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Au-Dela de David



Description ajoutée par MurielMartinella 2016-04-28T15:11:49+02:00

Résumé

C'est une histoire vraie. Une véritable enquête sur “l’après” qui s'adresse aux athées comme aux convaincus.


Alors journaliste à l’esprit pragmatique, j’ai perdu de façon brutale mon frère âgé de trente-cinq ans.

Tandis que le monde s’écroulait, je me suis raccrochée à une annonce : Ina, jeune médium, de façon gracieuse, proposait son aide…

Partagée entre le scepticisme et l’envie d’y croire, je me suis trouvée propulsée dans des mondes inconnus, métaphysiques, mais fascinants, peuplés de plans astraux, d’êtres de lumière, d’anges ou justiciers, de revenants ou défunts coopérateurs, de signadora ou mazzera en contact avec l’invisible…

Cependant, je ne suis pas entrée, tel l’aveugle dans un mur, dans cette irrationalité.

Chacune des expérimentations avec l’au-delà, rapportées par Ina, chacune de ses paroles prononcées, a fait l’objet d’une analyse critique alors que mon cartésianisme vacillait et que, un à un, se renversaient comme un jeu de quilles tous mes garde-fous.

Pendant six mois, nous avons correspondu Ina et moi, par le biais du téléphone ou de l’informatique avant de nous rencontrer véritablement en Corse, là où elle résidait.

J’ai enfin pu fouler les lieux, théâtre de la vie spirituelle haute en couleur de ma nouvelle amie, sur lesquels je prenais des notes depuis un semestre, un idée de livre en tête.

Alors qu’il était sur le point d’être terminé, une entité, appelée Santa Guilia, avec laquelle Ina affirmait entretenir des liens d’amitié et qui, depuis l’au-delà, orchestrait les fils dorés de cette expérience, a remis la rédaction de ce livre en question. Il faudra bien des années avant qu’il ne tombe entre vos mains…

Comme toute journaliste déterminée, j’ai mené mes investigations avec humanité et simplicité. Mon écriture s’est voulue lucide, amusée et, je l’espère, amusante pour conduire ce récit, parcours initiatique sur les chemins de la spiritualité dans l’esprit du “monde de Sophie” pour la philosophie ou du “ voyage de Théo” pour l’histoire des religions...

« Comme La vie après la vie du Dr Murphy ou La source noire de Patrice van Eersel, ou les ouvrages de Castaneda qui ont marqué ma génération, Au-delà de David est un livre-référence qui fera date et deviendra un classique. » (Gaëlle Kermen, ancienne critique littéraire à France-culture et à la revue Esprit).

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Classement en biblio - 2 lecteurs

extrait

Extrait ajouté par MurielMartinella 2016-04-28T15:12:26+02:00

« Que dois-je faire ? »

Plus jamais de ma vie à pareille interrogation, je ne répondrai ceci : « Il n’y a que toi qui peux le savoir, David, la réponse est en toi ! »

Oh oui ! la réponse était en lui, petite voix fielleuse de son cerveau torturé. Quelques jours plus tard, mon frère de trente-cinq ans, auquel tout semblait sourire, accomplissait l’irréversible.

Que dois-je faire ?

Que dois-je faire ?

Ces quatre mots viendront hanter mes nuits.

Pouvoir faire machine arrière… Disposer d’une touche retour et pouvoir l’utiliser à souhait…

En plein naufrage à quoi se raccrocher ? Quel sens donner à ce séisme qui vient de ravager votre vie… ?

À partir de là, la mienne s’était résumée à une vaste quête, menant l’investigation à son paroxysme. Google, mon allié, s’était improvisé l’antidote de ma douleur. Les lettres tapées sur mon clavier de façon aléatoire avaient formé des mots, des mots dans lesquels ma souffrance s’était reconnue : mort violente, deuil, perte, décès, suicide, fatalité. Ces vocables m’avaient propulsée dans un monde nébuleux où je m’étais vautrée comme on aurait pu s’affaler dans la boue en y respirant l’odeur de la fange de toutes ses narines. À mes côtés, l’existence souriante des autres m’était insupportable.

Depuis la sépulture, terrassée, je tentais de reprendre ma vie là où elle s’était interrompue. La solitude me pesait. Le décès de mon frère avait creusé le vide autour de moi. Un néant sans fond que rien ne venait combler.

De la même façon que si j’avais contracté une maladie contagieuse, les visites se raréfiaient. Si un exceptionnel ami passait la porte, je ne pouvais m’empêcher de le garder en otage, de le ficeler sur son siège avec un récit trop riche en détails choquants, de l’accabler sans pudeur de précisions dont il aurait pu se passer. Extirpant ce venin, cette fièvre coléreuse, je le faisais pleurer, déterrant ce frère, extrayant ce pus qui me gangrenait le cœur… Rien ne pouvait m’arrêter… Il, ou elle, repartait horrifié, écœuré, malade et je ne le revoyais plus pendant des semaines.

Jusqu’ici, je m’étais sentie épargnée par la vie. Aucun défunt n’avait osé forcer le barrage de ma joie de vivre. J’avais entretenu l’illusion d’être à l’abri pour toujours du spectre du suicide et de la mort en général, forte d’une intime conviction que rien ne pouvait m’arriver ni à moi ni à mes proches. Jamais. Les autres, les inconnus pouvaient trépasser, les miens, les personnes que j’aimais étaient intouchables.

Depuis que j’étais enfant, le suicide exerçait sur moi un pouvoir attiro-répulsif.

Les suicides popularisés tels ceux de Tchaïkovski (dont adolescente, j’écoutais Le lac des cygnes jusqu’à l’obsession), des amants de Mayerling (dont j’avais dévoré le récit romanesque) ou tant d’autres issus du monde du spectacle, de la musique ou de la littérature et pour lesquels j’avais suivi le destin tragique avec une empathie que je ne comprenais pas moi-même, suscitaient chez moi révolte, incompréhension et fascination.

Leurs biographies ne m’éclairaient pas davantage. Ce qui avait fait basculer dans le néant des étoiles auxquelles tout souriait demeurait inaccessible à la raison humaine.

