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"Seules les feuilles sur lesquelles je devais recopier quotidiennement l’alphabet et des phrases m’indiquaient que Rhysand était présent. Jour après jour, l’un des mots de ces phrases était remplacé par un autre, encore plus exaspérant que le précédent :

Rhysand est le plus beau des Grands Seigneurs.

Rhysand est le plus adorable des Grands Seigneurs.

Rhysand est le plus rusé des Grands Seigneurs."

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"Je serais prêt à tout pour protéger mes proches et mon peuple"

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L’amour peut être un baume ou un poison…

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Jour après jour, l’un des mots de ces phrases était remplacé par un autre, encore plus exaspérant que le précédent :

Rhysand est le plus beau des Grands Seigneurs.

Rhysand est le plus adorable des Grands Seigneurs.

Rhysand est le plus rusé des Grands Seigneurs.

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Bonne nuit, répondis-je.

Tachez de ne pas gémir trop fort quand vous rêverez de moi : j'ai besoin de sommeil pour rester beau.

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-Je peux vraiment vous appeler de cette manière ? demandai-je en examinant l'œil tatoué.

-Si vous préférez, frottez-le contre certaines parties de votre corps: j'arriverai peut-être plus vite.

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– Il y a différentes sortes de ténèbres, reprit Rhysand. Certaines sont effrayantes, d’autres apaisantes ou reposantes. Les ténèbres des amants, celles des assassins… Elles ne sont ni entièrement bonnes ni entièrement mauvaises. Elles sont ce que leur porteur désire

