Le Pays de l'alcool

Telle une fleur de houblon, le visage de la femme resta gravé une minute dans l’esprit de l’inspecteur, puis, comme la mousse d’un verre de bière, il se dissipa lentement dans un fin pétillement. Long boyau sinueux, la route étroite était bloquée par toutes sortes de véhicules, de toutes les couleurs : camions, tracteurs, charrettes tirées par un cheval, chars à bœufs, s’étirant comme une file de monstres à la queue leu leu. Certains avaient coupé leur moteur, d’autres le laissaient tourner. Dressés vers le ciel, les pots d’échappement des tracteurs crachaient des volutes de fumée bleu pâle. L’odeur de l’essence et du gas-oil en perpétuelle combustion, mêlée à celle des bœufs, des chevaux et des ânes, alourdissait l’atmosphère. Ding Gou’er était tantôt obligé de frôler la carrosserie des véhicules, tantôt de heurter de ses épaules les branches des petits arbres. Dans la plupart des cabines des camions, les chauffeurs buvaient. Il se rappela avec étonnement le règlement interdisant de conduire après avoir absorbé de l’alcool. Pourtant, ici, tous les chauffeurs buvaient. L’interdiction avait dû être supprimée. En levant la tête, il distinguait les deux tiers des immenses structures métalliques supportant les élévateurs de la mine.

Ceux-ci tournaient sans fin, déroulant des câbles d’acier gris argenté. La rouille, ou la peinture, qui recouvrait leurs montants luisait sous le soleil d’un éclat rouge sombre. Une couleur sale. Les énormes poulies étaient noires. Tendus à l’infini, les câbles diffusaient une lumière argentée qui effrayait, même si elle n’éblouissait pas. Tandis que les yeux percevaient couleur et lumière, les oreilles s’emplissaient du ronflement des poulies qui tournaient, du grincement des câbles et du grondement des explosions souterraines.