Vers l’âge de dix-huit ans, j’appris à quelques mois d’intervalles, le geste désespéré de deux connaissances, un jeune voisin de mon immeuble qu’on découvrit dans sa chambre au bout d’une corde et, plus triste encore, l’ancien amoureux de mes douze ans, un garçon au sourire très doux qui s’appelait Henri et pour lequel mon cœur s’emballait encore un peu chaque fois que je le croisais.

Ces deux décès me bouleversèrent. Ces jeunes n’étaient pas des vedettes de cinéma, ils avaient mon âge et habitaient ma ville. La bête se rapprochait. À la suite de cela, je crois qu’il n’y eut pas un jour sans que je repense à eux, à ce qu’ils manquaient de leur existence pour s’être supprimés à l’aube de celle-ci.

Puis, ce fut un ami proche qui choisit de mettre fin à ses jours en se pendant dans un bois. Nous étions venus le voir deux jours auparavant et il semblait bien se porter. Là, je sentis la bête me souffler son haleine putride en plein visage. Il m’était impossible de comprendre, d’accepter qu’on puisse s’infliger à soi-même la punition que l’on réserve habituellement aux grands criminels.

Puis la bête me laissa en paix jusqu’aux décès de mes grands-parents. On peut parler de mort naturelle à quatre-vingt-quatorze ans passés, c’est ce qui s’appelle mourir de sa belle mort. Triste, mais dans l’ordre des choses.

La bête ne se délectait pas du cadavre de vieilles personnes.

Elle choisit celui qui avait tout, mais qui ne savait qu’en faire, la beauté, la santé, une aisance financière que plus d’un lui aurait enviée et toute une vie devant lui.

Elle choisit celui que je considérais presque comme un fils.

Mort… Mort… Mort… Expériences de mort imminente, le surnaturel et le paranormal… Non, je n’allais pas verser dans ce bouillon occulte. Les sites internet me propulsaient dans des domaines aux ensorcelantes vitrines où clignotaient de fluorescentes étoiles ou des séraphins ailés… Deuil… Médium… Spirite…

Dans un forum consacré à la survivance de l’esprit, un titre énigmatique m’interpella : « J’aide les défunts à partir… » signé Ina.

Médusée, je cliquai et la phrase en son entier apparut : « J’offre mon aide aux âmes des défunts qui peinent à quitter notre monde. Téléphonez-moi. »

Je n’étais pas la dernière des oies blanches. Déjà dans la vie réelle, combien de charlatans figuraient parmi les médiums, alors sur le Net ! J’imaginais sans peine la flopée d’imposteurs attirant, telle la mygale dans sa toile, le gogo internaute. Non merci, je n’allai pas manger de ce pain-là.

Pourtant, je composai le numéro.

C’est une voix chaude et grave qui me répondit. Son débit posé et rassurant tempéra mes appréhensions. Je me cramponnai à cette voix comme à une bouée de sauvetage. Il ne fallait pas que je réfléchisse. Surtout pas.

Du plus loin que je me souvienne, les fêtes de Noël ont toujours exercé sur moi un attrait irrésistible.

Nulle fête, plus que cette tradition populaire du Noël Chrétien, ne semblait mieux se prêter au merveilleux qu’attendait la petite fille que j’étais. Mon cœur s’emballait des semaines à l’avance à la perspective de la veillée où, jusqu’à l’heure mystérieuse de Minuit, on avait l’autorisation de céder à toutes les gourmandises. Puis s’engageait la lutte contre le sommeil pour tenter d’apercevoir le vieil homme à la barbe blanche qui gâtait les petits enfants, même ceux qui n’avaient pas été sages, et ce matin enchanté où, pieds nus et frigorifiées dans notre chemise de flanelle, ma sœur et moi découvrions les cadeaux tant attendus sous leur papier étincelant…

On avait beau s’y attendre, la magie opérait chaque année.

Lorsque mes enfants naquirent, je tins à perpétuer cette tradition populaire avec ce qu’elle comportait d’enchantements et de rituels. Il ne me serait pas venu à l’idée d’acheter un sapin artificiel ou de le remplacer comme je l’ai vu, par une plante tropicale ! Les odeurs résineuses du sapin, dont on soulève les branches pour les alourdir d’une boule dorée, faisaient partie intégrante de la fête au même titre que la crèche et ses santons…

À notre installation dans un chalet tout de bois, dès début décembre, l’habitat revêtait en fin d’année des allures féeriques de cottage pour lutins. J’allais en forêt ramasser des branchages et du lierre que je passais à la bombe dorée… La montée d’escalier disparaissait sous de fines ramures blanchies de neige artificielle… Les fenêtres se paraient de houx, de gui et reflétaient dans leurs vitres, des constellations de lampions…

Aussi, en ce mois de décembre fatidique, je ne m’expliquai pas cette absence d’emballement, ce détachement suspect à la perspective de Noël. Nul engouement à l’idée de décorer mon intérieur, nulle excitation à l’élaboration d’un nouveau menu. Pas même le goût d’acheter mes cadeaux… Rien pour venir à bout de cette léthargie. La tristesse m’habitait qu’aucun lot de consolation ne venait contrer.

Noël passa. Sans grande joie. Il se passa, c’est tout.

Prémonition.

Ce matin du vingt-neuf décembre, jour de la Saint-David, je surfais sur le web cherchant une carte de fête à envoyer à mon jeune frère. J’optai finalement pour une carte virtuelle animée et musicale, la moins tartignolle possible. Sur un air de piano, des roses jaunes, ses fleurs préférées, défilaient en même temps que des mots jetés à la volée, tendresse… baisers… affection. C’était mignon. J’inscrivis dans le cadre réservé à cet usage, quelque chose qui signifiait en substance «  À chaque jour, sa rose », contre-pied de « À chaque jour, sa peine », car tout allait aller pour le mieux maintenant, je le lui certifiais.

Ces roses jaunes que je lui souhaitais, il en a eu.

Des brassées de roses, tant et tant…

Mon Dieu, quelques heures après, son corps disparaissait sous les roses…

À 9 heures 30, un message dans ma boite mail m’indiqua qu’il avait ouvert ma carte à laquelle il ne répondit pas.