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Chapitre 5 Cela n’aurait pas dû me surprendre. Je connaissais le goût de Rhysand pour les mises en scène et le plaisir qu’il prenait à exaspérer Tamlin. Rhysand, le Grand Seigneur de la Cour de la Nuit, se tenait devant moi, et les ténèbres déferlaient de lui comme de l’encre dans de l’eau. Il inclina la tête de côté et ce mouvement fit onduler ses cheveux d’un noir bleuté. Ses yeux violets pétillaient dans la lumière dorée des globes tandis qu’il regardait Tamlin, Lucien et les sentinelles tirer leurs épées pour me protéger et l’abattre… Mais quand il leva la main vers eux, ils se figèrent. Ianthe, livide, battait lentement en retraite. – Quelle jolie petite fête de mariage, commenta Rhysand en fourrant les mains dans ses poches tandis que les épées réintégraient leurs fourreaux. Les invités reculaient et certains escaladaient même des sièges pour s’enfuir plus vite. Rhysand me détailla de la tête aux pieds et claqua de la langue à la vue de mes gants. La force étrange qui s’était amassée en moi se pétrifia et refroidit. – Sors d’ici, gronda Tamlin en s’approchant de lui, toutes griffes dehors. – Non, désolé : j’ai conclu un marché avec cette chère petite Feyre, répondit Rhysand. Je sentis mon cœur se serrer. Non, pas maintenant… – Si tu essaies de le rompre, tu sais ce qui arrivera, reprit-il à mon adresse. Je t’ai laissé trois mois de liberté. Tu pourrais au moins paraître joyeuse de me revoir. Je tremblais trop fort pour être capable de répondre. Le regard de Rhysand exprima soudain le dégoût, mais il se ressaisit quand il s’adressa de nouveau à Tamlin. – Je l’emmène. – Essaie seulement, vociféra Tamlin. L’estrade derrière lui était vide. Ianthe avait disparu, comme presque tous les invités. – Vous aurais-je dérangés ? Je croyais que c’était terminé, reprit Rhysand en m’adressant un sourire venimeux. Il savait, par le lien mystérieux qui nous unissait, que j’étais sur le point de dire non. – C’est du moins ce que Feyre semblait croire, ajouta-t-il. – Finissons-en avec la cérémonie, gronda Tamlin. – Votre Grande Prêtresse est apparemment du même avis que Feyre, observa Rhysand. À la vue de l’estrade vide, Tamlin se raidit. Quand il se retourna vers nous, ses griffes étaient à demi rétractées. – Rhysand…, commença-t-il. – Je ne suis pas d’humeur à marchander, coupa Rhysand, même si je suis sûr que cela pourrait tourner en ma faveur. Je tressaillis au contact de sa main sur mon coude. – Allons-y, m’ordonna-t-il. Je restai immobile. – Tamlin…, soufflai-je. Tamlin fit un pas dans ma direction, blême, mais sans quitter Rhysand des yeux. – Quel est ton prix ? – Inutile de te fatiguer, susurra Rhysand en passant son bras sous le mien. Le moindre contact avec lui m’était insupportable. Il allait m’emmener à la Cour de la Nuit, dont Amarantha s’était inspirée pour sa propre cour Sous la Montagne. Un lieu de dépravation, de tourments et de mort… – Tamlin, implorai-je de nouveau. – Que d’histoires…, commenta Rhysand en m’attirant plus près de lui. Mais Tamlin ne fit pas un geste. Ses griffes étaient rétractées. Il regardait fixement Rhysand, les dents découvertes dans un grondement. – Si tu lui fais le moindre mal… – Oui, oui, je sais, fit Rhysand d’une voix traînante. Je la ramène dans une semaine. Non… Tamlin ne pouvait pas me laisser partir, mais c’était pourtant ce qu’il allait faire. Lucien lui-même le dévisageait, pâle de fureur et de stupéfaction. Rhysand lâcha mon coude, passa un bras autour de ma taille et me pressa contre son flanc. – Accrochez-vous, murmura-t-il. Des ténèbres rugissantes m’enveloppèrent, une bourrasque me secoua, le sol se déroba et le monde disparut. Il ne restait plus que Rhysand et, tout en m’accrochant à lui, je le haïssais. Puis les ténèbres s’évanouirent. Je sentis d’abord une odeur de jasmin, et puis je vis des étoiles, une mer d’étoiles scintillant entre des piliers de pierres de lune translucides qui encadraient une immense étendue de sommets neigeux. – Bienvenue à la Cour de la Nuit, furent les seules paroles de Rhysand.     C’était le plus beau paysage que j’eusse jamais vu. L’édifice dans lequel nous nous trouvions était au sommet de l’une des montagnes de pierre grise. Nous nous tenions au centre d’une salle ouverte aux éléments, sans murs ni fenêtres, tout en piliers imposants et en rideaux de gaze ondulant dans une brise aux senteurs de jasmin. C’était sans doute la magie qui préservait la tiédeur de l’air au cœur de l’hiver, en haut de ces montagnes couvertes d’une neige que des rafales faisaient voler comme des voiles de brume scintillante. De petits salons, salles à manger et cabinets d’étude étaient délimités par ces rideaux de gaze, par des plantes vertes ou d’épais tapis éparpillés sur le sol en pierre de lune. Quelques globes de lumière et des lanternes en verre coloré suspendus aux arches du plafond oscillaient sous la brise. On n’entendait ni cris, ni hurlements, ni lamentations. Derrière moi s’élevait un mur de marbre blanc percé d’arches donnant sur des escaliers obscurs. – Nous sommes dans ma résidence privée, expliqua nonchalamment Rhysand. Sa peau était plus sombre que dans mon souvenir, légèrement dorée, alors qu’autrefois son teint était pâle. Pâle de ses cinquante ans d’emprisonnement Sous la Montagne. Ses puissantes ailes avec lesquelles il aimait tant voler, comme il me l’avait confié, étaient invisibles. Je ne voyais que l’immortel au sourire narquois, avec cette expression que je ne connaissais que trop bien… – Comment avez-vous osé… ? lançai-je, furieuse. Il ricana. – Comme elle me manquait, cette expression sur votre visage ! Quel plaisir de la revoir, persifla-t-il. Il se rapprocha de moi avec une souplesse féline. Ses yeux violets s’assombrirent et son regard devint féroce. – Au fait, il n’y a vraiment pas de quoi, reprit-il. – Que voulez-vous dire ? Il s’arrêta à un pas de moi et glissa les mains dans ses poches. Sans les lambeaux de nuit émanant de lui, il paraissait presque normal malgré sa perfection physique. – Pour avoir répondu à votre appel au secours, expliqua-t-il. Je me raidis. – Je ne vous ai rien demandé. Son regard se posa sur ma main gauche. Soudain, il saisit mon bras et arracha le gant. Son contact me brûla comme un fer chauffé au rouge. Je tressaillis, puis reculai d’un pas, mais il ne lâcha pas prise avant d’avoir ôté les deux gants. – Je vous ai entendue supplier et appeler à l’aide. Je vous ai entendue dire non, poursuivit-il. – Je n’ai jamais dit ça. Il retourna ma main, examina l’œil tatoué sur ma paume et le tapota deux fois de suite. – Je vous ai entendue distinctement, déclara-t-il. Je me dégageai. – Ramenez-moi immédiatement. Je n’ai jamais voulu être enlevée, dis-je. Il haussa les épaules. – N’était-ce pas le moment idéal pour venir ici ? demanda-t-il. Peut-être Tamlin n’a-t-il pas compris que vous alliez l’éconduire devant toute sa cour… peut-être pourrez-vous donc rejeter la faute sur moi ? – Espèce d’ordure… vous avez assez clairement laissé entendre que j’avais des… réticences. – J’aime cette reconnaissance dont vous savez faire preuve… – Qu’est-ce que vous attendez de moi ? demandai-je, excédée. – Ce que j’attends ? Que vous disiez merci pour commencer. Et que vous ôtiez cette robe hideuse. Vous avez… Vous avez tout à fait l’allure de la douce damoiselle qu’ils voudraient vous voir devenir, cette couarde de prêtresse et lui, commenta-t-il avec un rictus cruel. – Vous ne savez rien de moi. Ni de nous. – Et Tamlin, que sait-il ? demanda Rhysand avec un sourire entendu. Vous a-t-il demandé pourquoi vous vomissez chaque nuit, pourquoi vous ne pouvez plus entrer dans certaines pièces et ne supportez plus la vue de certaines couleurs ? Je me pétrifiai. Il aurait aussi bien pu m’arracher mes vêtements. – Sortez de mon crâne, immédiatement ! lançai-je. – Il n’y a vraiment pas de quoi, répliqua-t-il en reculant de quelques pas. Croyez-vous que cela m’amuse d’être réveillé toutes les nuits ? Je sais tout de vous par ce lien et cela ne m’enchante pas de tout voir alors que j’ai envie de dormir. – Salaud ! Il gloussa. – Quant à ce que je veux de vous… je vous le dirai demain matin au petit déjeuner, reprit-il. Pour l’instant, allez faire votre toilette et reposez-vous. Je vis de nouveau une lueur féroce dans ses yeux à la vue de ma robe et de ma coiffure. – Prenez l’escalier sur la droite et descendez d’un étage. La première porte sera celle de votre chambre. – Ce n’est donc pas un cachot ? demandai-je en pensant que j’étais stupide de trahir ainsi mes craintes. Rhysand se tourna vers moi, les sourcils levés. – Vous n’êtes pas prisonnière, Feyre. Vous avez conclu un marché que je vous demande d’honorer. Vous êtes mon invitée et vous jouissez des mêmes privilèges que tout habitant de ce palais. Ici, aucun de mes sujets ne vous fera de mal ou ne pensera seulement du mal de vous. – Où sont donc ces sujets ? – Certains vivent ici, sur cette montagne. Il leur est interdit de mettre le pied dans ce palais. Ils savent qu’en désobéissant, ils signeraient leur arrêt de mort. Ses yeux plongèrent dans les miens comme s’il devinait mon affolement et ma terreur. – Amarantha manquait d’imagination, reprit-il avec une rage contenue. Ma cour est redoutée depuis la nuit des temps et siège sous cette montagne. Amarantha en a créé une copie en violant la montagne sacrée de Prythian. Oui, j’ai bien une cour et je la préside quelquefois, mais elle se gouverne elle-même. – Quand… quand m’y mènerez-vous ? J’étais prête à le supplier de n’en rien faire, à m’humilier plutôt que de revivre les atrocités subies Sous la Montagne. J’avais perdu toute fierté quand il s’agissait de survie. – Je ne vous y emmènerai pas, répondit-il. Mon foyer est ici et ma cour est mon… occupation, comme disent vos semblables les mortels. Je n’aime pas mélanger les deux. – Mes semblables ? répétai-je en haussant les sourcils. – Devrais-je vous considérer autrement ? C’était de la provocation pure et simple. Je refoulai mon exaspération en voyant qu’il retenait un sourire. – Et où sont les autres membres de votre cour ? demandai-je soLe territoire de la Cour de la Nuit était immense, plus vaste que ceux de toutes les autres cours de Prythian. Nous étions entourés de montagnes désertes balayées par des rafales de neige, sans la moindre ville ou bourgade en vue. – Disséminés sur ce territoire, libres de vivre où bon leur semble, de même que vous êtes libre d’aller et venir où bon vous semble. – Je veux aller et venir sur mes terres. Rhysand éclata de rire, puis s’éloigna nonchalamment vers l’autre extrémité de la salle, qui donnait sur une terrasse à ciel ouvert. – Je suis toujours prêt à recevoir vos remerciements, me lança-t-il sans se retourner. Ma vision se teinta de rouge. Un instant plus tard, je tenais l’une de mes pantoufles à la main. Je la lançai vers lui de toutes mes forces d’immortelle. Elle fendit l’air comme une étoile filante, si vite que même un Grand Seigneur ne pouvait la repérer à temps… et le frappa à l’arrière de la tête. Rhysand pivota, les yeux agrandis, en portant une main à sa nuque. J’avais déjà l’autre pantoufle à la main. Il retroussa les lèvres, découvrant ses dents. – Essayez seulement…, dit-il avant de s’interrompre. Il devait être plutôt mal luné pour perdre si vite son sang-froid. Parfait, pensai-je. Dans ce cas, nous sommes deux. Je lui lançai la seconde chaussure à la tête avec la même force que la première fois. Il la saisit au vol à quelques centimètres de son visage. Il poussa un sifflement, baissa le bras et ses yeux rencontrèrent les miens tandis que la soie de la pantoufle se réduisait en poussière noire et scintillante dans son poing. Il déplia les doigts, laissant les derniers grains de poussière s’évanouir dans l’air, puis examina ma main, mon corps et mon visage. – Voilà qui est intéressant, murmura-t-il avant de repartir. J’avais envie de le gifler, mais je me contins : j’étais chez lui, au sommet d’une montagne, et personne ne viendrait à mon secours. Je me dirigeai donc vers l’escalier qu’il m’avait indiqué. Je l’atteignais à peine quand une voix féminine enjouée résonna derrière moi, dans la direction de Rhysand : – Ça commence bien, on dirait… Le grondement de Rhysand m’incita à presser le pas.     