Dix-Sept Papillons

« Qui. Êtes. Vous ? »

Les mots sont sortis de ma bouche avant même que la porte d’entrée ne se referme derrière moi. Il y a un inconnu dans ma maison, bâti comme un Apollon aux cheveux noirs diaboliques et aux yeux d’ange. Il sort de la salle de bain comme s’il venait de faire une pause après s’être posé chez moi pour un marathon de films. Hé oh ?

L’intrus au T-shirt blanc essuie ses mains encore humides sur l’arrière de son jean délavé et ne semble en aucun cas confus contrairement à moi bien évidemment.

« Je m’appelle Thane », dit-il. Puis il sourit, et le soleil se leva pour la deuxième fois de la journée, mais à 18 h. C’est quoi ce bordel ?

Il incline la tête.

« Et toi ? »

Mon sac à dos glisse de mon épaule droite, entraînant avec lui une partie de mon gilet à capuche bleu foncé dont la fermeture éclair est ouverte, et heurte le carrelage du couloir avec un bruit sourd si fort que les voisins pourraient l’entendre. C’est à cause des cinq nouveaux livres que je viens d’emprunter à la bibliothèque, tous des romans à couvertures cartonnées.

« Hein ? »

Ses fossettes et son regard amusé lui font plisser les yeux.

« Ton prénom ? »

Bon sang, les voleurs n’ont pas l’habitude de sourire en coin et d’engager la conversation, n’est-ce pas ? Mais bon, on n’a jamais été cambriolé auparavant, alors qu’est-ce que j’en sais ?

D’un coup d’épaule, je remets mon gilet à capuche en place, puis j’attrape la vieille crosse de hockey de mon frère qui se trouve derrière le meuble du hall d’entrée. Elle est là depuis le jour où j’ai regardé mon premier film policier lorsque j’étais petite, et aujourd’hui, je la brandis pour la première fois.

« Je m’appelle Sandra Michelle Cardington, Cardington comme le nom écrit sur la boîte aux lettres devant la maison, ma maison. » Ai-je besoin de spécifier que « je vis ici » ? Mes doigts se resserrent autour du bois, je me rapproche un peu plus du cambrioleur. « Toi pas. »

« Et là. » Son gloussement se transforme en un joli rire enfantin, et il lève les mains pour se rendre.

Ça ne joue pas en ta faveur, mon coco. Je vais t’assommer.

Même si je ressemble à un chien enragé, son corps ne bouge pas et seuls ses yeux bleus étoilés se dirigent vers la droite alors qu’il crie par-dessus son épaule : « Tu ne m’avais pas dit que tu vivais avec Harley Quinn, Cam. »

L’instant d’après, il s’avance si vite que je rate mon coup. D’une seule main, il abaisse mes bras et me lance un regard amical droit dans les yeux.

« Laisse-moi te montrer comment ça fonctionne. Ce n’est pas une batte de baseball, tu sais. Tu dois l’utiliser un peu plus près du sol. »

Une fois mes réflexes retrouvés, je m’éloigne rapidement, préparant la crosse de hockey pour l’attaquer une nouvelle fois.

« Je m’en fous de ce que… »

Une seconde, a-t-il dit que Cam était ici ? Il a dû garer sa Mustang noire dans le garage parce que l’allée était vide.

Le soulagement que cette nouvelle procure à ma poitrine me fait baisser l’arme de quelques centimètres, pour que ma colonne vertébrale se crispe de frustration une seconde plus tard, lorsque mon frère sort tranquillement de la cuisine.

« Détends-toi, Sandy. Thane fait partie de mon équipe. »

Tu parles que je vais me détendre. Cameron a deux ans de plus que moi et joue au hockey sur glace à Portland avec les Riot Robins. Il a obtenu une bourse pour une université là-bas, et ils paient même son appartement en ville, ce qui signifie qu’il devrait être à environ quatre-vingt-dix kilomètres de moi en ce moment et non à la maison pour perturber mes deux semaines paisibles sans parents. Je me repositionne pour attaquer à nouveau, mais cette fois, avec les sourcils beaucoup plus froncés.

« Qu’est-ce que tu fous à la maison ? »

« Content de te voir aussi, sœurette. »