En début d’après-midi, le canapé accueillit mon humeur morose, et je tombai dans le sommeil, sitôt allongée. Il n’arrive jamais que je rêve durant une sieste, pourtant ce fut le cas ici. David vint me voir en songe très souriant et même riant aux éclats… Ce fut son rire qui me réveilla. Il résonna quelques secondes dans le salon tandis que je faisais le constat qu’il portait dans cette vision, des lunettes à montures noires alors qu’en réalité, elles étaient dorées.

À 19 heures, j’allai à la rencontre de mon mari revenu d’un déplacement professionnel. L’expression de son visage était diluée dans la pénombre, mais un je-ne-sais-quoi dans sa manière de se mouvoir m’alerta. Quelque chose clochait.

« Qu’y a-t-il ?» lui ai-je demandé, inquiète.

Toute ma vie, je me souviendrai de ce moment d’horreur. Celui où il s’agrippa à moi, m’imposant de m’asseoir tandis que son souffle atteignait mon oreille et que les mots commençaient leur travail de vrille dans mon cœur.

J’étais la première à l’appeler. Ina ne prenait rien, ne « faisait ça » que dans l’intention louable d’aider autrui.

Aider ? Gratuitement ? Le désintéressement total, cela existait ?

Mais que faisait-elle au juste ?

Certains disparus, m’expliqua-t-elle, se trouvaient dans le flou total une fois passés « de l’autre côté ». Son rôle se résumait, et c’était déjà bien, à leur faire quitter notre plan pour rejoindre un ailleurs plus prometteur. Il suffisait de lui envoyer une photo du défunt, ce support l’aidant à se focaliser sur son âme. Le reste, c’était son affaire…

En temps normal, jamais, au grand jamais, je n’aurais adhéré à ce genre d’aberration. Mais j’étais à l’épicentre du cataclysme qui venait de m’estourbir. Tout plutôt que ce trou noir dans lequel je me sentais sombrer…

« Pourrez-vous communiquer avec lui ?» m’entendis-je lui demander.

Je venais de mettre le pied dans une aventure qui allait bouleverser mon existence.

« S’il est toujours là, oui ! » répondit laconiquement Ina. Je devrai, plus tard, m’habituer au langage en raccourci, pas toujours éblouissant de clarté, de mon interlocutrice.

Ayant raccroché, je visionnais les photos de David, recherchant l’une où il serait seul comme me l’avait recommandé la femme au téléphone, la présence d’autres personnes pouvant court-circuiter le contact avec lui. N’en trouvant aucune, je choisis une photo de vacances de l’année précédente qui nous représentait en famille, bronzés et souriants au bord de l’océan.

De voir ce bel éphèbe au torse nu et musclé porter un toast vers l’objectif me griffa le cœur. Pour la énième fois, je me demandai comment pareille chose pouvait être possible… J’allais me réveiller de ce cauchemar.

« Je l’ai ! fit Ina ouvrant la photo sur son PC, quelle souffrance… »

Le souffle court, j’attendis la suite.

« Votre frère rejetait l’existence de l’âme, de l’au-delà et de Dieu, n’est-ce pas ? »

À l’autre bout du fil, je buvais ses mots tandis que sous le coup de l’émotion mon cœur cognait dans ma cage thoracique. Elle devait l’entendre, c’était certain. Je fis le souhait que rien ne vienne nous déranger, ni le téléphone, ni la porte d’entrée, ni les chiens…

— Nous n’en avons jamais parlé.

Elle insista sur la souffrance de David (qu’elle disait ressentir comme la sienne propre ), me répétant ses mots à lui : « C’était le seul moyen, le seul moyen… »

Insoutenable. Inconcevable. Mon frère serait là ? Où ?

Il m’avait semblé absent de son propre corps lorsque j’avais été le voir pour la toute dernière fois tandis qu’il reposait, étendu sous un manteau de roses, dans la profondeur de ce salon funéraire.

Mes parents, mon mari et moi étions arrivés depuis quelques minutes après un voyage épuisant où chacun avait lutté pour soutenir le moral des autres.

Il est curieux de constater que même dans les moments les plus dramatiques, le corps garde ses besoins vitaux. Il a faim, il a soif, il a sommeil… Il se raccroche à la vie en utilisant tous les moyens dont il dispose pour faire diversion et nous éloigner momentanément de cet état de désespoir dans lequel nous nous enlisons.

L’être humain est ainsi constitué qu’il nous sera arrivé durant ces longues heures de route, de sourire, d’aborder sans grande conviction des sujets plus légers que celui qui nous préoccupait, et même d’improviser quelque plaisanterie. Oui, il nous avait fallu nous alimenter, sans appétit, mais suffisamment quand même pour nous contraindre à nous arrêter dans une cafétéria, même si deux minutes plus tard, écroulés sur nos assiettes pleines, nous nous étouffions de nos larmes…

Le plus éprouvant avait été de traverser la place de leur village où siégeait leur maison. Les fenêtres possédaient encore, collées aux carreaux, les petites étoiles de neige artificielle et l’on devinait, au-delà de ce rappel de Noël, des ténèbres sans fond.

Nous étions passés silencieusement devant ces vestiges heureux tels des étrangers refoulés de la fête, nos têtes étirées en arrière dans un ultime regard pour ce qui n’était plus, pour ce qui ne serait plus jamais… Sophie et ses enfants ayant été, après le drame, hébergés chez des amis.

Comme maintenant, je grelottais, mes dents claquaient. Et comme maintenant, l’atmosphère était d’un irréalisme absolu. La musique classique distillée à discrétion, la pénombre chargée d’une odeur douçâtre que ne suffisait pas à masquer la combustion de bâtons d’encens, tout allait se volatiliser. J’allais me réveiller dans une verte prairie après une longue sieste et rire de ce mauvais rêve !

Qu’est-ce que tu as fait ? Tu m’entends, David ?

J’avais contemplé avec une horreur fascinée la tempe pâle, le beau dessin de ses sourcils que d’une brève caresse, mes doigts avaient souligné jusqu’à la petite coque décolorée de ses paupières… Adieu petit frère…

Et ses mains ? On pouvait déplorer qu’elles fussent invisibles, son torse dissimulé sous un parterre de roses et bordé jusqu’au cou. À gauche de la carotide, une ecchymose violette se devinait sous le fond de teint. J’espérais que notre mère ne s’en soit pas aperçue.

