En garde, Robin - 6 légendes du Moyen Age

En garde, Robin ! de Johan Heliot (Type : Humour)

En vérité, je n'ai jamais été doué pour le maniement des armes. Ce qui m'a interdit la carrière honorable de chevalier, au grand désarroi de mon père. Le vieux Loxley comptait bien, en effet, que j’entre au service du seigneur du coin pour y faire mon apprentissage et, qui sait, pourquoi pas décrocher un titre de noblesse si d’aventure mes exploits le permettaient. Avec cette manie qu'a notre roi de partir en croisade pour un oui ou pour un non, nombre de bouillants jeunes revenaient de Terre sainte auréolés de gloire et anoblis… quand ils revenaient, bien sûr, parce que la plupart recevaient un coup de cimeterre fatal et leurs os blanchissaient sous l'ardent soleil du désert. Le roi Richard lui-même se trouvait quelque part en Orient, sans que l'on sache s'il était en vie ou non... De toute façon, je n'ai jamais aimé voyager. La seule idée de monter sur un bateau suffit à me donner la nausée. Quant à me tanner le cuir des fesses sur la croupe d'un cheval pendant des semaines, non merci !

- Qu’est-ce que je vais faire de toi, Robin ? se lamentait donc mon père à longueur de journée.

Il faut dire que les temps étaient durs. Les croisades avaient vidé les caisses du royaume, et les impôts augmentaient en conséquence. Le prince Jean, le frère de Richard qui le remplaçait en son absence, avait besoin de plus en plus d'argent pour financer ces expéditions et payer les rançons exigées par l'ennemi pour libérer les chevaliers prisonniers. Les gentlemen farmers comme mon père - c'est-à-dire les fermiers indépendants - se trouvaient pris à la gorge.

- Si encore tu pouvais me seconder dans mes affaires, mais non ! Pour cela, il faudrait que tu saches au moins compter.

Les chiffres me barbaient sérieusement, je dois l'avouer. Je n'avais pas bien suivi les leçons dispensées par le moine qui s’occupait de l'instruction des jeunes gens de bonne famille. À peine si je vais parvenais à lire les gros caractères de certains documents ; je préférais les enluminures au texte. Bref, à l’âge où les autres garçons de ma condition devenaient des hommes responsables et instruits, je me laissais tranquillement vivre. Ça ne pouvait pas durer éternellement.

- Je refuse d'assumer davantage une bouche inutile, Robin, me dit mon père un beau matin. Tu vas devoir te débrouiller seul.

- Mais, p’pa, je ne sais rien faire ! protestai-je.

- Hélas, ce n'est que trop vrai. C'est pourquoi j'ai décidé de te confier à la troupe de comédiens ambulants qui a stoppé sa roulotte à Nottingham. Paresseux, incapable et idiot : tu as parfaitement le profil de l'emploi. Je te souhaite une belle carrière, fiston. Et maintenant, débarrasse le plancher !