Ma chambre avait tout du rêve. Après l’avoir inspectée pour repérer chaque issue et chaque cachette possible, je me campai au milieu de la pièce pour examiner l’endroit où je passerais la semaine. Comme à l’étage supérieur, des baies sans vitres ni volets s’ouvraient sur la brutalité des éléments, et de simples rideaux améthyste flottaient dans cette brise surnaturelle. Le grand lit blanc et ivoire ressemblait à un dessert à la crème couvert de coussins et de couvertures que la douce lueur dorée de deux lampes jumelles rendait encore plus accueillant. Une armoire et une coiffeuse étaient disposées près des ouvertures. À l’autre extrémité de la chambre, j’entrevis un cabinet de toilette derrière l’arche d’une porte en bois entrebâillée. Quant à la baignoire… Elle occupait l’autre moitié de la chambre. C’était en réalité un bassin suspendu à flanc de montagne dans lequel j’aurais toute la place pour barboter. Le bord semblait s’évanouir dans l’air nocturne de l’à-pic où l’eau se déversait sans bruit. La corniche à l’opposé était couverte de grosses bougies dont la lueur dorait la surface noire et miroitante de l’eau et les volutes de vapeur. Un lieu spacieux, aéré, luxueux et… calme. Cette chambre au sol en marbre, aux draperies de soie et de velours et aux meubles raffinés était digne d’une impératrice. Je me demandai à quoi ressemblait celle de Rhysand s’il recevait ses invités dans un tel luxe. Cela me rappelait que j’étais son invitée et non sa prisonnière. Je n’essayai même pas de me barricader car Rhysand savait voler et je l’avais déjà vu s’emparer de l’esprit d’un immortel sans effort. Une porte en bois ne me protégerait pas. J’arpentai la chambre dans le bruissement de ma robe de mariée, puis m’arrêtai pour me regarder. Je veux que vous ôtiez cette robe hideuse… Je sentis mon cou et mes joues me brûler à ce souvenir. Ce qu’il m’avait fait était inexcusable, même s’il m’avait… épargné l’obligation d’éconduire Tamlin. Et de m’expliquer avec lui. J’ôtai lentement les épingles et les colifichets de mes cheveux, les empilai sur la coiffeuse puis, écœurée à leur vue, les jetai dans le tiroir que je refermai si brutalement que le miroir vibra. Je frottai la peau de mon crâne endolorie par le poids des boucles et la pression des épingles. J’avais rêvé que Tamlin les retirerait une à une de mes cheveux en déposant un baiser à la place de chacune, et maintenant… Rhysand était le cadet de mes soucis. Tamlin avait perçu ma réticence, mais avait-il deviné que j’allais dire non ? Et Ianthe ? Je devais lui parler, lui expliquer qu’un mariage était impossible, pour le moment en tout cas. Peut-être devais-je attendre que le lien magique unissant deux immortels destinés l’un à l’autre, deux âmes sœurs, s’établisse entre Tamlin et moi, pour être sûre que cette union n’était pas une erreur et que j’étais vraiment digne de lui. Et attendre que Tamlin ait surmonté ses hantises, ses cauchemars, son irrépressible besoin de me protéger – même si je le comprenais. Peut-être pourrais-je tout lui expliquer à mon retour… Mais sa cour m’avait vue hésiter lors de la cérémonie… Ma lèvre inférieure tremblait. Je dégrafai ma robe, la laissai glisser sur le marbre dans un murmure de soie, de tulle et de perles et l’enjambai. Même mes dessous étaient ridicules, tout en dentelles et froufrous, destinés à être admirés par Tamlin avant de finir sous ses griffes. Je ramassai la robe et la fourrai dans l’armoire, où les dessous la rejoignirent. Quand j’y pris la première tenue que je trouvai, un pyjama en soie turquoise, je m’aperçus que je pleurais. Je passai le pantalon, puis la tunique à manches courtes, grimpai sur l’énorme lit nuageux et trouvai à peine la force de souffler les deux bougies de chevet. Mais dès que l’obscurité enveloppa la chambre, mes sanglots me firent trembler de la tête aux pieds.     Rhysand m’avait dit que je le retrouverais au petit déjeuner. Les servantes qui s’étaient occupées de moi Sous la Montagne se présentèrent à l’aube. Je n’aurais jamais reconnu ces jolies jumelles aux cheveux noirs, car je ne les avais vues que sous l’apparence d’ombres. Ici, elles étaient redevenues chair. Elles s’appelaient Nuala et Cerridwen. Elles frappèrent doucement à ma porte, m’éveillant en sursaut. Pendant quelques secondes, je fus surprise de la douceur de mon lit et de la vision des montagnes lointaines au lieu de collines verdoyantes… et puis tout me revint avec une migraine lancinante. Quand les servantes m’eurent expliqué à travers la porte qui elles étaient, je me levai de mon lit en titubant pour les faire entrer. Elles m’informèrent que le petit déjeuner serait servi dans une demi-heure et que je devais entretemps m’habiller. Elles déposèrent des vêtements sur le lit avant de me laisser à ma toilette. Alors que j’étais tentée de me prélasser jusqu’au soir dans la chaleur exquise du bassin, je sentis à travers ma migraine un léger tiraillement qui ne me laissait pas de répit, semblable à celui qui m’avait réveillée quelques heures après la chute d’Amarantha. Je m’immergeai jusqu’au cou et contemplai le ciel limpide d’hiver et les nuages chargés de neige cinglés par les bourrasques sur les sommets. Mais le tiraillement reprit dans mon crâne et dans mon ventre, comme un appel ; il était comme une cloche qui appellerait une servante. Je sortis du bain en le maudissant copieusement et m’habillai. J’avançais maintenant dans le couloir ensoleillé de l’étage supérieur, avec toujours cet insupportable tiraillement au ventre. Mes pantoufles en soie ne faisaient presque aucun bruit sur le sol en pierre de lune. J’avais envie d’arracher les vêtements que je portais parce qu’ils venaient de là, parce qu’ils lui appartenaient. Mes pantalons pêche bouffants et serrés aux chevilles étaient bordés de galons en velours doré tout comme les longues manches en gaze de la tunique qui découvrait mon nombril et un peu de mon ventre. C’était une tenue confortable qui laissait toute liberté pour se mouvoir… comme pour fuir. Féminine, exotique et assez légère pour me laisser supposer que je passerais la semaine dans l’air tiède de ce climat surnaturel, et non dans le froid des montagnes. Au bout du couloir, une petite table de verre brillait comme du métal fondu au milieu d’une pergola. Elle était entourée de trois chaises et chargée de jus de fruits, de pâtisseries et de viandes. Et sur l’une de ces chaises… bien qu’il fût absorbé dans la contemplation de la vue panoramique, je savais qu’il avait senti ma présence dès que j’avais surgi de l’escalier. Ou peut-être même à mon réveil, comme le laissait supposer ce tiraillement. Je m’arrêtai entre les deux derniers piliers pour observer le Grand Seigneur assis à la table et la vue qu’il contemplait. – Je ne suis pas un chien qu’on siffle, lui lançai-je en guise de bonjour. Il regarda lentement par-dessus son épaule. Ses yeux violets avaient un éclat intense dans la lumière et je serrai les poings tandis qu’ils me toisaient de la tête aux pieds. Quelque chose lui fit froncer les sourcils. – Je ne voulais pas que vous vous perdiez, expliqua-t-il sur un ton égal. Ma migraine me taraudait. Je lorgnai la théière en argent fumant au milieu de la table. – Je croyais qu’il faisait toujours nuit ici, dis-je pour dissimuler que je mourais d’envie d’une tasse de thé revigorant. – Nous sommes l’une des trois cours solaires, répondit-il en m’invitant à m’asseoir d’un geste plein de grâce. Nos nuits sont les plus belles, nos aubes et nos couchers de soleil splendides, mais nous suivons le cours de la nature. Je m’assis sur la chaise capitonnée face à la sienne. Sa tunique déboutonnée laissait entrevoir un peu de son torse bronzé. – Les Grands Seigneurs des cours des saisons peuvent maintenir éternellement la saison de leur choix. Les pouvoirs des cours solaires – celles de l’Aube, du Jour et de la Nuit – sont plus… symboliques. Mais bien que nous soyons puissants, nous ne pouvons modifier ni le cours du Soleil ni son intensité. Un peu de thé ? J’acquiesçai et il reprit, tout en me servant : – Mais ici, nos nuits sont si splendides que certains habitants de ce pays se lèvent au crépuscule et se couchent à l’aube pour vivre sous la lumière des étoiles. Je versai un nuage de lait dans mon thé et regardai le blanc et le brun fusionner. – Pourquoi fait-il si chaud ici alors que l’hiver sévit au-dehors ? demandai-je. – Par le pouvoir de la magie. – Évidemment, mais pour quelle raison ? insistai-je avant de boire une gorgée de thé dont la chaleur et le goût de fumée me firent presque gémir de plaisir. – On chauffe bien une maison en hiver : pourquoi pas cette demeure ? À vrai dire, j’ignore pourquoi mes ancêtres ont bâti un palais digne de la Cour de l’Été parmi ces montagnes où, au mieux, il fait doux. Mais qui suis-je pour y trouver à redire ? Je bus encore quelques gorgées de thé, sentis ma migraine s’apaiser et pris quelques fruits dans une coupe en verre à côté de moi. Il suivait des yeux tous mes mouvements. – Vous avez perdu du poids, observa-t-il calmement. – Cela paraît vous surprendre. Pourtant, vous pouvez fouiller dans mes pensées à tout moment, répondis-je en embrochant un morceau de melon sur ma fourchette. Ses yeux ne pétillèrent pas cette fois-ci, mais le sourire familier revint jouer sur ses lèvres sensuelles. – Je ne le fais que de temps en temps. Et je n’y peux rien si vous me communiquez vos réactions, vos pensées et vos émotions par notre lien. – Et… comment fonctionne ce lien qui vous permet de lire en moi ? demandai-je, oubliant mes résolutions de ne plus lui poser de questions. – Imaginez-le comme un pont qui nous relie. Chacune de ses extrémités donne sur une porte qui est la voie d’accès à votre esprit et au mien. Cette porte est un bouclier, une défense mentale. Mes dons innés me permettent de franchir les défenses mentales de n’importe qui, à moins que cette personne ne possède une force exceptionnelle ou ne se soit longuement entraînée pour me faire barrage. Quand vous étiez encore mortelle, la porte de votre esprit était grande ouverte. Depuis que vous êtes une Fae… tantôt vos défenses sont érigées, tantôt ce bouclier mental disparaît, par exemple quand vous éprouvez une émotion violente. Alors vous êtes aussi exposée que si vous vous teniez sur le seuil de votre esprit et hurliez tout ce que vous pensez. Parfois, je vous entends, mais pas toujours. Je le foudroyai du regard et serrai ma fourchette dans mon poing. – Et ça vous arrive souvent d’entrer par effraction dans mon esprit ? – Ça m’arrive quand j’ignore si vos cauchemars sont prémonitoires ou s’ils ne sont que les produits de votre imagination. Quand, sur le point d’être mariée, vous appelez au secours. Et seulement quand vous abaissez vos défenses mentales et hurlez ce que vous ressentez par-dessus ce pont qui nous relie. Et, pour répondre à la question que vous n’avez pas encore posée, oui, même quand vos défenses sont érigées, je peux les franchir si je veux. Vous pourriez toutefois apprendre à vous défendre de moi malgré mes dons et ce lien qui nous unit… J’ignorai cette offre, car l’accepter aurait signifié consentir au marché que nous avions conclu et m’aurait davantage engagée vis-à-vis de lui. – Que voulez-vous de moi ? demandai-je. Vous m’avez dit que vous me le révéleriez aujourd’hui, alors dites-le-moi maintenant. Rhysand se renversa dans son fauteuil et croisa ses bras puissants. – Ce que je veux de vous ? Tout d’abord, que vous appreniez à lire