Mon frère n’était plus depuis cinq jours. Son corps était là, traits sereins comme s’il dormait, esquisse de sourire posé sur ses lèvres blanchies, mais lui, n’était plus. Il n’y avait personne dans ce corps. La personne qui l’avait habité, mon petit frère, était partie.

Était-il davantage près de moi, par l’intermédiaire de cette médium, aujourd’hui ?

Alors qu’Ina disait capter l’âme de David par le truchement de sa photo qui envahissait l’écran de son PC, elle tenta de me traduire ce qu’elle éprouvait :

« Le gros de son angoisse semble atténué. Reste une grande peine. Beaucoup de peine. »

David lui montrait sa gorge maintenant. Bien que j’aie mentionné à la jeune femme son mode de suicide, il continuait de lui désigner sa gorge avec insistance comme si elle l’avait ignoré. Elle trouva cela curieux et se concentra davantage pour l’aider à partir en m’enjoignant à me joindre à ses prières pour obtenir des êtres supérieurs qu’ils l’attirent à eux, vers la Lumière.

C’est alors qu’elle prononça ces mots :

« David me dit qu’il est sorti par un conduit de cheminée. »

Elle ne saisissait, pas plus que moi, le sens de cette phrase.

Mon corps tremblait comme des vitres sous l’assaut des bombes. Les bombes, c’étaient les mots d’Ina, traits d’union entre mon frère et moi.

« Il plaisantait, en conclut la médium, ou alors ce conduit de cheminée était une métaphore. Les défunts s’expriment de façon allégorique quand les mots venaient à manquer. »

Cette cheminée aiguilla sa pensée sur Noël puis sur le Père Noël. Oui, David lui envoyait des images de Père Noël ventru et barbu. C’était à présent une pipe de bois qui venait se dessiner dans son cerveau.

« C’est un marrant, votre frère, non ? (Je fus saisie par ce présent qu’elle employait. Dans sa bouche, il était encore en vie). On dirait qu’il veut me faire une blague, je ressens une ambiance de fête… On s’amuse beaucoup ici… Attendez ! Une pipe… Un haut de forme… Une écharpe… Aimait-il se déguiser ? L’a-t-il fait récemment ? me demanda-t-elle de sa voix grave et apaisante, ajoutant qu’il ne fallait rien prendre au premier degré, les trépassés usant et abusant de métaphores.

Elle rit : « Un bonhomme de neige ! c’est clair, maintenant, après le père Noël, c’est un bonhomme de neige qu’il m’envoie ! »

L’ambiance de fête, le père Noël, un bonhomme de neige… Me revint en mémoire notre dernière visite chez David.

C’était le 2 novembre. Le dernier jour où j’ai vu mon frère vivant fut celui dédié aux morts, deux mois avant son acte définitif. Nous avions profité des congés de Toussaint pour passer quelques jours dans le Sud-Ouest où sa petite famille s’était établie.

La grande maison du 19e siècle, en ce jour d’Halloween, semblait tirée d’un conte de Dracula : des toiles d’araignées géantes, des chauves-souris dévalant les hauteurs de plafonds, des citrouilles au sourire édenté… Sur les photos qui ont immortalisé ce moment, on voit les enfants, grimés en squelettes, s’esclaffer avec insouciance.

La mort rôdait chez eux et l’on s’en amusait…

L’ambiance de fête rapportée par Ina…

Durant la soirée, David avait passé son temps à répondre aux coups de sonnette des enfants du quartier, leur remplissant les poches de bonbons. Et alors que je croyais sa réserve épuisée, tel un prestidigitateur, il avait toujours un paquet de confiserie à faire surgir d’un tiroir.

Je leur avais apporté divers articles se rapportant à Halloween, guirlandes électriques colorées, moules à gâteaux orange en forme de citrouille, et, pour devancer Noël qui pointait son nez, deux répliques de statuettes anciennes représentant un bonhomme de neige en haut de forme et un père Noël rondouillard aux couleurs fanées.

Elle voyait maintenant de vastes étendues de neige surmontées d’un chalet de bois. Cela m’évoqua mon lieu de vie, dans un hameau à sept cents mètres d’altitude. Je restai muette. David adorait cet endroit.

— Le voilà qui s’apprête à partir doucement, doucement, dit Ina, mais quelque chose sur notre plan terrestre le retient encore…  Pourtant je vois du monde qui l’attend ».

— Qui ?

— Entre autres, une personne âgée, assez fluette.

Sur l’instant, je ne cherchais pas à analyser ce qui m’arrivait. J’héritais des visions de la jeune femme comme un boxeur encaisse les coups qui le laisseront K.O. Je comprenais qu’Ina utilisât les mots de son vocabulaire pour me décrire ce qu’elle ressentait, mais que signifiait fluette pour elle ? S’agissait-il de notre grand-mère maternelle ?

Si ce que j’étais en train de vivre n’était en rien une mystification, pour ne pas dire un embobelinage de première catégorie, Ina, en tant que canal, traduisait tant bien que mal ce qu’elle percevait. Sachant combien toute forme de communication perdait de sa teneur une fois transmise, cela devait quelquefois prêter à confusion ou donner corps à des doubles sens.

« Elle l’attend, me confirma-t-elle, mais quelque chose le bloque encore… » 

Le silence à nouveau.

« Il était attaché à la matière, cela le rassurait… » reprit-elle.

J’approuvai d’un raclement de gorge et, repensant, attendrie, à son petit côté m’as-tu-vu qui m’avait toujours fait sourire, le 4 x 4, la maison bourgeoise du dix-neuvième siècle, les bergères cramoisies aux accoudoirs dorés de son salon, ses chapeaux à la Al Capone, je lui répondis qu’effectivement, les biens matériels semblaient compter pour lui.

— Oh ! Ce que vous venez de dire ne lui plaît pas du tout ! Ça l’a énervé ! dit Ina

— Mais, il entend ce que je dis ? (Et peut-être bien ce que je pense ! On garderait donc sa susceptibilité dans l’au-delà ?).

