Le Garçon de joie

La porte de l’église fermait à peine et le vent la faisait gémir ; dans ce recoin, près de la sacristie, il y avait pour tout confessionnal deux montants de bois grillagés dans leur milieu et un rideau blanchâtre cachant le prêtre. De là où Gilles se tenait à genoux, on voyait dans la pénombre de l’escalier qui conduisait à la tribune un portement de croix en stuc colorié dont les ors s’effaçaient et où la couronne d’épines ressemblait à un soleil un peu rouge.

— J’ai tué une fille avec un camarade, murmura Gilles d’une voix hésitante.

Le prêtre se pencha vers la grille :

— Parlez plus distinctement, je n’entends pas très bien.

Mais Gilles se tut, il avait peur qu’on n’entrât tout à coup et qu’on ne surprît ce qu’il voulait à la fois avouer et dissimuler. C’était sa chance, un prêtre un peu sourd et une porte qui ne fermait pas !

— Je vous écoute, dit encore le prêtre.

C’était un homme jeune, fort pâle, dont les yeux clairs semblaient prisonniers dans le visage, comme un morceau d’azur. Il paraissait n’avoir vécu que dans cette église simple et pauvre ; les dahlias de son jardin se fanaient dans les vases de porcelaine sur l’autel. Sa soutane était élimée, son long corps maigre, ses regards agrandis par des mortifications secrètes ou les tourments de la foi.

Tant que Gilles parla, le jeune prêtre ne bougea pas plus que s’il était mort, et lorsqu’il en arriva à la phrase de Didier, il baissa la voix comme s’il avait honte de ces mots plus que de tout le reste ou peut-être simplement parce que Didier avait chuchoté lui-même, à ce moment-là.

— L’après-midi, continua-t-il, nous allâmes chez elle, ou du moins moi seul, Didier m’attendait dans ma voiture. Comme nous l’avions décidé, je dus expliquer à la jeune fille qu’il ne pouvait venir qu’à la tombée du jour, qu’il était favorable à leur union, mais que surpris par ce changement de fortune il avait cru bon de lui montrer de l’éloignement pour ne point lui paraître un obstacle si un parti plus brillant se présentait à elle. Il songeait à moi, mais, bien que nos familles, nos souvenirs et l’enfant luimême eussent dû nous rapprocher, elle laissa percer tant de joie aux prétendus sentiments de Didier, qu’elle n’entendit rien d’autre et je sortis de chez elle éconduit une nouvelle fois. Je lui avais auparavant demandé de la part de Didier de ne rien annoncer avant huit jours. Que faire contre un amour blessé ? Je me rendis à tout ce que Didier voulut. Nous allâmes vers Usselles en voiture et je l’écoutai mettre sur pied un plan sans défaillance. Il me dit que, devant dîner chez un notable le lundi à neuf heures, je devrais le chercher à huit heures chez lui. Ainsi, deux personnes pourraient attester notre présence en ville à ces heures-là. « J’arriverai en retard pour le dîner, mais avec toi, ajoutat- il. Entre-temps, nous aurons eu notre rendez-vous avec elle. Il faudra jeter le corps après le barrage, c’est quinze kilomètres deux fois. Nous en aurons pour trois quarts d’heure, tout compris. »