La Princesse barbare, Tome 1

Audifré sentit la colère le gagner :

"Tu essaies donc, dit-il, de me vendre une esclave affligée d'une tare, quatre fois plus cher qu'une autre et tu oses parler d'honnêteté ! Je savais les gens de ton espèce peu recommandables, mais jamais je n'aurais pensé qu'ils pouvaient atteindre de tels sommets !"

Le Juif, imperturbable, lui tourna le dos et se remit à vanter la qualité de sa marchandise en donnant cette fois force détails sur les biceps d'un guerrier ou les seins d'une adolescente. Il passa devant la barbare sans s'arrêter. Pour lui, il était désormais entendu qu'il la vendrait en pays musulman.

La foule détourna son attention, à nouveau prise par le jeu mercantile. Il en allait tout autrement d'Audifré qui ne quittait pas l'esclave des yeux. Celle-ci demeurait de marbre. Une rage impuissante monta en lui. Sans savoir pourquoi, il voulait la tirer de là. Poser une chape de laine sur sa poitrine nue, à la vue de tous, sous l'étoffe légère qui ne cachait rien des jambes fuselées, de la taille fine, des seins parfaits qui tendaient sa tunique.

Audifré ne cherchait plus à analyser ses sentiments. La seule chose qui lui paraissait claire soudain, c'est qu'il ne pourrait quitter le marché sans cette femme.

Il fit signe au marchand d'approcher :

"Prends ta balance, lui dit-il brusquement, et voyons combien pèse cette bourse." Il la jeta volontairement aux pieds du Radhanite, l'obligeant ainsi à se baisser. Ce marchandage dégradant lui avait fait perdre ses bonnes manières.

"Ne désires-tu pas auparavant examiner, disons de plus près, la femelle ?" lâcha le Juif, conciliant.

"La femel....."Audifré s'interrompit. Inutile de discuter plus avant avec ce maquignon. "Fais ce que je te dis et hâte-toi !"

Devant la bourse pansue, le marchand redevint volubile.*

"Je puis t'affirmer qu'elle possède des dents saines et que sa santé est bonne. Un médecin les examine toujours avant la mise à prix." Il sourit d'un air entendu : "Tu vas pouvoir dès ce soir la mettre dans ta couche sans aucune crainte..

Le compte est-il exact ? "s'enquit Audifré, glacial.

Le marchand comprit qu'il valait mieux obtempérer en silence.

"Oui seigneur", dit-il en s'inclinant bien bas. Il se dirigea vers Inga et défit les chaînes qui entravaient ses pieds. Puis, il la prit par le bras pour la conduire vers son nouveau maître. L'esclave, qui le dominait par la taille, réagit alors, d'une manière aussi subite qu'imprévisible : elle repoussa violemment le marchand qui manqua perdre l'équilibre et alla se camper quelques mètres plus loin, près de l'une de ses compagnes d'infortune, d'une quinzaine d'années plus âgée qu'elle.

Audifré, immobile, n'avait rien perdu de la scène. Il scrutait ce visage si nouveau et si familier déjà, espérant y déceler quelque chose d'humain ; un sentiment dans ce regard vide....