— C’est sûr qu’il vous entend… Ce n’est pas un défaut… C’est la beauté des objets, ou le lien affectif qu’il entretenait avec eux, bien davantage que leur valeur, qui suscitait son intérêt pour les biens matériels … Il tient à le préciser.

Elle confirma son penchant à restaurer l’ancien… Son goût pour les belles choses, non dans le but de posséder ou d’amasser, mais plutôt dans celui d’offrir à ses enfants et à sa femme un environnement de qualité.

Comment savait-elle tout ça ? C’est vrai qu’il aimait ressusciter les antiquités… Me revinrent à l’esprit ces petits meubles décrépis, ce salon de jardin en fonte rouillée, cette méridienne disloquée auxquels il avait redonné une deuxième vie, les cinq dernières années de sa vie ayant été employées à la rénovation de leur maison de maître…

Songeant à l’été dernier passé à creuser sa piscine à la force des bras, ce qui avait contribué à développer cette musculature dont on l’avait complimenté par la suite, je ne pus m’empêcher de me dire que c’était sa propre tombe qu’il avait creusée.

Toutes ces journées… à mordre la terre. Pour rien.

Non, ce n’était pas un défaut… Je me fis toute petite. Je venais de vexer mon frère disparu.

« Dites à ma femme que je ne lui en veux pas… Dites-lui que je ne lui en veux pas ! »

Ces mots venant de lui, qu’elle me répétait, m’étourdissaient… Je ne lui avais livré aucun détail… ne lui avais rien dit au sujet de Sophie.

Je revoyais les minces épaules de ma belle-sœur sous son mini blouson de cuir tressauter de douleur le jour de l’oraison funèbre. Dans ses bras, Manon, accrochée à elle comme le bébé qu’elle était redevenue. Cette petite de cinq ans semblait si lourde et personne pour l’aider à la porter, plus jamais un papa pour l’installer sur ses épaules et l’emmener pour de joyeuses gambades…

Léo, pâle et souriant, contournait la couche où reposait son père, d’un pas timide au début et qui allait, à mesure que se déroulait la cérémonie, en s’enhardissant pour se faire presque sautillant. D’un doigt farceur, il suivait l’ondulé de satin imitant le trajet d’une petite voiture. Mon Dieu, cet enfant jouait ! De temps en temps, il jetait un regard vers nous comme pour s’assurer de notre tolérance.

C’était totalement incongru de voir cet innocent au sourire cassé qui trouvait la force de s’amuser sur le lit de mort de son père parce que, plutôt que se jeter la tête contre le mur, il avait choisi de ne pas réaliser l’horreur de son présent.

Cela m’avait semblé si irréel… Une scène mélodramatique tirée d’un film américain : David, en cercueil ouvert… Son petit garçon, pris dans son jeu… Ces jeunes, leurs amis réunis, figés dans une incompréhension totale, et cette musique rock Hôtel California du groupe Eagles, une des chansons préférées de mon frère, qui passait en boucle et emplissait la chambre funéraire de sa mélodie enjouée assortie d’un texte qui, lui, n’avait rien de gai lorsqu’on le comprenait.

Plus jamais pour le restant de ma vie, je ne pourrai écouter ce beau solo final de guitare électrique sans avoir devant moi la vision de ces jeunes trentenaires, dont s’écroulaient les dernières défenses, pris par surprise dans l’exubérance de leur vie comme ces animaux de forêt hypnotisés dans le faisceau des phares de voiture, alors qu’ils s’apprêtent à passer de l’autre côté de la route.

David tournait sur lui-même à présent.

« Il ne sait pas ce qui lui arrive et encore moins où il est, il est complètement perdu. »

Elle le vit m’entourer de tendresse : « Il vous prend dans ses bras, le sentez-vous ? »

« Tu as toujours été là… » me dirait-il.

Toujours agitée de tremblements nerveux, je ne discernais pas la présence de mon frère et pourtant combien je la crus lorsqu’elle me fit part de son geste affectueux... L’air était trop chargé d’émotion pour laisser place aux faux-semblants.

David aurait dit alors ne pas éprouver de peine à mon endroit, persuadé que j’allais m’en sortir.

« Ce n’est toujours pas fini… »

Elle précisa que comme pour tous les suicidés, il lui manquait de l’énergie pour s’élever. Et c’est cette énergie-là qu’elle devait fournir.

Mais pourquoi était-ce si long ? Était-ce normal ?

D’habitude, cela ne durait pas aussi longtemps. Trop d’ancrage à la terre, d’après elle.

« Votre frère est un cérébral. Il m’explique qu’il ne savait comment s’y prendre pour témoigner son amour à sa femme… Trop dans le mental, pas assez dans la spontanéité, pas assez dans le cœur, il tourne en rond… »

« Que pourrais-je inventer pour lui faire plaisir ? » se dit-il sans cesse au lieu de passer à l’acte et de faire son bonheur de façon spontanée…

Il s’énervait un peu à cause d’Ina.

« Comment arrivez-vous à pénétrer mon intimité ? Qui êtes-vous ? » l’entendait-elle lui demander. Réaction normale de rejet et habituelle, elle n’était qu’une étrangère pour lui, il n’avait pas encore compris qu’elle était venue l’aider…

Elle disait ressentir de lui une grande souffrance physique… Il n’avait de cesse de lui désigner sa gorge, son cou, elle comprit qu’il fallait qu’elle intervienne à cet endroit. Il n’admettait pas ce qui lui était arrivé et voulait retrouver son apparence physique ancienne.

Je lui confiai combien cette apparence physique avait compté de son vivant. Elle acquiesça comme si elle l’avait connu intimement et ajouta que toujours se présenter sous sa meilleure apparence aurait pu être sa devise, une sorte de politesse envers les autres. L’idéal aurait été de « travailler » dans sa maison, mais elle pouvait le faire aussi de là où elle se trouvait et j’appris qu’elle vivait en Corse.

« On est sorti de la maison, poursuivit-elle, on va au cimetière… Il a réintégré son cercueil, mais en est ressorti aussitôt. Ils font souvent ça, par curiosité. »

Ceci exprimé avec un tel naturel… une telle évidence… Je restai abasourdie tout en me remémorant le jour de son enterrement.

