la vraie couleur de la vie

« Bonjour, ça va ? »

L’usage verbal traditionnel qui m’insupporte le plus dans ce monde étrange. Trois mots qui ne veulent rien dire pour moi, qui ne signifient absolument rien, si ce n’est réduire son interlocuteur à une formule simpliste dénuée de bon sens.

Trois mots élémentaires qui démontrent, tant s’en faut, le fossé qui existe entre les neurotypiques et les neuroatypiques, autrement dit entre les gens soi-disant normaux et les autres, les soi-disant anormaux. Pourquoi ne pas inverser les deux catégories pour une fois ? Pourquoi les non-autistes seraient-ils toujours considérés comme la norme et donc les autistes comme l’anormalité ? C’est simple à comprendre, d’une logique implacable, aussi simple que deux et deux font quatre, le rapport d’infériorité en nombre naturellement, parce que seulement 2 enfants sur 100 naissent autistes. Ainsi, la seconde catégorie dont je fais partie ne répond pas à tout un contexte de normes, à une panoplie de rituels qui régit un monde superficiel grâce à des formules tout aussi superficielles. Et c’est bien là le problème, car être autiste dans une société hypernormée c’est subir chaque jour le validisme, en clair considérer la personne valide comme la norme sociale et donc, par extension, révéler une certaine discrimination, même la plus infime qui soit, envers la personne atteinte de TSA (Trouble du Spectre de l'Autisme.)

.Ce n’est pas courant d’entendre quelqu’un oser dire son autisme :

— Bonjour, je suis autiste !

Vous imaginez ? Ces mots interrogent forcément, fascinent, choquent, font peur, nourrissent le fantasme clairement relayé par l’industrie cinématographique d’une manière somme toute exagérée : Rain Man, Good Doctor, Temple Grandin, Astrid et Raphaëlle, Monsieur Je-Sais-Tout, Un Cheval sur le Balcon. Des films ou séries, très bons en l’occurrence, mais où l’autiste concentre souvent toutes les caractéristiques du trouble du développement. Dans la réalité ces cas hautement invalidants tels qu’ils sont joués représentent seulement une infime partie des autistes. C’est dire le fantasme, l’exagération que l’on veut nous montrer !

Quand je dis que je suis autiste mon interlocuteur me répond parfois :

— C’est drôle parce que tu n’as pas l’air autiste !

Parce que c’est quoi « avoir l’air autiste ? », c’est avoir les yeux globuleux, une oreille plus grande que l’autre, peut-être un filet de bave qui coulerait à la commissure des lèvres. Eh bien non ! Quelle déception n’est-ce pas ! En apparence je parais normal.

Le validisme, c’est donc quand la société nous fait comprendre qu’il vaut mieux souffrir et paraître normal plutôt que d’être bien dans sa peau et ressembler à un handicapé. On me dit :

« Tu pourrais faire un effort ! »

De manière plus suspicieuse : «Tu n’en abuserais pas de temps en temps. »

Mais il y a pire encore :

« Tu sembles normal et c’est l’essentiel. »

Et puis il y a mon préféré, la crème de la crème, le top du top :

« Ce n’est pas grave, ça ne t’empêche pas de vivre. »

Non, bien sûr que j’ai l’air normal, bien sûr que ça ne m’empêche pas de vivre, même si mon autisme m’organise assez souvent des petites fêtes surprises sans me prévenir.