Les petites diablesses

Extrait du livre :

Dès la fin de la première semaine de cours, tout le monde avait déjà sa place assignée à la cafétéria. Pour Hazel Stone, c'était à la troisième table en partant du mur de la Grande Fresque de la Diversité, côté ouest. Là, baignant dans un halo de lumière filtré par le verre épais des fenêtres, étaient assises ses quatre «meilleurs amies» : Lakshmi, Ginger, LaToya (à quoi pouvaient bien penser ses parents, en l'affublant d'un prénom pareil ?) et Jamie.

Meilleures amies... plutôt des connaissances par défaut, oui. Leur seul point commun avait été leur amitié pour Joy Krasner, et Joy avait déménagé à San José pendant l'été. Après son départ, Hazel avait tout fait pour se débarrasser de ces pots de colle, mais en vain.

Elle avait pris un petit job saisonnier et soigneusement évité tout contact avec le téléphone, préférant se consacrer à son blog sur Livejournal ou visionner des rediffs de The Osbournes avec Corey, son petit frère. Cet été-là, Hazel avait passé plus de temps avec son frère que pendant toute son existence. Si ses parents avaient été du genre à commenter ce qui se passait dans la famille, ils lui auraient sûrement dit à quel point ils étaient fiers d'elle.

Ils le seraient nettement moins, en revanche, s'ils savaient ce que leur fille aînée avait fait d'autre pendant l'été, mais Hazel n'aborderait pas ce sujet avec eux pour tout l'or du monde.

Lakshmi l'aperçut et la salua d'un grand geste. Hazel eut aussitôt envie de ramper sous terre en voyant les trois autres se retourner pour lui faire coucou. Il ne leur serait jamais venu à l'esprit qu'elle n'avait aucune envie de déjeuner avec elles, non. Même si elle les avait fuies comme la peste pendant tout l'été.

Hazel avait plus ou moins coupé les ponts avec Lakshmi, non sans se sentir un peu piteuse, voire coupable. Il suffisait qu'elle commence à savourer sa victoire en se disant Ouf, ça y est, cette fois, bon débarras, pour que sa mère réponde au téléphone et accepte une invitation de cette fille en son nom sans même lui demander son avis. Sa mère ne comprenait rien à rien, comme d'habitude.

Incapable de lui expliquer une bonne fois pour toutes qu'elle n'avait plus envie de fréquenter «ces gentilles filles adorables», Hazel devait donc chaque fois se traîner à contrecoeur au cinéma ou au centre commercial pour retrouver Lakshmi et sa clique, et la petite bulle d'isolement qu'elle avait eu tant de mal à se construire volait en éclats.

Ce n'était pas la lune, quand même... Tout ce qu'elle voulait, c'était de vraies amies - intéressantes, intelligentes et sur la même longueur d'onde. Lakshmi et les autres se contentaient de stagner sur place en attendant la fin du lycée, trop heureuses de rester dans leur coin à poursuivre leurs petites vies monotones et à admirer les gens cool de loin. Leur seule perspective était la cérémonie de remise des diplômes à la fin de la Terminale.

Hazel, elle, voyait plus grand - bien plus grand. Elle avait de l'ambition. Un but à atteindre. Elle voulait faire partie de ces filles branchées dont on se souvient, des années plus tard, en ouvrant l'annuaire du lycée. Ne pas rester une simple «Qui donc ?» parmi tant d'autres, noyée au milieu d'un océan de visages anonymes. Or c'était l'année ou jamais. En Terminale, il serait trop tard... Il fallait agir maintenant.