Au moment de la mise en caveau au cimetière, un laïc des pompes funèbres s’était chargé de l’oraison funèbre devant un public volontairement restreint d’intimes.

Peut-être parce qu’il avait été en classe avec mon frère, l’homme avait voulu en faire des tonnes, donnant de l’emphase à un texte admirable choisi par mes parents lors de la préparation, qui aurait pu se suffire à lui-même. Affecté, ampoulé, il surjouait, déclamant haut et fort sa tirade fastueuse en adoptant le ton mélodramatique du mauvais acteur emporté par un lyrisme inopportun... Tandis que sa voix montait et descendait en vagues emphatiques, je n’avais osé relever la tête de mon col dans lequel elle avait trouvé refuge, imaginant aisément les regards interloqués que devaient s’échanger les membres d’une assistance médusée.

J’avais senti qu’il se passait du côté de ma sœur, une réaction similaire. Cette bouffonnerie était tellement ridicule, tellement comique. Le fou rire, un incontrôlable fou rire nous avait gagnées… Et je m’étais dit que de là-haut, David n’avait rien dû perdre de l’aspect cocasse de la situation. Me couvrant le visage de mon écharpe, j’avais laissé libre cours au rire qui montait en cascades, ce que mon entourage avait dû prendre pour des sanglots…

« Il faut que je répare ce cou… »

J’ignorais ce qu’elle était en train de mettre en œuvre. Elle me dira plus tard avoir travaillé sur son corps énergétique, ce double de notre corps terrestre, cette enveloppe la plus proche de notre corps physique sur laquelle travaillent les acupuncteurs ou les homéopathes, qui nous suivrait dans la première phase de notre immersion dans l’au-delà.

Elle dit : « Ça le touchait tellement cette gorge, c’était comme s’il avait été décapité… Le décès a été si violent… ! »

Elle m’expliqua le rituel auquel elle venait de se livrer en employant un on impersonnel qui me laissa perplexe : « On avait visualisé une croix qui partait de la tête aux pieds reliant transversalement les deux épaules. Par cette croix, la tête avait été réunie au corps. Récupérer l’intégralité de ce corps était pour lui primordial… »

« S’il accordait tant de prix à l’apparence, c’était seulement pour offrir aux autres la meilleure image de lui… » me redit-elle comme pour me rassurer. 

Mon pauvre frère… nul besoin qu’on le défende. Je l’aimais.

« Je lui vois des ailes maintenant que son corps est restauré, continua Ina. Il se sent très libre dans ses mouvements. Il vole et il trouve cela agréable… Y a-t-il une rivière vers le cimetière ou dans la ville où il est inhumé ? »

C’était drôle, j’avais perdu tout sens commun. On me parlait d’une croix venue restaurer une nuque brisée, d’ailes ayant poussé dans le dos de mon frère et rien ne me paraissait farfelu…

— Il y a la Saône (mais chaque ville ne possède-t-elle pas sa rivière ?)

— Parce que je le vois survoler une rivière, il semble bien… Il profite, se promène, il s’émerveille de tout ! Comme il est heureux…

« Voilà, il est libéré, laisse-moi vérifier… Oui, j’ai ma petite pulsation au niveau de mon chakra un. Je le vois toujours voler… Laissons-le profiter, rien ne presse. Il ne faut plus s’adresser à lui, cela pourrait le retenir… »

Je me trouvais en plein film Ghost. Ma réalité était en train de dépasser la fiction. En état de choc avec l’impression d’être passée sous un rouleau compresseur, incapable d’affirmer si cette conversation avait duré des heures ou de simples minutes… Ina ne semblait guère s’apercevoir de mon trouble et continuait de décrire ce qu’elle voyait, ce qu’elle ressentait. Mon frère aurait survolé des vallons, des collines qui m’évoquèrent le Beaujolais et ses coteaux de vignes dorées… À présent qu’il était libéré, il ne paraissait guère enclin à s’élever davantage, me dit-elle. Elle avait le sentiment qu’il voulait apprécier ce qu’il était en train de « vivre », à moins qu’il ne veuille délivrer un dernier message ?

— Se reposer, peut-être ?

— Non, ce n’est pas de repos qu’il a besoin. Il a surtout besoin de foi et de croyance. J’entends venant de lui : « Je n’y crois pas trop, je ne sais pas à quel saint me vouer… », ce genre de choses…, mais il est heureux qu’on lui ait restauré son corps. »

David, délié de notre plan terrestre, s’ouvrait à lui le plus énigmatique des mondes.

Il était mon cadet de quinze ans.

Cet écart d’âge m’avait permis de « jouer à la maman », ma mère m’ayant fait le jour de sa naissance, le plus beau des cadeaux. Et alors qu’à quinze ans, je vivais une période difficile de mon adolescence, ce bébé-là m’avait réconciliée avec la vie.

Trente-cinq ans plus tard, il m’infligeait la plus grande des blessures…

Quelle fierté de pouvoir promener le landau dans le quartier tandis que l’on me prenait pour la génitrice de cette blondeur potelée. Ma mère, aspirée par son salon de coiffure, me le confiait facilement. C’était un enfant lumineux, quiconque l’approchait ne pouvait s’empêcher de l’aimer. Après son décès, ses anciennes institutrices se manifesteront pour évoquer le souvenir empreint d’un rayonnement si particulier qu’elles avaient de lui.

Son prénom, je l’avais personnellement choisi. Je nous revois quelques semaines avant sa naissance, réunis autour de la table, je lance ce prénom David qui me parait le plus beau des prénoms, un prénom qui contient le mot vie et qui, à mon grand plaisir fait l’unanimité de la famille.

J’ai encore en tête des souvenirs très précis de lui lors de son apprentissage de la marche, de la parole, de la lecture… Les comptines dont je le berçais, sans envisager fort heureusement que devenu papa à son tour, il ne resterait pas longtemps celui qui, en bas, fait du chocolat pour devenir celui qui en haut fait des gâteaux…

Cela dura jusqu’à mon mariage, David avait alors cinq ans.

