Service de nuit

Comme chaque soir à 20 heures, sur le quai de la station Mouton-Duvernet, Vincent Mortier attendait l'arrivée de la rame de métro en même temps qu'une vingtaine de Parisiens, ce n'était plus la foule. Vincent ne disait jamais, comme ses collègues, "J'ai failli rater mon métro" ou "Mon métro est tombé en panne". Il tenait à dire "le métro". Leur métro, il n'en voulait pas ; bien que contraint de l'utiliser, il refusait de se l'approprier. Vincent prenait donc le métro, celui des autres, avec lesquels il ne se sentait rien de commun.

Autrefois, quand il avait une vingtaine d'années, il s'y engouffrait allègrement aux heures de pointe, certain de découvrir parmi les nombreux voyageurs celui qui l'enflammerait des pieds à la tête, se collant sans pudeur contre ses fesses ou contre sa braguette selon qu'il était devant ou derrière l'élu. Un garçon de son âge la plupart du temps et qui hésitait rarement à remonter à la surface en sa compagnie. "Chez moi ou chez toi ?" Si son nouveau partenaire était pressé, on courait vers le square ou le jardin le plus proche ; les buissons ou les toilettes servant de décor à des ébats fiévreux et minutés. Ceux qui n'appréciaient pas ce genre de contacts protestaient rarement, peut-être un "Ça va pas, non ?" mais jamais plus, se contentant de s'écarter au maximum. Et, l'air aussi étonné qu'innocent, Vincent s'immisçant entre des ombres lasses allait tenter sa chance un peu plus loin. Et pourquoi pas dans le wagon voisin ? Sa jeunesse et sa joie de vivre lui donnaient tous les culots et, pensait-il, le pouvoir de vaincre toutes les résistances.