Chapitre 6 Quand nous étions prisonniers Sous la Montagne, Rhysand m’avait lancé un jour par taquinerie qu’il pourrait me torturer en me forçant à apprendre à lire. – Non, merci, répondis-je en serrant ma fourchette pour ne pas la lui lancer à la tête. – Vous allez devenir l’épouse d’un Grand Seigneur. Vous serez censée tenir une correspondance, faire un discours, rédiger des menus pour des dîners, des lettres de remerciements pour vos cadeaux de mariage, broder de jolies phrases sur des taies d’oreiller… Vous devez apprendre à lire. Et, tant que nous y serons, pourquoi ne pas vous entraîner à renforcer vos défenses mentales ? Il est possible de s’exercer aux deux en même temps. – Ce sont en effet des savoir-faire indispensables, admis-je, les dents serrées. Mais ce n’est pas vous qui me les enseignerez. – Mais que ferez-vous donc de vos journées ? Voulez-vous peindre ? Où en êtes-vous de votre peinture, Feyre ? – Qu’est-ce que cela peut bien vous faire ? – Cela m’intéresse à plus d’un égard. – C’est-à-dire ? demandai-je en détachant ces mots. – Pour le savoir, je crains fort que vous ne soyez obligée de coopérer avec moi. Quelque chose de dur et d’anguleux meurtrit ma paume. Quand je baissai les yeux, je vis que j’avais plié et tordu ma fourchette. – Voilà qui est intéressant, gloussa Rhysand alors que je la reposais sur la table. – Vous l’avez déjà dit hier soir, lançai-je. – M’est-il interdit de le répéter ? – Ce n’est pas ce que je veux dire et vous le savez très bien. Son regard me sonda comme s’il pouvait voir à travers l’étoffe pêche de ma tunique, à travers ma peau, mon âme brisée, puis revint se poser sur la fourchette. – Vous a-t-on déjà dit que vous avez une force physique exceptionnelle pour une Grande Fae ? – C’est vrai ? – Je suppose que cela veut dire non. Avez-vous déjà essayé de vous mesurer à quelqu’un ? – Pourquoi le ferais-je ? répondis-je en songeant que dans mon état cela m’achèverait probablement. – Parce que vous avez été ressuscitée et muée en immortelle par l’alliance des pouvoirs des sept Grands Seigneurs de Prythian. Si j’étais vous, je serais curieux de savoir quelles autres modifications j’ai subies au cours de la métamorphose. – Je n’ai subi aucune autre modification, répondis-je en sentant mon sang se glacer à cette idée. – Si c’était le cas, ce serait plutôt… intéressant, fit-il avec un sourire narquois. – Ce n’est pas le cas et il est hors de question que j’apprenne à lire et à construire des défenses mentales avec vous. – Pourquoi donc ? Par rancune ? Je croyais pourtant que nous avions surmonté tous nos différends quand nous sommes ressortis de Sous la Montagne. – Ne me forcez pas à vous rappeler tout ce que vous m’avez fait subir là-bas. Rhysand se pétrifia soudain. Pendant quelques secondes, il resta aussi immobile qu’un mort, et c’était également la mort qui semblait avoir éteint son regard. Soudain, sa poitrine se souleva au rythme de sa respiration de plus en plus rapide. Et, sur le fond des grands piliers qui s’élevaient derrière lui, je fus certaine d’entrevoir l’ombre de gigantesques ailes déployées. Il se pencha en avant, entrouvrit la bouche, puis s’interrompit. Un instant plus tard, les ombres disparurent, sa respiration se calma et son habituel sourire nonchalant était de retour. – Nous avons de la compagnie, m’annonça-t-il. Nous discuterons de tout cela plus tard. – Non, certainement pas, répondis-je. Mais le bruit de pas vifs et légers résonna dans la salle et elle apparut. Si Rhysand était le plus bel homme que j’eusse jamais vu, elle en était l’équivalent féminin. Ses cheveux d’or étincelants étaient noués en une tresse lâche et la nuance turquoise de sa tenue semblable à la mienne rehaussait le hâle de son teint. Elle resplendissait dans la lumière du matin. – Bonjour, tout le monde ! lança-t-elle joyeusement, et ses lèvres pleines s’ouvrirent en un sourire éblouissant tandis que ses yeux d’un brun chaud se posaient sur moi. – Feyre, je vous présente ma cousine Morrigan, dit Rhysand avec nonchalance. Mor, cette charmante et aimable jeune fille s’appelle Feyre. Mor s’avança vers moi. Sa démarche était gracieuse, ferme et assurée comme celle de quelqu’un qui n’a nul besoin d’armes pour se battre. – J’ai tellement entendu parler de vous, dit-elle. Je me levai, puis lui tendis maladroitement la main. Elle l’ignora et me serra contre elle avec une force effrayante. Elle sentait le citron et la cannelle. Je m’efforçai de me détendre quand elle me relâcha avec un sourire malicieux. – Vous semblez mettre les nerfs de Rhys à rude épreuve, commenta-t-elle en prenant place entre nous. Il était sûrement temps que j’arrive, mais je serais ravie de vous voir l’envoyer au tapis. Rhysand la regarda, les sourcils levés. – Je suis… très heureuse de vous rencontrer, répondis-je en réprimant un sourire. – Menteuse, lança Mor en se versant du thé et en emplissant son assiette. Vous n’avez que faire de nous autres, n’est-ce pas ? Et le méchant Rhysand vous oblige à prendre le petit déjeuner avec nous ! – Tu es bien… impertinente aujourd’hui, Mor, observa Rhysand. – Pardonne-moi ma joie à l’idée d’avoir enfin un peu de compagnie, répliqua-t-elle. – Tu as des obligations à remplir, lui rappela-t-il plutôt sèchement. Je serrai les lèvres : je ne l’avais encore jamais vu agacé. – Tu m’as dit que je pourrais venir ici quand j’en aurais envie, et quel meilleur moment pour le faire que le jour où tu m’amènes enfin une nouvelle amie ? Je cillai, car je voyais qu’elle était sincère, et je venais de reconnaître sa voix : c’était celle que j’avais entendue la veille au soir taquiner Rhysand au sujet de notre dispute. – Vous ne vous ressemblez pas du tout, observai-je après un silence. – Mor est une cousine très éloignée, répondit Rhysand, mais nous avons été élevés ensemble. Elle est ma dernière parente encore en vie. Et en tant que telle, elle se croit permis d’entrer dans mon existence et d’en ressortir comme ça lui chante. – Tu es bien grincheux ce matin, commenta Mor en laissant choir deux gâteaux dans son assiette. – Je ne vous ai jamais vue Sous la Montagne, me surpris-je à lui dire. – Oh, mais je n’y étais pas. J’étais en… – Ça suffit, Mor, coupa Rhysand d’une voix lourde de menaces. Il posa sa serviette et se leva. – Mor séjournera ici jusqu’à la fin de la semaine, mais ne vous sentez pas obligée de lui tenir compagnie, me dit-il. Elle lui tira la langue et il leva les yeux au ciel, l’expression la plus humaine que je lui eusse jamais vue. – Avez-vous assez mangé ? s’enquit-il, et j’acquiesçai. Bien. Allons-y. Votre première leçon vous attend. Mor coupa en deux l’un des gâteaux d’un coup de couteau vif et précis. – S’il vous tape trop sur les nerfs, Feyre, ne vous gênez pas pour le pousser du balcon le plus proche. Rhysand, qui s’éloignait déjà, lui adressa un geste obscène avec sa grâce coutumière. Je me levai et le suivis. – Bon appétit, dis-je à Mor. – Quand vous aurez besoin de compagnie, appelez-moi, répondit-elle.     Je m’assis à la longue table en bois, dans une alcôve masquée par un rideau. Je me pliais à cet entraînement uniquement parce que je devais malgré moi reconnaître le bien-fondé de ses arguments. Mon incapacité à lire avait failli me coûter la vie Sous la Montagne. Je devais à tout prix apprendre, quelles que fussent les raisons de Rhysand pour m’aider à le faire. Quant à mes défenses mentales… il aurait été vraiment stupide de refuser son offre de m’entraîner. À l’idée que quiconque, Rhysand en particulier, puisse fouiller dans mon esprit et s’emparer de tout ce qu’il y puiserait sur la Cour du Printemps, sur ceux que j’aimais… je me disais que jamais je ne l’accepterais. Mais être assise avec Rhysand à cette table était tout de même une épreuve. – Je connais l’alphabet, déclarai-je froidement alors qu’il posait une feuille de papier devant moi. Je ne suis pas stupide à ce point. – Je n’ai jamais dit cela, répondit-il. J’essaie seulement de savoir par où nous devons commencer, puisque vous refusez de me révéler quoi que ce soit sur vos connaissances. – Pourquoi n’engagez-vous pas un précepteur ? demandai-je, les joues brûlantes. – Est-ce si difficile d’essayer seulement de lire en ma présence ? – Vous êtes un Grand Seigneur… n’avez-vous rien de mieux à faire ? – Si, bien sûr, mais rien de plus plaisant que de vous regarder vous tortiller d’embarras. – Vous êtes une belle ordure, vous savez ? Il étouffa un éclat de rire. – J’ai entendu bien pire… y compris de votre bouche. Il tapota la feuille de papier. – Lisez. Je ne voyais qu’un fouillis de lettres. Ma gorge se serra. La phrase que j’avais devant les yeux était tracée dans une écriture élégante et nette, la sienne sans aucun doute. Je voulus ouvrir la bouche, mais j’étais comme paralysée. – Pourquoi faites-vous tout cela pour moi ? demandai-je. Vous m’avez dit que vous m’expliqueriez si je coopérais avec vous. – Je n’ai pas précisé quand, fit-il avec un haussement d’épaules. Peut-être me déplaît-il que des brutes stupides de la Cour du Printemps se rient de vous. Peut-être ai-je vraiment plaisir à vous voir vous tortiller d’embarras. Ou peut-être… – Ça va, j’ai compris. Il ricana. – Essayez, Feyre. Je lui arrachai la feuille, la déchirant presque en deux, regardai le premier mot, le déchiffrai et le prononçai mentalement. – V… vous… Je reconstituai le mot suivant en faisant appel à ce déchiffrage muet et à la logique. – Vous êtes… – Bien, murmura Rhysand. – Je n’ai pas demandé votre approbation, lançai-je. A… absolument… J’avais mis plus longtemps à déchiffrer ce mot que je ne voulais l’admettre, mais ce fut encore pire avec le suivant. – Ra… rav… Je daignai regarder Rhysand, les sourcils haussés. – Ravissante, susurra-t-il. Je lus les derniers mots, puis relevai la tête. – « Vous