Le prendre en vacances chez nous, une fois mariés, soulageait mes parents. Il avait sept ans à la naissance de mon premier enfant, dix ans à la naissance du deuxième, et, plus qu’un oncle, fut davantage pour eux un grand frère.

Une fois adulte, notre relation, bien que toujours aussi affectueuse, devint moins spontanée. D’un tempérament secret, il gardait pour lui le fond de ses pensées intimes. Il s’était marié dix ans auparavant. Un beau mariage, où les jeunes épousés, dans leurs habits glamour des années quarante et leur coupé cabriolet, semblaient sortir tout droit d’un vieux film hollywoodien. Sur les photos de l’époque, son sourire sous le feutre élégant affiche l’air conquérant de l’amoureux qui a atteint le firmament. Deux enfants étaient venus étoffer cette union. Ils auront cinq et sept ans au moment du drame.

« J’aimerais être enterré dans mon habit de marié » avait-il lancé à sa femme une dizaine de jours avant son décès…

Est-ce le genre de dispositions post-mortem que l’on prend à trente-cinq ans quand on jouit d’une santé de fer ? Parole en l’air qui ne fut pas prise au sérieux.

Lors de cette dernière visite pour Halloween, il avait éprouvé le besoin de ressortir leurs photos de leur mariage : de multiples prises de vue en noir et blanc, œuvres d’un jeune photographe de talent dans la lignée du célèbre Baiser de l’hôtel de ville de Robert Doisneau. Des instants capturés sur le vif à travers les rues pavées d’un village romantique. C’était la première fois qu’il prenait le soin de les exhumer de l’armoire où elles étaient rangées depuis une décennie… Comme une sorte de mise au point.

Un week-end qui se termine, la perspective d’une séparation de plusieurs mois, n’est jamais vécu allègrement, mais rien qui vaille ce moment poignant lors de cet au revoir aux tonalités d’adieu. C’était juste avant qu’il n’ouvrît la haute et lourde porte d’entrée qui donnait sur le trottoir où nous étions garés. Nous nous sommes étreints dans ce couloir, mon nez écrasé contre la douceur mohair de son torse. Je crois que cet instant est gravé en moi à jamais.

Je reste convaincue que chacune des terminaisons nerveuses de mon corps a perçu le danger, la notion de dernière fois… A-t-il ressenti une émotion particulière ? Je ne le saurai jamais…

Je le revois sur le trottoir où il est venu nous raccompagner, les mains dans les poches, son charme nonchalant à la Di Caprio, l’arcade sourcilière proéminente de ses yeux clairs, son menton carré et ses cheveux au vent. Si beau alors que la voiture est prête à démarrer et que le moteur vrombit…

Nous agitons nos mains dans un à bientôt que nous voulons gai et lui se tape le front, réalisant que la terrine de foie gras qu’il a cuisinée à notre intention est restée dans le réfrigérateur… Et ce sourire encore, tendre et généreux qui, par la fenêtre ouverte, nous atteint en même temps que la précieuse terrine qu’il est allé récupérer…

« Je m’en vais par le grenier… », avait-il griffonné sur un mot laissé sur la table de la cuisine.

Il avait dévissé l’unique ampoule de la soupente afin que l’on ne découvre pas son corps se balançant dans une lumière crue.

Pendant que leur mère découvrait le mot dans la cuisine, les enfants avaient suivi le chemin tracé par ses photos de mariage posées sur chacune marche de l’escalier menant au grenier.

Il avait encombré l’accès aux combles d’un amas de cartons, barrière symbolique que les petits avaient réussi à franchir.

Sophie, avalant les marches dans leur dos, n’avait pu épargner à ses enfants la vision d’horreur qui les attendait. 

Lorsque je donnai à Julien le compte rendu de cet entretien, celui-ci conserva le silence un moment, caressant la barbe naissante de son menton. Ensemble, nous avons relu mes notes prises à toute vitesse. Le côté farceur, l’ambiance de fête, les déguisements, le père Noël suivi du bonhomme de neige, les dernières statuettes offertes se rapportaient à notre dernière visite lors d’Halloween… Son caractère, ses mots employés… Comment Ina avait-elle pu… ?

S’agissait-il d’un clin d’œil de mon frère ? De transmission de pensée ?

— Tu es sûre de ne lui avoir rien dit auparavant ?

— Absolument ! Je ne serais pas si bouleversée sinon !

— Il faut reconnaître que c’est assez déconcertant… 

Julien ne quittait pas des yeux mes notes, la similitude des deux petites phrases, celle d’Ina : « Il dit qu’il est parti par la cheminée… » avec le billet de David laissé sur un coin de table : « Je m’en vais par le grenier », nous troublait.

« Julien ! Elle était avec David… ! J’en ai la certitude, je l’ai senti… »

Je n’en revenais pas… Mon mari ne se moquait pas, ne rejetait pas ce sujet ésotérique jusqu’ici tabou entre nous. Mieux, il semblait sonné par la lecture de cet entretien. Pour ma part, j’entrevoyais là une ouverture extraordinaire où, par besoin impérieux de me raccrocher à quelque chose sans doute, je brûlais de m’engouffrer.

Ma curiosité pour ces sciences dites occultes remontait à mes quinze ans. Cette même année de l’arrivée de David venue éclairer la période la plus sombre de mon adolescence. À l’époque, j’avais eu en secondaire un professeur d’une discipline sortie depuis de ma mémoire pour la bonne raison qu’il ne nous l’enseigna jamais aux dépens d’autres thèmes qu’il affectionnait. Parmi ceux-ci figuraient des notions abstraites de géobiologie, illustrant l’équilibre entre les forces cosmiques et telluriques. Peu à peu, cette science avait dévié sur une spiritualité de bas étage pour laquelle la classe que nous étions, ravie de cette échappatoire à l’enseignement du programme traditionnel, s’enthousiasmait… Durant quelques mois, ces sujets fantastiques m’avaient intéressée comme l’on peut prendre goût à la science-fiction avant que la vie et ses mille centres d’intérêt ne se chargent de m’en écarter. Cette théosophie devait être bien hermétique et sûrement réservée à une gent très spéciale d’initiés dont je me sentais parfaitement exclue puisque je n’avais jamais réussi à obtenir le moindre signe me prouvant la réalité d’un monde parallèle.

