Le Kalishar, Tome 1 : Avant les cendres

Depuis le toit de briques rouges sur lequel elle était perchée, Sahar laissa son regard dériver le long des gorges, à la surface des eaux vertes du fleuve. De là où elle se trouvait, elle devinait à peine le sommet de la mâture de ce navire étrange qui avait accosté plus tôt dans la matinée, un navire comme elle n’en avait jamais vu auparavant ; un vaisseau splendide, cyclopéen, aux courbes acérées et aux larges voiles de lin écarlates, dont la coque semblait faite d’ambre pur et sur laquelle le soleil faisait jouer mille reflets éclatants. La rumeur courrait en ville qu’il appartenait à la reine d’une contrée lointaine dont Sahar n’avait jamais entendu parler, venue marier son jeune fils à l’Impératrice. Une manifestation de cet autre monde, presque aligné au sien et pourtant si distant, si inaccessible ; ce monde dont elle ne percevait que de brèves images, fugaces, éphémères, des spectres d’opulence qui s’évaporaient aussitôt que son regard les effleurait. Comme cette chaise à porteurs qui avait mené les étrangers venus de par delà l’océan à travers les rues sinueuses de la ville basse en direction du palais de l’Impératrice, avec un empressement qui confinait au grotesque, comme par peur de s’égarer ici-bas, de piéger pour l’éternité ses illustres occupants dans ce monde qui n’était pas le leur. Un monde de sueur et de sang, de mains calleuses et de dos brisés.

— Sahar Dahya, Chapitre 18