Ose la petite robe rouge

Je suis restée un long moment à fixer les murs de mon minuscule appartement.

Je me suis levée, j’ai marché comme un automate jusqu’à la porte de ma penderie, je l’ai ouverte, j’ai regardé ma garde-robe : trois ensembles pantalons, bleu marine, gris et noir ; deux jupes, des chemisiers à rayures, à carreaux, deux blouses blanches ; parfaitement alignés et rangés par couleur mes pull-overs, une paire de ballerines, des mocassins. Et brusquement, des larmes muettes ont coulé

le long de mes joues.

Les heures précédant le départ, j’ai révisé l’étude de cas, vingt, trente fois. Je me suis rappelé cet exercice de ma formation à la « Prise de parole en public » :

debout, devant un miroir, dire son texte à voix haute. Respirez. Souriez.

Articulez. Mais ça n’a pas marché. Me parler à moi-même dans l’état dans lequel j’étais ! Alors, je me suis installée à mon bureau-table de salle à mangercuisine et j’ai bachoté jusqu’à plus soif. Je n’ai quasiment pas fermé l’œil de la nuit, ma petite valise déjà posée dans l’entrée.

Nous arrivons à Roissy. Je suis très avance. Mais je ne voulais surtout pas être en retard. Margaux m’a, bien sûr, appelée ce matin pour vérifier si tout était en ordre et me recommander d’arriver au moins deux heures avant le départ : « Tu sais, pour un vol long-courrier. Et puis, tu voyages en classe business, tu pourras aller dans le salon VIP, ah quelle chance tu as ! Allez, bon voyage. Tiens-moi au courant. »

Je serre mon billet dans la main :

Mercredi 5 mars

Vol AF 188 23 : 35 Paris, Charles de Gaulle (CDG), Terminal 2E

17 : 35 +1

Hong Kong, International Airport (HKG)

J’entre dans le Terminal 2 E. Ça grouille de monde sous l’immense voûte de béton. Je fais quelques pas en cherchant des yeux le grand panneau des départs, je ne vois que satellites, escalators, enseignes clignotantes, baies vitrées cerclées d’acier, je sens battre mon cœur un peu plus fort, je me cogne contre un chariot de bagages, calme-toi, calme-toi, je me répète : « Le panneau est juste là, sous mon nez. »

Shanghai, Moscou, Casablanca, Séoul, Singapour, Bangkok… déferlent à une allure vertigineuse, et voilà mon vol : Hong Kong, inter. Enregistrement hall L.

On time. 23 : 35. Embarquement Gate A.

Il y a une longue file d’attente pour l’enregistrement. Je tends mon billet à un agent, qui m’indique en pointant son doigt, vers la gauche, la file VIP pour les passagers business. Mon Dieu, j’ai l’impression que tous les gens me regardent.

Que doivent-ils penser ? S’ils savaient… j’ai envie de leur crier : « Je suis la remplaçante ! »

Sourire radieux du personnel. Le vol est prévu à l’heure. Merci d’avoir choisi

Air France. Nous vous souhaitons un très bon voyage. Vous trouverez le salon

« business » au premier étage.

— Merci, je réponds timidement.

Je me dirige d’un pas mal assuré vers le lounge, je passe devant une première fois, je reviens sur mes pas ; c’est indiqué tellement discrètement : « Salon Air

France. »

Les portes automatiques s’ouvrent. Derrière un bureau d’accueil laqué rouge, une hôtesse ravissante me sourit :

— Bonjour madame, votre billet, s’il vous plaît.

Elle vérifie que je suis autorisée à venir là.

— Voilà. Merci.

J’entre.