Depuis, vaguement croyante comme tout un chacun, je ne pratiquais aucune religion, n’allant à l’église que pour les cérémonies obligatoires tels les mariages ou les enterrements.

Le lendemain, je pris le courage de rappeler Ina. Je voulais lui rapporter la réaction inhabituelle de mon mari. Celle-ci me répondit que face aux véritables ressentis, c’était notre cœur qui prenait le pas sur notre mental… Celui de mon mari avait parlé.

Les neuroscientifiques auraient découvert que le cœur posséderait son propre système nerveux avec pas moins de 40 000 neurones, soit autant que dans divers centres sous-corticaux du cerveau. On présumait jusqu’ici que le cerveau prenait toutes les décisions. Or il n’en était pas ainsi.

« Lorsque le cerveau donne un ordre au cœur, le cœur analyse, ressent et obéit, ou non, suivant son ressenti. Tandis que si le cœur donne un ordre au cerveau mental, celui-ci obéit sans réfléchir. Vous saisissez la différence ? » m’expliqua-t-elle d’une voix bienveillante.

Puis elle m’avoua que ce long contact avec mon frère l’avait vidée. Après cela, elle n’avait plus été capable de quoi que ce soit. C’est Pierre, son mari, qui avait dû préparer le repas. Le soir, elle avait rallumé son ordinateur pour s’assurer sur photo, du départ avéré de David vers d’autres « plans » (vaste programme qui ne me serait développé que plus tard) et en avait eu la confirmation par la petite pulsation habituelle au niveau de son chakra un.

« Promettez-moi de ne pas chercher à le joindre en pensée, m’a-t-elle dit alors, laissez-le aller maintenant, il ne serait pas bon pour lui que vous le rappeliez… »

Elle ajouta qu’il était arrivé que les proches du défunt la pressent de reprendre contact, un terrible mal de tête (signe qu’il ne fallait pas insister) était à chaque fois survenu.

— Alors, nous n’aurons plus de ses nouvelles ? ai-je dit, terriblement déçue.

— Ce sera à lui de redescendre maintenant, s’il en a la possibilité. Un long chemin lui reste à parcourir, mais j’ai confiance. Priez pour lui, mais sans vous adresser directement à lui. Passez toujours par l’intermédiaire des Êtres de Lumière.

Passer par des intermédiaires ? J’aurais bien aimé que pour mon frère, les lois divines fassent une exception…

Qu’avais-je vécu ?

S’agissait-il d’une autosuggestion ? Il me fallait relire mes notes et me pincer pour y croire, empêcher le doute de gangrener cet épisode précieux. Je fouillai dans ma mémoire quels indices non formulés auraient pu alimenter la perspicacité d’Ina au sujet de mon disparu. Mais rien… Rien pour me mettre la puce à l’oreille. J’étais forcée de reconnaître et d’accepter ces mystères.

Deux ou trois jours plus tard, j’eus l’agréable surprise de recevoir son appel. Après s’être enquise de mes nouvelles, utilisant mon surnom, Miel, comme si nous étions de vieilles connaissances, elle enchaîna sur un ton naturel pour relater son train-train quotidien. Il faisait un temps exécrable en Corse, une pluie diluvienne sans discontinuer, le chemin qui menait chez elle s’était transformé en torrent et il lui fallait charger en bois son petit poêle jusqu’à saturation pour chasser l’humidité de la maison.

J’accueillis avec stupeur ce récit terre à terre à l’opposé de notre dernier entretien. Tout à ce souvenir, mon pouls pulsait en accéléré tandis que ma respiration me faisait défaut, aux antipodes de ce ton tranquille, de cette conversation badine… Ina continuait, bavarde, sans paraître se rendre compte de l’émotion qui était la mienne, car être suspendue à nouveau à cette voix me projetait sur le Pont de l’Arc-en-ciel qu’elle avait instauré entre mon frère et moi… Je l’attirai sur le sujet qui me consumait toute entière :

— Merci pour l’autre jour… Cela m’a fait un bien fou, mais vous savez, je n’en suis toujours pas remise.

— Bah ! dit-elle, c’est toujours impressionnant la première fois. On s’y fait très vite. Puis, sautant du coq à l’âne : vous être artiste ?

Si cette femme possédait un don, elle avait d’abord celui de me bousculer. Elle enchaîna :

— Vous peignez, écrivez, chantez, jouez d’un instrument ?

Je dus reconnaître que je faisais un peu tout cela, mais comment ?

Elle aussi possédait des dispositions artistiques, sculptait, était chèvre…

— Oui, chèvre ! le signe chinois, et vous aussi ! m’avança-t-elle d’un ton évident lorsque je lui eus communiqué mon année de naissance. Les chèvres sont artistes, c’est bien connu.

Elle écrivait un peu, quelques pages qu’elle venait de terminer après tout un hiver laborieux à mettre en mots le récit de sa vie. Une existence qui n’avait rien d’ordinaire. De quoi en faire un roman. Est-ce que ça me disait de les lire ?

De quoi faire un roman…

Combien de fois avais-je entendu cette expression ? Les gens pensaient pouvoir captiver les autres avec leur vécu « digne d’un roman ». Le malheur de Monsieur et Madame Tout le monde se passait d’intérêt. Quant au bonheur… N’en parlons même pas ! Il était d’un ennui rare. Il fallait être une célébrité pour espérer éveiller l’attention d’un éditeur, puis celle du public, avec son autobiographie.

Mais pouvait-on considérer cette femme comme une Madame-tout-le-monde ? Alors il allait de soi que oui ! ses écrits m’intéressaient. Et puisqu’elle me faisait l’honneur de découvrir ses écrits, j’étais curieuse de connaître ce parcours atypique afin d’être en mesure de comprendre, de poser des mots sur cet évènement complètement fou que je venais de vivre. Il me tardait d’en savoir plus sur son personnage, de prendre connaissance des tenants et aboutissants de ce don incroyable de communication avec un au-delà jusqu’ici impénétrable. Besoin de découvrir ce qui avait fait que je me sente désormais ferrée comme une truite à l’hameçon…

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