un samedi après-midi. Passeraient ainsi la nuit du samedi au dimanche, le dimanche entier et la nuit du dimanche au lundi avant que sa femme de ménage ne revienne. Ce qu’il avait vécu au cours des quatre derniers mois lui donnait de bonnes raisons de penser qu’il n’avait à attendre ni coup de téléphone ni visite, pas l’ombre du moindre intérêt de qui que ce fût pour lui ou pour son sort. Parvenu à ce point de désespoir, il était rempli d’une grande sérénité en cette fin d’après-midi. Il neigeait sur Francfort, mais un peu seulement.