êtes absolument ravissante ce matin, Feyre. » C’est bien ce que vous avez écrit ? demandai-je. Il se renversa dans son fauteuil. Quand nos regards se rencontrèrent, des griffes acérées caressèrent mon esprit et sa voix chuchota à l’intérieur de mon crâne : « C’est pourtant vrai, non ? » Je sursautai.Arrêtez tout de suite ! Mais les griffes s’enfonçaient, et tout mon corps, mon cœur, mes poumons et même mon sang s’abandonnaient à cette étreinte, cédant à sa volonté, quand il ajouta : « La mode de la Cour de la Nuit vous sied. » Clouée dans mon fauteuil, je ne pouvais ni remuer ni même ciller. Voilà ce qui arrive quand on abaisse ses défenses mentales. Un être doué de pouvoirs semblables aux miens peut se glisser dans votre tête, y chercher ce qu’il veut et prendre possession de votre esprit. Ou le briser. Je me tiens en ce moment sur le seuil de votre esprit… mais si j’allais plus loin, il me suffirait d’une pensée pour vous rayer de la surface de la Terre. Je sentis comme de très loin la sueur couler le long de mes tempes. Vous devriez être terrifiée et rendre grâces à ce maudit Chaudron de n’avoir rencontré aucune créature douée de mes pouvoirs au cours de ces derniers mois. Et maintenant, chassez-moi de votre esprit. J’essayai, en vain. Ses griffes étaient omniprésentes et plantées dans chaque pensée, dans chaque partie de mon être. Leur pression s’accentua. Chassez-moi de là, ordonna-t-il. Je ne savais pas comment m’y prendre. Je me débattis aveuglément, me ruai sur lui et sur ses griffes comme une toupie lancée au milieu d’un cercle de miroirs. Son rire léger et doux remplissait mes oreilles. Par ici, Feyre. Un étroit chemin s’ouvrit en réponse dans mon esprit : l’issue que je cherchais. Je savais que je devrais lutter jusqu’à la fin des temps pour me dégager de chaque griffe et pour repousser la masse de sa présence mentale de cette étroite ouverture. Mais si je pouvais la balayer… Une vague. Une vague jaillit de moi pour la chasser de mon esprit… Sans lui laisser deviner le plan qui prenait forme dans ma tête, je concentrai mes forces pour créer une vague déferlante et frappai. Les griffes desserrèrent leur prise à contrecœur, comme s’il me concédait la victoire pour cette fois. – Bien, se contenta-t-il de dire. Mes os, ma respiration et mon sang étaient de nouveau à moi. Je m’affaissai sur mon siège. – Pas encore, reprit-il. Protégez-vous. Empêchez-moi de revenir à la charge. Je sentis les griffes effleurer la surface de mon esprit. J’érigeai un mur infranchissable, épais et noir comme la nuit. Les griffes se retirèrent une fraction de seconde avant que ce mur ne les sectionne. Rhysand souriait. – Très bien ! Brutal, mais efficace, commenta-t-il. – Vous n’êtes qu’un porc, sifflai-je, hors de moi. – C’est indéniable, mais regardez ce que vous avez accompli : vous avez lu une phrase entière, vous m’avez chassé de votre esprit et vous avez érigé une barrière mentale. Beau travail. – Ne soyez pas si condescendant. – Je ne le suis pas. Vous lisez bien mieux que je ne l’avais cru. À ce stade, ce n’est plus qu’une question de pratique. Si vous progressez régulièrement, vous pourrez lire des romans d’ici à Nynsar. Et si vous renforcez vos défenses mentales, vous pourrez me barrer l’accès à votre esprit dans le même délai. – Est-il vraiment possible… de vous en barrer l’accès ? – C’est peu probable, mais qui sait ? Qui peut connaître la force de vos pouvoirs ? Continuez à vous entraîner et nous verrons bien. – Serai-je encore liée par notre marché à Nynsar ? Il se tut. – Après… tout ce qui est arrivé, insistai-je, incapable de préciser ce qui était arrivé Sous la Montagne, ce qu’il avait fait pour moi lors du combat avec Amarantha et même après… Je crois que nous pourrions décider que je ne vous dois plus rien et réciproquement. Il me regardait fixement. – Cela ne vous suffit pas que nous soyons tous libres, désormais ? poursuivis-je en m’enflammant. Je vous croyais différent de l’impression que vous donniez, je croyais que vous portiez un masque, mais vous m’avez enlevée et emmenée ici… Son regard s’assombrit. – Je ne suis pas votre ennemi, Feyre. – Tamlin dit que si, répliquai-je en refermant les doigts de ma main tatouée. Tout le monde le dit. – Et vous, qu’en pensez-vous ? demanda-t-il en se renversant de nouveau dans son fauteuil, l’expression grave. – Vous faites tout pour que je pense comme eux. – Menteuse, susurra-t-il. Avez-vous seulement raconté à vos amis ce que je vous ai fait Sous la Montagne ? – Je ne veux en parler ni avec vous ni avec eux. – Parce qu’il est plus facile de feindre qu’il ne s’est rien passé et de vous laisser dorloter par eux. – Je ne me laisse pas dorloter par eux ! – Hier, ils vous avaient emballée comme un cadeau. Comme si vous étiez sa récompense. – Et alors ? – Et alors ? répéta-t-il, et je vis une étincelle de rage luire dans ses yeux. – Vous pouvez me ramener chez moi, me contentai-je de répondre. – Chez vous où vous serez cloîtrée pour le reste de votre vie, surtout quand vous aurez commencé à pondre des héritiers. J’ai hâte de voir ce qu’Ianthe en fera dès qu’elle mettra la main sur eux. – Vous ne semblez pas avoir une très haute opinion d’elle. – Non, c’est le moins qu’on puisse dire, répondit-il avec un regard froid de prédateur. Recopiez l’alphabet jusqu’à ce que votre écriture soit parfaite, ordonna-t-il en montrant une feuille de papier. Et dès que vous avez achevé une série, entraînez-vous à baisser et à lever votre bouclier mental jusqu’à ce que ce soit devenu un réflexe. Je reviendrai dans une heure. – Quoi ? – Recopiez l’alphabet jusqu’à ce que… – J’ai entendu, lançai-je en l’injuriant mentalement. – Alors au travail. Ayez au moins la décence de m’injurier seulement quand votre bouclier mental est en place. Il s’évanouit dans une onde de ténèbres sans me laisser le temps de riposter.   Au retour de Rhysand, mon esprit ressemblait à une flaque boueuse. J’avais passé cette heure à exécuter les tâches qu’il m’avait assignées tout en tressaillant au moindre bruit dans l’escalier et dans les couloirs. – Pas mal, commenta Rhysand en regardant ce que j’avais produit. Il avait resurgi à distance respectueuse. Si je l’avais moins bien connu, j’aurais pu croire que c’était pour ne pas m’effrayer. Comme s’il savait qu’un jour où Tamlin étant arrivé derrière moi sans crier gare, prise de panique, je l’avais repoussé d’un coup de poing dans le ventre. J’avais chassé ce souvenir, la stupeur de Tamlin, la facilité avec laquelle je l’avais renversé et l’humiliation d’avoir montré combien j’étais effrayée… Rhysand parcourut les pages que j’avais griffonnées. Je sentis de nouveau le raclement de griffes sur mon esprit, mais elles ne faisaient que glisser sur un mur noir, scintillant et infranchissable. Je projetai le reste de ma volonté dans ce mur que les griffes pressaient, à la recherche de points faibles… – Bien, bien, ronronna Rhysand tandis que les griffes mentales se rétractaient. Si vous pouvez maintenir ce mur pendant votre sommeil, je parviendrai peut-être à dormir une nuit entière. J’abaissai le mur pour l’insulter par-dessus le pont mental qui nous reliait, puis l’érigeai à nouveau. Derrière lui, mon esprit tremblotait comme de la gelée. J’avais une envie irrépressible de dormir. – Je suis peut-être une ordure, mais regardez plutôt ce que vous avez réussi à faire, répondit Rhysand. Ma foi, peut-être que tout compte fait ces leçons seront amusantes.     Encore furieuse, je regardais le dos musclé de Rhysand en cheminant derrière lui tandis que nous traversions les salles du palais. Les chaînes de montagnes et le ciel d’un bleu éblouissant étaient les seuls témoins de notre marche silencieuse. J’étais trop épuisée pour réclamer des explications et il ne se donna pas la peine de m’en fournir. Après avoir monté un escalier interminable jusqu’au sommet d’une tour, nous entrâmes dans une salle ronde. Une table circulaire en pierre noire en occupait le centre tandis que la majeure partie du mur en pierre grise et lisse disparaissait derrière une gigantesque carte couverte de jalons, de drapeaux et d’épingles. Je détournai le regard vers les baies, si nombreuses que la salle paraissait ouverte à tous les vents. C’était sans doute idéal pour un Grand Seigneur doté d’ailes… Rhysand se dirigea vers la table sur laquelle était déployée une autre carte à la surface émaillée de figurines. Une carte de Prythian… et d’Hybern. Chaque cour de notre monde était représentée, avec ses villages, ses villes, ses cours d’eau et ses cols de montagne. Chaque cour, sauf la Cour de la Nuit. Le vaste territoire septentrional était vide. Cela me parut étrange, mais sans doute était-ce un élément d’une stratégie mystérieuse pour moi. Je surpris le regard de Rhysand sur moi, mais ses sourcils levés me dissuadèrent de poser les questions qui me montaient aux lèvres. – Pas de questions ? s’enquit-il. – Non. Un sourire félin dansa sur ses lèvres. Il désigna du menton la carte murale. – Que voyez-vous là ? demanda-t-il. – C’est censé me convaincre d’apprendre à lire avec vous ? En réalité, je ne pouvais rien déchiffrer et je discernais seulement les contours de ce qui était représenté. Comme le mur massif qui coupait notre monde en deux. – Dites-moi ce que vous voyez, reprit Rhysand. – Un monde divisé en deux. – Et pensez-vous qu’il devrait le rester ? – Ma famille…, commençai-je. Je me tus, consternée d’avoir avoué que j’avais une famille… – Si ce mur tombait, votre famille en serait profondément affectée, n’est-ce pas ? demanda Rhysand. Elle habite si près de la frontière… Avec un peu de chance, elle s’enfuira par l’océan avant sa chute. – Parce que le mur tombera ? – Peut-être, répondit Rhysand en soutenant mon regard. – Pourquoi ? – Parce que la guerre est imminente, Feyre.

