Trilogie noire, tome 2 : Layla

Hôtel des ventes Drouot-Richelieu, IXe arrondissement

Vendredi, 11h10

- C'est dans quelle salle ? demande Layla.

- La cinq, là-haut, lui répond son père en montrant un étroit escalier mécanique encombré d'une foule d'un certain âge, nippée costard-cravate/tailleur-talons.

M. Nemours et sa fille s'élancent dans le torrent des vieux friqués, quelques-uns surveillés par leurs blondasses trentenaires, vulgaires et peinturlurées, jalouses de l'héritage à encaisser bientôt. C'est ça, Drouot ! L'escalator déverse son flot au premier étage. Avant d'entrer dans la salle, Layla se retourne pour s'assurer que son père la suit. Nemours en profite pour admirer sa chère petite fille devenue femme malgré lui. Oui, elle est sacrement femme dans son ensemble bleu marine qui la sculpte, Layla. Et belle ! Tout en elle est lumière, miroitements, lueurs, reflets : éclat de l'anneau d'argent ornant sa cheville droite, chatoiement des perles qui ponctuent son interminable chevelure brune ramenée en avant, scintillement de la petite croix habillant son décolleté, étincelles au fond de ses yeux sombres... Et en plus, elle sourit. Avec tout de même une légère marque d'impatience au coin des lèvres.

- Bon, tu viens ? Je suis pressée !

Le père et la fille pénètrent dans la salle numéro cinq. Ils viennent pour l'exposition précédant la vente de lithographies qui aura lieu en début d'après-midi. Bernard-Claude Nemours, marchand d'art réputé, vient faire ses emplettes. Comme Layla n'a pas cours entre 10 heures et midi, elle a souhaité l'accompagner.

Les oeuvres picturales sont présentées de diverses façons. Les plus précieuses sont exposées à l'horizontale dans des cages vitrées, les autres reposent sur des tables latérales ou sont fixées aux murs. Il s'agit exclusivement de paysages. Toutes ont été imprimées dans la première moitié du XIXe siècle. Une trentaine d'amateurs d'art parcourent les travées entre les vitrines, catalogue à la main. Des hommes, pour la plupart. L'atmosphère est saturée de parfums haut de gamme brassés avec des émanations de vieilles peaux.

M. Nemours sait ce qu'il cherche. Après avoir salué deux, trois connaissances, il se dirige vers l'une des vitrines. Trois lithos y sont présentées. On y voit un paysage marin, un autre champêtre et un moulin près de sa rivière.

- Classique, tranche Layla.

- Les thèmes, oui, mais observe les couleurs ! Sacrées nuances ! Une technique pareille si tôt dans l'histoire de la lithographie, c'est remarquable, tu ne trouves pas ?

Layla s'approche. Elle finit par acquiescer, mais ne semble pas convaincue.