Freud

Résumé

Si l’on avait dit à Sigmund Freud que quelqu’un raconterait un jour sa vie sous forme de bande dessinée, il aurait sûrement été étonné… d’autant plus qu’il y a peu de chances pour qu’il ait été lui-même lecteur de BD ! En tout cas, l’initiative d’Anne Simon et de Corinne Maier (qui s’est fait connaître avec deux pamphlets, Bonjour paresse et No kid, dans lesquels elle vantait les joies de la flemme au travail et d’une vie sans enfant) est la bienvenue. Non pas qu’elles nous révèlent des pans inconnus de l’inventeur de la psychanalyse, mais parce que leur approche du sujet, notamment graphique, mérite que l’on s’y attarde. Plutôt que de se livrer à un récit biographique linéaire et didactique qui risquait fort d’être ennuyeux, les deux auteures adoptent le parti-pris de la fantaisie et du vagabondage, ce qui n’exclut nullement l’esprit de sérieux et la rigueur historique de leur propos. A côté des indispensables repères biographiques, elles passent en revue quelques-uns des cas qui ont rendu célèbre le professeur Freud, comme celui de l’homme aux rats, celui d’Anna O ou celui du petit Hans. Elles racontent les grandes étapes de son parcours, depuis ses recherches sur le sexe des anguilles (mais oui !) et ses expériences sur la cocaïne (« très utile pour les anesthésies locales ») jusqu’à ses désaccords avec Jung ou sa passion de l’archéologie (« je suis un archéologue raté »). La psychanalyse n’étant rien d’autre, selon lui, que « la mise au jour de vestiges enfouis ». Elles soulignent les paradoxes de l’homme, capable de révolutionner le monde avec son invention tout en se définissant comme un conservateur, lui qui détestait la nouveauté et se vantait d’avoir écrit à la main les 20 000 lettres de sa pharaonique correspondance (« Je suis un pisse-copie de la page blanche »). Mais ce qui rend cet album absolument passionnant, c’est le traitement graphique d’Anne Simon. Cette jeune dessinatrice, dont le trait plein de fantaisie se double d’une formidable imagination graphique, met en scène de manière inattendue le texte de sa scénariste, à l’image de la « vue en coupe » du cerveau de Freud. Ce travail sur le dessin est rehaussé d’une mise en couleurs parfaitement réussie, qui privilégie trois teintes a priori inattendues : le vert, l’ocre et l’orange, le mélange des trois donnant une espèce de légèreté au livre et lui évitant de tomber dans le piège d’un « réalisme » ennuyeux, qui aurait fait ressembler cet album à un cours d’histoire fastidieux. Freud, une biographie dessinée est une excellente introduction à l’œuvre de Sigmund, mais aussi une bande dessinée parfaitement maîtrisée qui témoigne de la capacité de la BD à s’emparer de tous les sujets, même les plus « sérieux ».