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Chapitre 4 Quelques jours avant le mariage, les invités commencèrent à arriver. Je me réjouissais à l’idée que je ne serais jamais une Grande Dame, jamais l’égale de Tamlin dans le partage des responsabilités et du pouvoir. Les dîners succédèrent aux dîners, aux déjeuners, aux pique-niques et aux parties de chasse. On me présentait, on m’envoyait saluer les invités et j’avais le visage endolori par le sourire que j’affichais jour et nuit. J’attendais la cérémonie du mariage avec impatience car je savais que, passé ce moment, je ne serais plus contrainte de me montrer aimable, de faire la conversation ni quoi que ce soit pendant un certain temps. Tamlin supportait tout à sa manière silencieuse et animale et me répétait que ces festivités étaient l’occasion de me présenter à sa cour et d’offrir des réjouissances à son peuple. Il m’avait affirmé qu’il n’aimait pas plus que moi ces mondanités et que Lucien était le seul à y prendre plaisir mais je le surprenais à sourire et je me disais que sa joie était méritée. Je pris donc mon mal en patience en ne quittant plus Ianthe d’une semelle dès que Tamlin s’éloignait, et je les laissai bavarder avec tout le monde en comptant les heures jusqu’au départ des invités. – Vous devriez aller vous coucher, me conseilla Ianthe alors que nous observions la foule qui remplissait la grande salle du palais. Je l’avais rejointe près de la porte, heureuse d’avoir une excuse pour planter là les amis de Tamlin. Ils ne faisaient que me dévisager en silence ou s’évertuaient à échanger des banalités entre deux blancs dans la conversation. – Je ne pourrai pas dormir avant des heures, répondis-je. Tous les Grands Fae mâles qui passaient devant Ianthe la lorgnaient soit avec crainte, soit d’un œil lubrique. Quand ils me regardaient, les yeux agrandis, je savais que ce n’était ni pour ma robe vert « Cour du Printemps », cadeau d’Ianthe, ni pour mon joli minois (plutôt fade à côté du visage d’Ianthe) et je les ignorais de mon mieux. – Êtes-vous prête pour demain ? Puis-je faire quelque chose pour vous ? s’enquit Ianthe après avoir bu une gorgée de vin mousseux. – Non, tout va bien. En réalité, je redoutais le jour de son départ, quand elle m’abandonnerait dans cette cour, au milieu de tous ces gens, pour ne revenir que dans plusieurs mois à l’occasion de Nynsar, la célébration de la fin des semailles. Deux mâles, qui étaient déjà passés deux fois devant nous, trouvèrent enfin le courage de l’aborder. Beaux comme la plupart des immortels, ils portaient des armes qui les désignaient comme des Grands Fae et des sentinelles de Tamlin. Ou peut-être étaient-ils au service du père d’Ianthe. Ils s’inclinèrent profondément devant elle. J’avais pris l’habitude de voir les immortels baiser les anneaux d’argent qu’elle portait aux doigts et lui demander de prier pour eux, leurs familles et tous ceux qu’ils aimaient. Ianthe accueillait ces demandes avec une expression immuable. – Bron, Hart. Il y a longtemps que je ne vous avais vus. Que mijotez-vous encore tous les deux ? demanda-t-elle avec un sourire mutin laissant entendre qu’elle ne dédaignerait pas leur compagnie pour la nuit. Ils lui répondirent par des badinages avant de me dévisager. – Pardon… permettez-moi de vous présenter dame Feyre… la sauveuse de Prythian, dit Ianthe. – Nous le savions, répondit Hart en s’inclinant devant moi, imité de son compagnon. Nous étions Sous la Montagne avec vous. Je leur rendis leur salut en inclinant la tête. – Mes meilleurs vœux pour demain, ajouta Bron avec un large sourire. Mais cet heureux dénouement n’est que mérité. Je songeai que je méritais plutôt de brûler en enfer, mais Ianthe m’épargna la peine de répondre. – Cette union est une bénédiction du Chaudron, déclara-t-elle, et les deux mâles l’approuvèrent. – Je dois dire, poursuivit Bron, que cette épreuve avec le ver géant… le middengard… est l’un des plus brillants exploits auxquels j’ai assisté. Je dus faire un effort pour chasser de mon souvenir la puanteur de la boue et le claquement des crocs acérés de la bête prête à me déchiqueter. – Merci, répondis-je. Ianthe posa la main sur mon bras. – Une telle bravoure force le respect, commenta Ianthe, qui avait remarqué que mon sourire s’était effacé. Je me sentais pitoyablement reconnaissante de ce soutien et de cette présence physique. Je savais qu’elle était un modèle pour une foule de jeunes Fae qui rêvaient de rejoindre son ordre, non par dévotion à la Mère et au Chaudron, mais pour vivre et rayonner comme elle en passant d’un mâle à un autre. – Comme nous avons manqué la partie de chasse avant-hier, reprit Hart, nous n’avons pas eu le plaisir d’admirer vos talents, mais je crois que le Grand Seigneur nous postera à proximité du domaine le mois prochain. Ce serait pour nous un honneur de chasser en votre compagnie. Je savais que Tamlin ne me permettrait jamais de sortir avec ces hommes et je ne voulais pour rien au monde chasser de nouveau. Lors de la partie de chasse de l’avant-veille, j’avais été incapable de décocher une seule flèche. – Ce serait également un honneur pour moi, répondis-je par pure politesse. – Êtes-vous de garde demain ou pourrez-vous assister à la cérémonie ? s’enquit Ianthe en posant la main sur le bras de Bron. – Avez-vous des nouvelles du Grand Seigneur de la Cour de la Nuit ? demanda soudain Hart en observant mes tatouages. Ianthe se raidit et Bron détourna les yeux. – Non, répondis-je en soutenant le regard de Hart. – Peut-être a-t-il détalé quand Tamlin a recouvré tous ses pouvoirs. – Si c’est ce que vous croyez, vous connaissez bien mal Rhysand, objectai-je. Hart cilla et Ianthe elle-même garda le silence. C’était la première fois que je parlais avec une telle assurance depuis le début des festivités. – Eh bien, nous nous chargerons de lui s’il le faut, déclara Hart en dansant d’un pied sur l’autre tandis que je le regardais fixement sans me donner la peine d’adoucir mon expression. – Ce sont les Grandes Prêtresses qui s’en chargeront, intervint Ianthe. Nous ne laisserons personne maltraiter celle qui nous a sauvés. J’adoptai une expression neutre. Était-ce pour cette raison que Tamlin avait fait venir Ianthe : pour conclure une alliance ? Je me sentis soudain oppressée. – Je monte me coucher, annonçai-je. Dites à Tamlin que je le verrai demain. Demain, car nous devions rester séparés cette nuit pour respecter une tradition millénaire, comme m’en avait informée Ianthe. Elle m’embrassa sur la joue. – Je reste à votre disposition, ma dame. Faites-moi appeler si vous avez besoin de quelque chose. J’acquiesçai tout en sachant que je n’en ferais rien. Avant de m’éclipser, j’entrevis Tamlin et Lucien au milieu d’un cercle de Grands Fae, hommes et femmes. Ils étaient moins raffinés que les autres immortels, mais… C’étaient des compagnons de longue date qui avaient combattu côte à côte. Les amis de Tamlin. Il me les avait présentés, mais j’avais aussitôt oublié leurs noms. Tamlin rit, la tête renversée en arrière, et les autres s’esclaffèrent avec lui. Je sortis avant qu’il puisse me repérer, traversai des salles bondées et regagnai les étages supérieurs sombres et vides de l’aile des appartements. Une fois seule dans ma chambre, je me rendis compte que je n’avais aucun souvenir de la dernière fois que j’avais ri de bon cœur.     Le plafond descendait vers moi et les grandes pointes émoussées étaient si brûlantes que je voyais les ondes de chaleur qu’elles dégageaient alors que j’étais enchaînée au sol. Comme j’étais analphabète, je ne pouvais déchiffrer l’énigme gravée sur le mur et Amarantha jubilait à l’idée de me voir empalée. Les pointes se rapprochaient centimètre par centimètre. Personne ne viendrait à mon secours. Ma mort serait lente et atrocement douloureuse. Je hurlerais, pleurerais, j’appellerais peut-être même ma mère qui ne s’était jamais souciée de moi, l’implorerais de me secourir…     Battant des bras et des jambes, je me redressai dans mon lit, luttant contre des chaînes invisibles. Je me serais ruée dans la salle de bains si j’avais moins tremblé, si j’avais pu mieux respirer… Frissonnante, je parcourus la chambre du regard. Ce décor était bien réel et ces atrocités n’étaient que des cauchemars. J’étais libre, vivante et en sécurité. La brise nocturne qui soufflait par la fenêtre ouverte ébouriffait mes cheveux et séchait la sueur froide sur ma peau. Le ciel sombre m’attirait avec ses étoiles si petites, brillantes comme des éclats de givre. Je m’approchai en titubant de la fenêtre, l’ouvris plus grande et admirai le spectacle de l’obscurité semée d’étoiles. La tête appuyée contre le mur, je savourais la fraîcheur de ses pierres. Dans quelques heures, je serais mariée. J’aurais mon heureux dénouement, que je l’aie mérité ou non. Mais ce pays, ce peuple aurait également son heureux dénouement et accomplirait ainsi un premier pas vers la guérison, vers la paix. Alors tout irait bien. Et moi aussi, je serais en paix.   Ma robe de mariée était une horreur de mousseline et de soie sans commune mesure avec les robes amples que j’avais l’habitude de porter : le corset très ajusté rehaussait ma poitrine et les jupes formaient une énorme tente scintillante qui semblait flotter dans l’air printanier. Pas étonnant que Tamlin ait hurlé de rire à sa vue. Même Alis avait étouffé une exclamation en m’habillant. Mais elle s’était abstenue de tout commentaire, probablement parce que Ianthe avait choisi cette robe afin qu’elle soit en harmonie avec le discours qu’elle allait faire, la légende qu’elle allait tisser pour son public. J’aurais pu me faire une raison sans ces manches ballonnées, si énormes que je pouvais presque les voir scintiller à la périphérie de ma vision. Mes cheveux étaient bouclés, à demi relevés et semés de perles, de joyaux et de je ne sais quoi encore. J’avais dû prendre sur moi pour ne pas adresser une grimace écœurée au miroir avant de descendre l’escalier menant à la grande salle du palais. Ma robe bruissait à chacun de mes pas. Au-delà des portes de la cour intérieure, le jardin était orné de rubans et de lanternes de nuances crème, rose et bleu ciel. Trois cents chaises assemblées dans la cour la plus vaste étaient occupées par les courtisans de Tamlin. Je devrais remonter l’allée principale sous leurs regards pour rejoindre l’estrade sur laquelle Tamlin m’attendrait. Ianthe scellerait et bénirait notre union juste avant le coucher du soleil. Elle représentait les douze prêtresses de la cour. Elle m’avait laissé entendre que ces dernières avaient insisté pour participer à la cérémonie, mais qu’elle était parvenue à les en dissuader j’ignorais par quelles ruses. Soit elle souhaitait rester le centre de l’attention, soit elle voulait m’épargner leur présence. Peut-être les deux. Ma bouche devint aussi sèche que du parchemin pendant qu’Alis faisait bouffer la traîne étincelante de ma robe. La soie et la gaze bruissèrent et je serrai à les briser les tiges de mon pâle bouquet de mariée. Je portais des gants en soie qui montaient jusqu’à mes coudes pour dissimuler mes tatouages. Ianthe me les avait apportés ce matin dans une boîte doublée de velours. – Ne soyez pas si nerveuse, dit Alis avec un claquement de langue. Sa peau couleur d’écorce avait une teinte chaude et sanguine dans la lumière dorée de cette fin d’après-midi. – Je ne suis pas nerveuse, mentis-je d’une voix rauque. – Vous vous tortillez comme mon plus jeune neveu quand on lui coupe les cheveux.Elle s’affaira encore un instant auprès de ma robe, renvoyant sans ménagement des serviteurs venus m’épier avant la cérémonie. Je les ignorai tout comme j’ignorais la foule qui attendait dans la cour. – Vous êtes splendide, fit doucement Alis. Je la crus, même si j’étais certaine qu’elle partageait mon opinion sur la robe. – Merci. – Et vous faites une tête d’enterrement. Je plaquai un sourire radieux sur mon visage. Alis leva les yeux au ciel et me poussa doucement vers les portes qui s’ouvraient dans le souffle d’un vent léger, laissant déferler une musique mélodieuse. – Ce sera terminé en un rien de temps, m’assura-t-elle avant de m’entraîner dans les dernières lueurs du soleil. Trois cents personnes se levèrent et se tournèrent vers moi. C’était la première fois depuis ma dernière épreuve Sous la Montagne qu’une telle foule était rassemblée pour m’observer et me juger. Tous ces visages ne formaient plus qu’une masse confuse. Alis toussota derrière moi et je me souvins que je devais avancer le regard fixé sur l’estrade… Et sur Tamlin. Le souffle coupé, je dus rassembler toute mon énergie pour finir de descendre l’escalier, car je sentais mes genoux se dérober sous moi. Tamlin resplendissait dans sa tunique vert et or et sous sa couronne de feuilles de laurier dorées. Il avait renoncé à l’apparence illusoire sous laquelle il se dissimulait d’ordinaire pour laisser sa beauté d’immortel briller de tout son éclat… rien que pour moi. Je ne voyais plus que lui, mon Grand Seigneur, et ses yeux grands ouverts qui s’illuminaient en me regardant avancer sur l’herbe tendre semée de pétales de rose blancs… et rouges. Telles des gouttes de sang au milieu de cette blancheur, des pétales écarlates émaillaient le chemin devant moi. Je me forçai à lever les yeux vers Tamlin qui se tenait très droit, la tête haute, inconscient de mes souffrances. Comment pouvais-je être vêtue de blanc alors que mes mains étaient irrémédiablement souillées ? Et je savais que tous les autres pensaient comme moi. Comment aurait-il pu en être autrement ? Chaque pas m’emportait trop vite vers l’estrade et vers Tamlin. Et vers Ianthe, vêtue de bleu sombre, rayonnante sous son capuchon et son diadème d’argent. Comme si j’étais quelqu’un de bien… comme si je n’avais pas tué deux des leurs. Une tueuse et une menteuse… voilà ce que j’étais. À dix pas de l’estrade, un semis de pétales rouges me rappela le sang du jeune Fae qui avait ruisselé à mes pieds. Je ralentis, puis m’arrêtai. Tous m’observaient comme le jour où j’avais failli mourir : en spectateurs de mes tourments. Tamlin tendit vers moi sa main puissante en fronçant légèrement les sourcils. Mon cœur battait vite, trop vite. J’avais envie de vomir. Et je sentais une force étrangère vibrer et palpiter en moi, grandir et se déchaîner dans mon sang… Tant de regards, trop de regards pesaient sur moi, témoins de chaque crime que j’avais commis, de chaque humiliation subie… Je me demandais pourquoi je m’étais laissé convaincre par Ianthe de mettre des gants. Le soleil déclinant me brûlait. Le jardin cerné de haies m’oppressait et m’emprisonnait, comme les vœux que j’allais prononcer pour me lier éternellement à Tamlin et l’enchaîner à mon âme brisée et épuisée. Cette force intérieure déferlait maintenant en moi et faisait trembler mon corps, prête à s’échapper… Je savais que je ne me remettrais jamais de ces épreuves, que je ne me libérerais jamais de moi-même, de ce cachot dans lequel j’étais restée trois mois… – Feyre, appela Tamlin, la main toujours tendue vers moi. Le soleil sombrait derrière le mur ouest du jardin et des ombres se répandaient, rafraîchissant l’air. Je savais qu’on murmurerait si je faisais volte-face, mais j’étais incapable de faire les derniers pas qui me séparaient de l’estrade… J’allais m’effondrer sur place, à l’instant… et ils verraient combien j’étais brisée. Aidez-moi, aidez-moi, implorais-je je ne savais qui, n’importe qui. Lucien qui se tenait au premier rang, son œil métallique rivé à moi. Ianthe au visage serein sous son capuchon. Sauvez-moi, sauvez-moi, emmenez-moi, faites cesser ce supplice… Tamlin fit un pas vers moi, les yeux assombris d’inquiétude. Je reculai en pensant : Non. Tamlin serra les lèvres. La foule chuchota. Des globes d’or pendant à des bandes de soie s’allumèrent au-dessus et autour de nous. – Viens, ô fiancée, sceller ton union avec ton bien-aimé. Viens afin que le bien puisse triompher, déclama Ianthe. Le bien… Il n’y avait rien de bon en moi. Mon âme, mon âme immortelle, était damnée… Je voulus inspirer pour répondre : Non… non ! Mais je n’eus pas à le faire. Un coup de tonnerre retentit derrière moi comme le heurt de deux gigantesques rochers lancés l’un contre l’autre. Des cris fusèrent dans l’assistance, des invités s’égaillèrent et certains s’évanouirent dans l’air tandis qu’une nuée noire jaillissait. Je pivotai sur moi-même et, à travers des lambeaux de nuit flottant comme de la fumée dans le vent, je vis Rhysand lisser les revers de sa veste noire. – Bonsoir, Feyre chérie.

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Chapitre 3 Tamlin regrettait sans doute les restrictions qu’il m’avait imposées, car le lendemain, alors qu’il était déjà sorti, Lucien me proposa de l’accompagner au village voisin pour voir comment progressaient les travaux de reconstruction. Il y avait plus d’un mois que je ne m’étais rendue au village. Je ne me souvenais même plus de la dernière fois que j’étais sortie du domaine. Quelques villageois avaient bien été invités à notre fête du solstice d’hiver, mais au milieu de la cohue je n’avais pu que les saluer. Les chevaux, déjà sellés, nous attendaient devant les écuries. Je comptai les sentinelles postées aux portails du palais et aux portes du jardin par lequel je venais de sortir. Il y en avait huit. Elles restaient immobiles et silencieuses, mais ne me quittaient pas des yeux. Alors que Lucien allait monter sur sa jument pommelée, je lui barrai le passage. – Alors comme ça, vous êtes tombé de cheval hier ? persiflai-je en lui envoyant une bourrade dans l’épaule. Lucien recula en titubant et sa monture piaffa, inquiète. – Pourquoi avez-vous menti au sujet des nagas ? lançai-je. Lucien croisa les bras, plissa son œil métallique et secoua la tête pour repousser une mèche de ses cheveux roux, ce qui me rappela désagréablement ceux d’Amarantha. J’observais les écuries derrière lui pour penser à autre chose. Elles étaient pourvues de nombreuses ouvertures, et j’avais peu de difficultés à m’y rendre. Il y avait assez d’espace pour bouger, s’échapper. Les murs ne me semblaient pas trop… oppressants. Ce qui n’était pas le cas dans les cuisines où le plafond était trop bas et les murs trop épais. Ni dans le cabinet d’étude qui manquait d’issues et de lumière naturelle. Dans ma tête, j’avais dressé la liste des pièces du palais en fonction du degré d’angoisse dans lequel elles me plongeaient. – Je n’ai pas menti, répondit-il d’une voix tendue. Je suis bel et bien tombé de cheval parce qu’un naga s’est jeté sur moi. – Pourquoi m’avez-vous menti ? insistai-je. Il ne répondit pas et se tourna vers sa jument, mais j’eus le temps d’entrevoir son visage et, dans son regard… de la pitié. – Très bien, dis-je, et je me dirigeai vers ma jument blanche, une bête docile et douce, mais un peu paresseuse et gâtée. Lucien garda le silence alors que nous quittions le domaine et prenions le chemin de la forêt. Le printemps était comme toujours à son apogée, la brise tout imprégnée d’un parfum de lilas et les buissons au bord de la route bruissaient de cris et de battements d’ailes. Pas de trace du bogge, de nagas, ni d’aucune des créatures qui avaient autrefois infesté les bois. – Je n’ai que faire de votre pitié, déclarai-je à Lucien. – Ce n’est pas de la pitié. Tamlin ne voulait pas que je vous dise… Il s’interrompit brusquement. – Je ne suis pas en sucre, affirmai-je. Si le naga vous a attaqué, j’ai le droit de le savoir… – Tamlin est mon Grand Seigneur. S’il me donne un ordre, je dois obéir. – Vous ne raisonniez pas ainsi quand vous m’avez envoyée chasser le suriel, répondis-je en me souvenant que j’avais failli y laisser la vie. – J’étais aux abois. Nous l’étions tous alors. Mais à présent… à présent, nous avons besoin d’ordre, Feyre. Nous avons besoin de règles, de hiérarchie si nous voulons reconstruire ce pays. La parole de Tamlin a valeur de loi. Et je suis le premier qu’on regardera, car je donne l’exemple. Ne me demandez pas de compromettre la stabilité de ce pays en repoussant les limites qu’il a fixées. Pas maintenant. Il vous donne autant de liberté qu’il peut vous en accorder. – Vous avez beau fuir Ianthe, vous parlez comme elle, observai-je. – Vous ne vous doutez pas combien il est difficile pour lui de vous laisser sortir du domaine, maugréa Lucien. Il est soumis à une pression que vous ne pouvez même pas imaginer. – Je sais exactement à quelle pression il est soumis. En revanche, j’ignorais que j’étais prisonnière ici. – Vous n’êtes pas… c’est faux et vous le savez très bien. – Cela ne le dérangeait nullement de me laisser chasser et me promener seule quand je n’étais qu’une mortelle et que les frontières étaient beaucoup moins sûres. – Il ne tenait pas autant à vous alors. Et après ce qui est arrivé Sous la Montagne… il est terrifié. Terrifié à l’idée que vous puissiez tomber entre les mains de ses ennemis. Et ses ennemis savent qu’il leur suffirait de vous tenir pour l’avoir à leur merci. – Croyez-vous que je l’ignore ? Mais comment peut-il penser sérieusement que je vais passer le reste de mes jours enfermée dans ce palais, à surveiller les domestiques et à porter de beaux habits ? – N’est-ce pas ce que désirent toutes les mortelles ? Épouser un beau seigneur de la race des immortels qui les couvrira d’or jusqu’à la fin de leurs jours ? J’empoignai les rênes de mon cheval et tirai si fort qu’il rejeta la tête en arrière. – Je suis ravie de constater que vous êtes toujours le même pauvre crétin, Lucien, ripostai-je. L’œil métallique de Lucien se plissa. – Tamlin est un Grand Seigneur. Quand vous serez son épouse, vous devrez vous conformer à des traditions et à des obligations. Nous devrons tous nous y conformer afin de présenter un front solide, remis du règne d’Amarantha et prêts à détruire tous ceux qui tenteront de nous prendre ce qui nous appartient, déclara-t-il. Je me souvins qu’Ianthe m’avait tenu le même discours la veille. – Le Tithe est imminent, poursuivit-il, et c’est le premier que Tamlin demande depuis… sa malédiction. Il a donné trois mois à nos gens pour mettre leurs affaires en ordre. Il aurait préféré attendre la nouvelle année, mais il devra le réclamer le mois prochain : Ianthe lui a dit que tout le monde était prêt. J’avais envie de lui cracher au visage, car il savait très bien que j’ignorais de quoi il parlait et il aurait aimé que je l’avoue. – Expliquez-vous, lançai-je. – Deux fois par an, aux environs des solstices d’été et d’hiver, chaque membre de la Cour du Printemps, qu’il soit Grand Fae ou immortel de rang inférieur, doit payer le Tithe. C’est un impôt calculé sur ses richesses et son statut. Le Tithe nous permet d’entretenir le domaine, de payer la solde des sentinelles, les gages des domestiques et la nourriture. En échange, Tamlin protège et aide ses sujets par tous les moyens dont il dispose. Cette année, il a repoussé le Tithe d’un mois afin de laisser à son peuple le temps de réunir des fonds et de célébrer la fin de la malédiction. Mais bientôt, des émissaires de chaque village ou clan viendront acquitter le Tithe. En tant qu’épouse de Tamlin, vous devrez présider cette cérémonie à son côté. Vous devrez le regarder rendre ses jugements, ce qui ne sera pas toujours plaisant. Si quelqu’un n’a pas réglé l’impôt dans le délai de trois jours qu’il lui aura concédé, il se lancera à sa poursuite. Les Grandes Prêtresses lui accordent des droits de chasse sacrée à cette occasion. J’étais horrifiée par cette brutalité et j’aurais voulu l’exprimer, mais le regard de Lucien m’arrêta. – Laissez-lui le temps, Feyre, reprit Lucien. Finissons-en avec le mariage, puis avec le Tithe, et alors… nous verrons. – Je lui ai laissé le temps. Je ne peux pas rester éternellement confinée au palais. – Il le sait, même s’il ne vous le dit pas. Faites-moi confiance, Feyre. Après le massacre de sa famille, il ne peut que s’inquiéter pour votre sécurité : vous devez vous montrer compréhensive. Il a perdu trop d’êtres qui lui étaient chers… comme nous tous. Chacune de ses paroles était comme de l’huile jetée dans le feu de mes entrailles. – Je ne veux pas épouser un Grand Seigneur, dis-je. Je veux seulement épouser Tamlin. – L’un est indissociable de l’autre. Tamlin est ce qu’il est. Il voudra toujours vous protéger, que cela vous plaise ou non. Parlez-en avec lui, Feyre, et vous comprendrez. Nos regards se rencontrèrent et un muscle frémit sur la mâchoire de Lucien. – Ne me demandez pas de choisir, dit-il. – Mais vous me cachez des choses. – Tamlin est mon Grand Seigneur. Feyre, une chance unique nous est offerte de reconstruire ce monde. Je ne veux pas entacher cette renaissance en trahissant la confiance de Tamlin. Même si vous… Il se tut soudain. – Même si je quoi ? Lucien pâlit et passa la main dans la crinière de sa jument. – Quand mon père a assassiné celle que j’aimais, mes frères m’ont forcé à tout voir, dit-il. Rien ni personne ne pouvait la ressusciter : ni sorts ni Grands Seigneurs. Je n’ai jamais oublié le moment où j’ai entendu son cœur cesser de battre. Tamlin a reçu ce qui m’a été refusé, reprit doucement Lucien. Nous avons tous entendu votre nuque se briser, mais vous avez eu la chance de revivre. Et Tamlin fera désormais l’impossible pour vous protéger, même si cela implique de garder des secrets et d’observer des règlements qui vous déplaisent. Ne lui demandez pas de céder là-dessus… pas pour le moment. Je ne trouvai rien à répondre. Laisser du temps à Tamlin pour s’adapter… c’était le moins que je pouvais faire. Le vacarme du village dominait le chant des oiseaux bien avant notre arrivée : les heurts des marteaux sur les clous, les ordres hurlés, le beuglement du bétail… Le village était à demi reconstruit, tout en jolis bâtiments de bois et de pierre et en granges pour les vivres et le bétail. Les seules constructions achevées étaient le grand puits au centre du village et ce qui ressemblait à une taverne. L’apparente normalité de Prythian, ses ressemblances avec le royaume des mortels me surprenaient encore : il aurait pu s’agir de mon village, de l’autre côté du mur. Celui-là était bien plus beau et plus neuf, mais ils avaient des points communs. Et je me sentais aussi étrangère que de l’autre côté du mur alors que Lucien et moi avancions au milieu du désordre général. Tout le monde s’interrompait dans son travail ou sa flânerie pour nous regarder. Pour me regarder. Comme si le silence avait déferlé en ondes sur le village, tous les bruits s’éteignirent jusque dans ses recoins les plus reculés. – Feyre Rompt-le-Sort, chuchota quelqu’un. J’avais un nouveau nom, semblait-il. Je me félicitai de porter une tunique à manches longues et des gants dissimulant mes tatouages. Lucien s’arrêta devant un Grand Fae mâle qui semblait diriger la construction d’une maison près du puits. – Nous sommes venus vous prêter main-forte, déclara-t-il assez haut pour que tout le monde puisse entendre. Nous sommes à votre disposition pour la journée. Le Grand Fae pâlit. – Je vous remercie, monseigneur, répondit-il, les yeux agrandis à ma vue, mais nous n’avons pas besoin d’aide. Nous sommes quittes. – Je vous en prie, insista Lucien en inclinant la tête avec grâce, nous devons partager avec vous l’effort de reconstruction. Ce serait un honneur pour nous. – Nous sommes quittes, répéta le Grand Fae en secouant la tête. Il en alla de même à chacune de nos haltes au village. Lucien descendait de cheval, proposait notre secours et recevait des refus empreints de déférence. Vingt minutes après notre arrivée, nous repartions dans l’ombre des bois. – Vous a-t-il laissé m’emmener ici pour me dissuader d’offrir mon aide ? demandai-je rudement à Lucien. – Non, c’est moi qui ai pris cette initiative, précisément pour cette raison. Ces gens ne veulent pas de votre aide et n’en ont pas besoin. Votre présence les trouble car elle leur rappelle tout ce qu’ils ont enduré. – Ils n’étaient pas Sous la Montagne, répondis-je, accusant le coup. Je n’ai reconnu aucun d’eux. – Non. Seuls les nobles et les riches avaient le droit de résider Sous la Montagne. Les autres étaient emprisonnés dans des camps… un réseau de souterain sous la Montagne. Des milliers d’entre eux ont vécu entassés dans des chambres et des couloirs sans lumière pendant cinquante ans. – Personne ne m’en a jamais rien dit… – Il était interdit d’en parler. Certains sont devenus fous et en ont attaqué d’autres quand Amarantha oubliait de les faire nourrir. Certains ont formé des bandes qui écumaient les camps et se livraient à… des atrocités. Maintenant, tous ces gens essaient de reprendre une vie normale… Je sentis la bile me brûler la gorge. Je songeai que mon mariage… Oui, peut-être ce mariage marquerait-il le début d’une guérison. Mais mes perceptions étaient comme étouffées sous un voile qui noyait tout : bruits, goûts, sensations… – Je sais que vous voulez les aider, reprit Lucien. Je suis navré… Je l’étais autant que lui. L’éternité de mon existence d’immortelle s’ouvrait devant moi. Je me laissai envahir par cette sensation de néant

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